Drones d’hacktivistes

Le 9 mars 2012

Les drones sont partout. À l'origine utilisés par les militaires, ces engins sont détournés de leur usage, en particulier par des activistes de tous poils : hacktivistes, défenseurs de la nature ou des droits de l'homme, artistes et même journalistes.


Surveiller les surveillants, en détournant leurs dernières marottes techniques : après les caméras de vidéosurveillance, les drones sont à leur tour mis au service de l’activisme, voire de l’hacktivisme. On pourrait également qualifier ces détournements d’artivisme, cette façon d’utiliser l’expression artistique pour porter un message politique.

Il semblerait que le premier projet de ce type remonte à 2004, du moins selon l’artiviste autrichien Konrad Becker qui s’en est occupé dans le cadre du projet Netbase. Son nom de code ? S-77 CCR, pour System 77 Civil Counter-Reconnaissance. Son slogan ?

Eyes in the sky, democracy in the street.

“Des yeux dans le ciel, la démocratie dans la rue”. Un slogan qui résume un message très politique :

Pour permettre un équilibre des compétences en matière de surveillance et une large éducation du public aux technologies de contrôle, il semble nécessaire que les gens y aient accès.

Il a été déployé en public en mai 2004 à Vienne. “Nous avions besoin d’une ‘preuve de concept‘”, se souvient Konrad Becker. Toutefois nous avons attiré l’attention de la police et des médias à l’époque… ” Depuis, S-77 CCR a été poursuivi en toute discrétion par Marko Peljhan, un Slovaque qui a, entre autres, cofondé un des premiers media labs d’Europe de l’Est.

Hacker les communications

Mike Tassey et Rich Perkins sont des hackers poids lourd, le genre à faire des présentations lors de DefCon ou de BlackHat, raouts phares réunissant ces adeptes d’un usage créatif de la technique. L’année dernière, ils y ont présenté leur projet Wireless Aerial Surveillance Platform (WASP), ou “drone DIY” [Do It Yourself, fais-le toi-même] pour la cyberguerre”, créé en 2009. Concrètement, cet avion-espion est capable d’intercepter les communications transitant par Wi-Fi et donc de dérober des données. Le but n’est pas d’aller en prison mais de pointer des failles de sécurité potentielles. L’essence d’un bon hacker, comme ils l’expliquaient en introduction à la conférence Black Hat :

Que pourrait faire un avion autonome volant à basse altitude transportant 5 kilos d’outils pour la cyber-attaque du réseau de votre organisation, aux infrastructures critiques de votre pays ou pire s’il transportait quelque chose d’épouvantable, quelles seraient les conséquences en terme d’exigences pour la sécurité publique ?

Buzz vidéo de Pologne

Les drones sont revenus sur le tapis médiatique en novembre, avec la vidéo d’un engin baptisé RoboKopter survolant des manifestations à Varsovie en Pologne, à l’initiative d’un activiste. Elle a été visionnée plus de 650 000 fois sur YouTube. Une manière comme une autre de faire  des émules.

Occupy les airs : vers le “dronestream”

Le mouvement Occupy, initié  à Wall Street, a été l’occasion d’un jeu du chat et de la souris entre les manifestants et les forces de police chargées de surveiller de près voire de déloger les campeurs. L’un d’eux, Tim Pool, a sorti un atout de leur manche : Occucopter, un drone Parrot AR équipé d’une caméra et contrôlé par iPhone. Tim a bidouillé le logiciel de façon à pouvoir diffuser en direct les images sur Internet.

L’idée lui a été soufflée début 2011 par Geoff Shively, ado hacker surdoué des années 90 qui a fini par fonder sa boîte de logiciel de sécurité à l’âge de 21 ans. Mais les deux sont partis dans des directions opposées et l’idée ne sera mise en œuvre que cet automne, “après le raid sur Zuccotti park”, nous détaille Tim. Mi-novembre, la police était intervenue pour chasser les manifestants de ce parc qui y campaient depuis deux mois. Il expliquait ses motivations :

[Il s'agit de] donner aux gens ordinaires les mêmes outils que ces géants des médias multimillionaires. Cela comble avec intelligence une lacune face à certaines restrictions, comme quand la police empêche la presse de prendre des photos d’un incident.

Même si l’engin est perfectible, il a suscité l’attention : “J’ai reçu plein de questions et aidé de nombreuses personnes à mettre en place une diffusion en direct via le drone”, complète Tim. Les hackers, de façon naturelle, se sont penchés sur le sujet, en particulier à San Francisco, au hackerspace Noisebridge. Une page de documentation a été monté. On trouve même un modèle fait avec une imprimante 3D !

Et Tim poursuit sa recherche  : “je ne pense pas qu’ils deviendront aussi courant que les téléphones portables mais nous travaillons à rendre le dronestream (sic) très bon marché, de façon à ce que chacun puisse en acquérir un.”

Drone journalism

Cet automne, les images des émeutes en Pologne ont vite été reprises par les médias traditionnels. Tim Pool est également journaliste indépendant. De l’activisme au drone journalism, il n’y a qu’un pas, que résume Matt Waite, journaliste chercheur à l’université du Nebraska et créateur du Drone Journalism Lab, dédié à l’étude de la viabilité de médias aéroportés pilotés à distance :

Il y a des gens qui ne sont pas journalistes qui font des choses qui ressemblent terriblement à du journalisme, il n’est pas dur de faire un effort d’imagination. Il y a d’abord eu les émeutes en Pologne, puis les protestations pour les élections en Russie.

En résumé, il se passe la même chose avec les drones qu’avec les téléphones portables, un effacement des frontières entre citoyens et journalistes. Du moins pour fournir la matière première.

Ces drones informatifs constituent le prolongement bon marché de vieilles techniques, rappelle-t-il : “les rédactions utilisent depuis longtemps des hélicoptères et des avions avec une aile fixe pour les évènements importants. En posséder ou en louer une est coûteux.” A contrario, le drone est “une façon rentable d’avoir des contenus multimedia inédits et attractifs.”

En Australie, Justin Gong, un jeune Chinois immigré, a créé sa compagnie, XAircraft. Son produit suscite un fort intérêt de la part d’un réseau de télévision australien et plusieurs médias l’utilisent déjà, explique-t-il.

Mais la technique est pour l’instant encore perfectible, comme l’a démontré la tentative avorté de journalistes australiens qui ont filmé le centre de détention pour immigrés de Christmas Island : l’engin a fini à l’eau. Matt Waite est conscient de ces limites :

Ces quadracopters et hexacopters ont une autonomie de 15 minutes environ, alors que celles des drones militaires de qualité est bien supérieure. Donc quelle est leur efficacité ? Pas énorme. Il n’y a pas assez de temps de vol et de stabilité pour satisfaire notre imagination. Ils s’écrasent souvent et se cassent facilement. Ce n’est donc pas assez stable pour voler en toute sécurité autour de personnes. Mais je pense que c’est temporaire. La technologie avance si vite que ces défauts ne peuvent que s’améliorer.

La question de la légalité de telles pratiques reste aussi en suspend. Ainsi aux États-Unis, il est interdit “de voler au-dessus de 400 pieds (120 mètre), hors de la vue, près des gens et il ne faut pas avoir de visées commerciales”, rappelle Matt Waite. Et entre sécurité de certaines installations et liberté d’information, de quel côté penchera la balance ?

Brigitte Bardot high tech

On a tous en tête l’image de Brigitte Bardot se roulant dans la neige au Canada, serrant un bébé phoque comme le dormeur son polochon. Si la nature a ses charmes, la technique aussi. Ainsi les activistes de Sea Sheperd, à la pointe de l’innovation, ont récemment utilisé un drone pour les aider dans leur combat, la défense de la faune marine. Détail des opérations :

“Le 24 décembre, le Steve Irwin, l’un des navires de Sea Shepherd, a déployé un drone afin de localiser et photographier le Nisshin Maru, navire-usine japonais. Opération réussie! [...] Grâce aux deux drones répartis sur le Steve Irwin et le Bob Barker, il est possible de connaître la position du Nisshin Maru et de surveiller sa route; les informations sont ensuite transmises aux navires de Sea Shepherd.

Inconvénient : un drone ressemble fortement à un de ces volatiles dont les chasseurs sont friands. Du coup, aux États-Unis, un drone qui devait filmer une chasse aux pigeons a été lui-même abattu… par les chasseurs dans son collimateur. Prochaine étape, des drones blindés ?

Vol au-dessus d’un nid de dictateurs

Des drones dans les manifestations, des drones pour sauver les baleines… et des drones pour sauver l’humanité. Le mois dernier, Andrew Stobo Sniderman et Mark Hanis , les fondateurs de l’ONG Genocide Intervention ont signé une tribune dans le New York Times intitulée “Drones for Human Rights” :

Il est temps d’utiliser la révolution dans le domaine militaire pour servir la cause des droits de l’homme. Avec des drones, nous pourrions prendre des photos et des vidéos claires d’abus, et nous pourrions commencer en Syrie.

Autre avantage, expliquent-ils, les images pourraient être utilisé par les diplomates de l’ONU ou lors des procès comme preuve. Et tant pis si cela constitue une violation de l’espace aérien : “Ce serait peut-être illégal aux yeux du gouvernement syrien mais soutenir Nelson Mandela en Afrique du Sud était considéré comme illégal durant l’apartheid.”

Le recours aux drones posent aussi la question de son instrumentalisation par le régime syrien, qui pourrait crier au complot étranger et s’en servir pour réprimer avantage. Du coup pour l’heure, les ONG restent timides :

“De telles considérations figuraient dans les conversations que nous avons eues avec les organisations de défense des droits de l’Homme qui envisageaient d’utiliser des drones en Syrie mais ont finalement opté pour la fourniture de téléphones, de modems satellites et d’abris. Depuis bientôt un an, des amateurs courageux en Syrie ont sans doute essayé la bidouille avec leur petite caméra. Dans ses circonstances, la plus-value ne vaut pas la peine de l’investissement et du risque.”

Évoquant de nouveau le potentiel de ces engins, ils concluent sans ambages :

Si les organisations de défense des droits de l’Homme peuvent espionner le mal, elles ont le devoir de le faire.

“Zones temporairement augmentées”

Les artistes veillent sur les caméras

Les artistes veillent sur les caméras

Inutiles les caméras ? Pas pour les street artistes qui les détournent pour dénoncer la société de surveillance ou le ...

Lot Amoros est un artiste espagnol, qui se définit comme un “ingénieur informatique & un antiartiste transdisciplinaire”. Son GuerrillaDrone servira à réaliser “des interventions audiovisuelles dans l’air public en utilisant la réalité mixée”, de façon à créer des “zones temporairement augmentées”, en référence aux zones autonomes temporaires (TAZ) d’Hakim Bey. Le tout est réalisé avec des logiciels et du matériel libre, grâce au projet ArduCopter, utilisant Arduino.

Histoire que le concept soit cohérent aussi dans la forme. Il mettra à profit sa résidence d’artiste aux Pays-Bas, de mai à septembre, pour monter le projet et des performances.

Son message est dans la lignée de son prédécesseur autrichien,  en s’inspirant aussi d’artvertiser, une réappropriation de la publicité urbaine par la réalité augmentée :

GuerrillaDrone cherche à explorer de nouveaux usages de l’air comme un moyen d’expression, pour anticiper les questions auxquelles la société moderne devra faire face dans les décennies à venir : la présence de robot dans les espaces publics et dans les espaces publics aériens. [...]

Le droit de voler hérite d’idées du mouvement Reclaim The Spectrum : “ceux qui revendiquent le spectre [radio-électrique] anticipent un débat politique et social dont le XXe siècle a été privé mais qui ne peut être repoussé en ce nouveau siècle. Nous, citoyens, exigeons l’usage de l’air public : le médium est le message. Si le pouvoir devient de plus en plus déshumanisé avec les machines de contrôle, la technologie réagit en réinventant des dispositifs anti-establishment. [...]

GuerrilaDrone essaye d’inverser la logique du panopticon comme système opaque de contrôle en étendant les possibilités d’action directe ou de performance grâce à du matériel audiovisuel aérien, créant des écrans urbains sur n’importe quelle surface.

Plus surprenant, il fait aussi référence au transhumanisme : “Le monde des drones relève de la philosophie cybernétique et posthumaniste, le monde va changer très vite”, nous a-t-il détaillé. “On a trop de pouvoir avec cette technologie, personne ne peut les arrêter, avec la robotique ‘terrestre’ l’humain garde encore la supériorité sur les robots, mais avec la robotique ‘aérienne’, ils sont supérieurs. C’est pour ça que mon blog s’appelle ‘Hacked freedom’ : les drones ont une liberté que légalement personne ne leur a donné, et que personne ne peut leur enlever.”

Pour Lot, le projet ne parle pas de la société de surveillance mais “du pouvoir des drones par rapport aux humains, et du pouvoir de la technologie aux mains des activistes et non des gouvernements ou des militaires.”

À ce titre, il suit d’un œil inquiet le sujet, citant la possibilité de drones qui tuent automatiquement, sans assistance humaine, ou encore la volonté d’étendre leur usage en Europe. De quoi alimenter encore les velléités de détournement.


Photo via Guerilla Drone ©

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