God Save the net

Le 5 avril 2012

"V pour Vendetta" projeté dans la réalité. Avec un peu d'avance sur certaines réflexions sécuritaires françaises, une partie du gouvernement britannique conçoit actuellement un dispositif législatif permettant une surveillance globale et systématique d'Internet. Au nom de la lutte contre le terrorisme, en général. Parce que la terreur est partout, Sir.

La surveillance généralisée et le contrôle accru des réseaux de communication. Des thématiques décidément à la mode. Dernier avatar de cette tendance en France :  l’annonce par le président-candidat Nicolas Sarkozy de la création d’un délit de consultation des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Au Royaume-Uni, les autorités ont poussé le bouchon sécuritaire un peu plus loin. Selon une représentante du ministère de l’Intérieur (Home Office), un nouveau projet de loi est dans les tuyaux. Citée par le Guardian , elle affirme qu’il aura pour objet de lutter plus efficacement contre “les crimes graves et le terrorisme”.

Le mot ici aussi est lâché. Des deux côtés de la Manche, c’est donc la crainte des vilains terroristes qui pousse à une surveillance généralisée du réseau. Et des activités de l’ensemble de ses utilisateurs.

Surveillance généralisée

Les informations qui ont filtré sont pour le moins fragmentaires. Chez Big Brother Watch, association britannique de défense des libertés, Emma Carr, directrice adjointe, nous précise : “Des réunions secrètes ont eu lieu avec des députés ou des représentants de l’industrie”. Avec pour objectif de préparer un projet de loi, qui devrait être présenté lors du discours de la reine le 9 mai. Tradition toute britannique, ce discours fixe en effet les orientations législatives du royaume pour l’année à venir.

L’idée est de mettre en pratique le rêve de toute agence de renseignement qui se respecte : un dispositif de surveillance généralisée et permanente de l’ensemble des communications électroniques et téléphoniques d’une population. Selon Emma Carr, les choses sont plutôt claires: ” ce sont les membres du GCHQ qui sont à la manœuvre”.

Le Government Communications Headquarters (GCHQ), l’une des trois agences de renseignement britannique, spécialisée elle dans la surveillance électronique. Et à ce titre le plus grand service occidental d’interception des communications, derrière la NSA (les “grandes oreilles” américaines). Son slogan, “Maintenir notre société sûre à l’ère d’Internet”, est digne d’un Minority Report , dans lequel l’auteur de science-fiction Philip K. Dick imagine une police omniprésente, qui arrête les criminels avant même qu’ils aient eu l’idée de commettre leur méfait.

Deep Packet Inspection

Si nous n’en sommes pas encore à la prévision des crimes par des humains mutants en état de stase, le gouvernement souhaite se doter d’un système permettant d’accéder à l’ensemble des “données de communication”. Et ce en se passant de l’autorisation d’un juge.

Selon les explications des représentants du gouvernement, le système reposerait essentiellement sur les intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à Internet, opérateurs téléphoniques, hébergeurs). Et permettrait aux renseignements d’avoir accès en temps réel à une sorte de registre de communications de l’ensemble des citoyens de sa majesté. Chat, SMS, mails, appels téléphoniques, tout y serait consigné, ainsi que leurs horaires, fréquences, durées. Pour le contenu des échanges en revanche, une utilisation préalable resterait nécessaire.

En l’état du droit britannique, comme dans la majeure partie des démocraties occidentales, de telles données ne sont accessibles que dans le cadre d’une enquête, et après autorisation du juge. Les derniers chiffres disponibles [PDF] font état de 525,130 demandes en 2009, provenant de multiples autorités dépendant de près ou de loin du gouvernement, dans le cadre du Regulation of Investigatory Powers Act 2000 (RIPA).

Pour les spécialistes du réseau, cette surveillance généralisée d’Internet devrait passer par une technique déjà connus : le Deep Packet Inspection (DPI). Le même type de technologie que celle vendue par la société Amesys à la Libye du colonel Kadhafi.

L’agenda des services

Isabelle Sankey, du lobby de défense des libertés publiques Liberty, voit clairement dans ce projet de loi l’œuvre des services de renseignement :

Quel que soit le gouvernement, les grandes ambitions d’espionnage des agences de renseignement ne changent pas.

Chez Big Brother Watch, Emma Carr pointe également l’opportunisme politique de certains membres du gouvernement : “Les libéraux-démocrates [NDLR: dont le leader, Nick Clegg, est aujourd'hui Vice-Premier ministre] avaient férocement combattu un projet similaire en 2009. Je me demande comment ils vont se positionner au Parlement”.

En 2009 déjà, un projet de loi similaire avait été en effet débattu au Parlement. Introduit par le gouvernement travailliste, il avait été ajourné après une importante mobilisation au sein de la société civile. Des membres du parti de Nick Clegg manifestent d’ores et déjà leur opposition et ont obtenu du Vice-Premier ministre la tenue d’auditions publiques au Parlement. Au cours de son discours d’investiture, le leader des libéraux-démocrates disait d’ailleurs vouloir “enterrer la société de surveillance”.

Les associations de défense des libertés et certains acteurs d’Internet se mobilisent également pour son ajournement. Ces derniers pointent d’ailleurs les difficultés et le coût de la mise en place d’un système de surveillance généralisé. Et les conséquences que cela pourrait entraîner, comme la massification de techniques de contournement. Et Emma Carr de conclure :

L’idée est de faire comprendre qu’un tel projet de loi est tout simplement inacceptable dans une société démocratique.


Photos sous licences creative commons par Dr John 500, Jt Blackwell

Édition photo par Ophelia Noor pour Owni /-)

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