Le tournant des pirates allemands
Ce dimanche, le Parti Pirate allemand est entré une quatrième fois dans un parlement régional. La petite formation d'opposition peut maintenant prétendre entrer dans une coalition gouvernementale. Mais attention à la crise de croissance qui pourrait diluer son discours percutant.
Quatre élections régionales, quatre succès : le Parti Pirate a réalisé un sans fautes lors de la série d’élections régionales qui s’est déroulées depuis cet automne outre-Rhin. À chaque fois, il est parvenu à faire élire pour la première fois des représentants, de quoi lever de grandes espérances, à seize mois des législatives. La formation est désormais présente dans un quart des parlements régionaux.
Ce dimanche, il a obtenu 7,8% des voix en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé et le plus riche, soit vingt sièges, ce qui en fait leur plus grosse délégation. Le SPD est arrivé largement en tête, infligeant une claque à la CDU, avec 13 points de plus.
Le bal des pirates avait été ouvert en septembre avec leur entrée fracassante au Parlement de Berlin, suivi de celui de Sarre et du Schleswig-Holstein. À chaque fois le score oscillait autour de 8%. Ils se sont permis à deux reprises de dépasser le FDP, partenaire mal en point de la coalition conservatrice emmenée par la chancelière Angela Merkel. Quant à Die Linke, l’extrême-gauche, elle est en déroute. Ils talonnent les Verts, et un sondage – un peu optimiste – les avaient même placés devant eux le mois dernier.
Fondé en 2006, dans la foulée du premier Parti Pirate, né en Suède, cette jeune formation parvient à séduire avec son programme dont le cÅ“ur se focalise sur le numérique – légalisation, défense des libertés numériques, open governement -, et qui l’élargit petit à petit pour assoir sa crédibilité, comme en témoigne leur soutien au revenu de base. Ils prônent le retour à une démocratie participative horizontale, la “démocratie liquide”, avec par exemple la mise en place de leur outil LiquidFeedback : il permet de proposer des initiatives, en soutenir ou amender, et celles qui ont retenu le consensus sont ensuite proposées par les élus. Alors que le système politique parait usé et que la répression se renforce contre le téléchargement illégal, le programme fait mouche et se traduit par des bulletins sonnants trébuchants dans les urnes et en nombre d’adhérents, qui sont venus grossir les rangs après chaque victoire.
La fraicheur perdue des Verts
Faire de la “politique autrement”, accent mis sur un thème nouveau, le cocktail rappelle celui des Verts à leur départ, voilà quarante ans. Des Verts qui se sont à leur tour institutionnalisés en participant à des coalitions et ont perdu leur fraicheur initiale. À ce titre, le transfert des Verts vers le Parti Pirate de l’épouse de l’ex porte-parole de WikiLeaks qui a lancé OpenLeaks, la médiatique Anke Domscheit-Berg, ressemble à un symbole.
Et c’est le défi principal qui attend le PP : gagner du poids sans être rattrapé par un système qu’ils ont la prétention de hacker, de rebooter, pour tirer la métaphore informatique. Le succès soudain peut se révéler un cadeau empoisonné, comme l’analysait Pavel Mayer, élu au parlement de Berlin cet automne :
C’est effrayant. Avec ce succès un grand nombre de responsabilités arrivent, et aussi d’attentes, que nous ne pouvons pas satisfaire. Il y a une évolution qui passe par le parti. Beaucoup de personnes l’ont rejoint, et ils doivent y être intégrés. Aussi ces 10 à 11 % que nous avons atteints signifient-ils plus de travail pour chacun de nous. Et c’est ce qui est effrayant.
Rejoindre ou pas une coalition, la question s’est posée plus vite que prévue. Le PP souhaitait échapper à l’habituel clivage droite-gauche. Mais dans la pratique, il faut bien un jour se placer d’un côté. Quand nous avions rencontré des élus berlinois peu après leur victoire, l’heure était à l’apprentissage prudent, dans l’opposition. Alex Morlang avait justifié cette position :
En Allemagne, des partis surgis de nulle part ont explosé, ils ont rejoint une coalition et ils ont perdu. Il est difficile et long d’apprendre comment le système marche, ce n’est pas une option, si nous rejoignons la coalition, nous serons réduits en pièce ou déchiquetés.
Depuis, le champagne a coulé sur leur navire et on a vu le PP proposer son soutien à une probable coalition SPD-Les Verts- au Schleswig-Holstein. Ce geste a été interprété comme un pas en direction de la gauche.
Faut-il se précipiter dans les bras d’une coalition gouvernementale, si l’occasion se présente, rien n’est moins sûr pour Sebastian Nerz, l’ancien président du PP, récemment remplacé :
On ne doit pas reculer devant les responsabilités. Mais nous ne devons pas nous concentrer sur la participation à un gouvernement. Il nous faut apprendre le travail parlementaire et nous devrions être préparé à passer d’abord une première période législative à ça et ensuite envisager une coalition gouvernementale.
Si la situation devait se présenter, par exemple parce que d’autres coalitions ne sont pas possibles ou parce que beaucoup de nos objectifs pourraient être atteints, il ne faudrait pas reculer. Mais cela ne devrait pas figurer en haut de la liste de nos tâches.
En parallèle, le Parti Pirate doit continuer d’élargir son champs de proposition. “Ce n’est pas assez de se concentrer simplement sur nos sujets initiaux, poursuit Sebastien Nerz. Il n’y a rien à gagner à bâtir à la hâte un programme complet mais nous ne devons pas non plus ignorer les sujets hors de notre cÅ“ur d’action.”
Nouveau président
Cette entrée dans l’âge adulte est incarné par le profil atypique du nouveau président du PP. Le jeune geek informaticien a cédé la place à Bernd Schlömer après leur congrès d’avril. Ce quadragénaire, qui s’occupe de la formation au ministère de la défense, catholique pratiquant, père de famille au look old school, est d’abord passé par Transparency international, où il travaillait à la lutte contre la corruption en entreprise. Si on est loin du combat en faveur de la légalisation des échanges de fichiers, il y a un point commun : la volonté de transparence.
Son objectif à moyen terme est la participation à une coalition gouvernementale. Mettre de l’eau dans le vin du parti lui semble naturel. Contrairement aux informaticiens, ou du moins l’image qu’il s’en fait :
Ils pensent binaires. Une chose doit être bonne ou mauvaise. Il est difficile de les amener à un compromis. Pourtant la politique comporte parfois des compromis.
Bernd Schlömer a été élu avec 66% des suffrages… des 1 500 membres présents. Ce qui ne fait jamais que 4% des 25 000 adhérents. Reste à savoir si sa direction représente bien celle de la base.
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