“Allo, c’est Google Translate”

Le 18 avril 2011

Un traducteur C3P0 dans un mobile. Avec Google, les téléphones peuvent analyser une conversation en langue étrangère et en proposer une traduction orale ou écrite. Un projet qui pourrait bouleverser notre façon de percevoir les frontières.

Pendant que les politiciens s’agitent puérilement, de moins en moins synchrones avec le reste du monde, ce dernier continue, lui, sa marche tranquille vers l’abaissement concret des frontières entre les hommes. J’ai déjà évoqué, dans deux précédents billets, cette notion de singularité, moment de basculement historique où l’humanité verra émerger une véritable « intelligence » de la part des machines. Aujourd’hui, une nouvelle étape, modeste mais prometteuse, vient d’être franchie dans les technologies de communication entre les peuples.

C’est jeudi 10 février qu’un article est assez discrètement paru, décrivant la nouvelle application de traduction Google à la volée. Attention, je ne parle pas ici de la maintenant célèbre traduction Google en ligne, mais de sa version mobile et à partir de la reconnaissance vocale.

L’idée générale est la suivante : en utilisant l’application mobile sur un téléphone Android, un utilisateur peut capter et enregistrer les paroles d’une tierce personne, les envoyer, toujours par téléphone, à Google, qui se charge ensuite de traduire dans un langage ciblé et de renvoyer le texte résultant pour qu’il puisse être, au choix, lu par l’utilisateur sur son écran ou entendu directement par le téléphone.

En pratique, le son enregistré est envoyé dans un format idoine aux serveurs de Google qui se chargent ensuite de rapidement découper les phonèmes en accord avec la langue source choisie par l’opérateur du téléphone. La puissance de calcul des serveurs du géant californien (un gros million, tout de même) lui permet d’assurer une assez bonne analyse vocale. Une fois le son transcrit dans un texte à peu près cohérent, la même puissance de calcul et la base statistique établie sur des millions de textes permet d’obtenir une traduction à peu près correcte. Soit le texte est renvoyé au téléphone (qui peut se charger assez facilement de la synthèse vocale) soit la synthèse est directement effectuée depuis les serveurs avant d’être renvoyée, prête à l’écoute, sur le téléphone.

Quelques remarques

Oui, la qualité de l’analyse vocale est perfectible. On est encore loin de l’oreille humaine.
Oui, la qualité de la traduction à la volée est encore un peu faible. Très suffisante pour les conversations de base où il s’agit essentiellement de demander son chemin, négocier un prix dans une boutique ou d’obtenir des informations de base, ce système, on s’en doute, n’est cependant pas suffisant, et loin s’en faut, pour permettre une relation commerciale, diplomatique ou amicale plus poussée…
Oui, le temps de latence générale pour obtenir la traduction est encore suffisamment important pour tuer proprement toute spontanéité dans l’échange.
Et oui, enfin, il est évident que l’interface utilisateur proposée est encore rudimentaire et manque de souplesse. Les manipulations tactiles sont encore importantes pour corriger les approximations que font les machines.

Vers la traduction sans latence

Mais prenons, si vous le voulez, un peu de recul, pour apprécier d’où l’on vient, avant d’envisager regarder de l’autre côté, et d’estimer où l’on va et à quel rythme.

Il y a 10 ans, en 2001, Google avait 3 ans et 3 milliards de pages indexées. La quantité de données disponibles n’étaient pas encore suffisante pour ne serait-ce qu’imaginer une traduction purement textuelle de l’anglais vers le français, sans que le résultat ne fasse franchement rire.

Il y a 10 ans, le débit moyen disponible dans la plupart des pays pour l’utilisateur lambda frôlait hardiment les 56 kilobits par seconde.

Il y a 10 ans, il y avait 1 milliards d’abonnés au mobile, mais très rares étaient ceux qui pouvaient accéder à internet avec.

Le monde en 2009: faits et chiffres relatifs aux TIC - Source UIT

Aujourd’hui, Google a indexé 3000 milliards de pages, les traductions fonctionnent pour une dizaine de langues et les résultats rudimentaires obtenus, s’ils n’ont bien évidemment pas la qualité de traducteurs professionnels, n’en sont pas moins utiles pour les petits travaux de tous les jours : qui n’a jamais acheté sur internet dans un pays étranger, quitte à faire traduire le site ou la correspondance -facture inclue- depuis une langue inconnue vers la sienne ?

Aujourd’hui, il y a plus de 5 milliards d’abonnements à la téléphonie mobile, dont un demi-milliard se connectent à internet. Ces 500 millions de personnes le font en haut débit et sont, potentiellement, des utilisateurs de la technologie proposée par Google. Cette dernière, comme toutes les technologies basées sur les statistiques d’utilisation, s’enrichit et s’enrichira de toutes les expériences qui seront tentées ; autrement dit, chaque nouvelle traduction sera un élément ajouté à la gigantesque base de données permettant d’améliorer les traductions futures. Avec plusieurs centaines de milliers d’essais et corrections par jour, voire par heure, on imagine que, dans 10 ans, le système se sera grandement affiné.

Abattre la barrière du langage

L’étape suivante apparaît dès lors limpide et certains, comme chez Samsung, y travaillent déjà : la traduction à la volée, sans temps de latence, et avec une qualité bien supérieure.

Ne nous leurrons pas : il faudra encore des années pour que les traductions automatiques soient d’un niveau suffisant pour qu’on envisage sérieusement de se passer de bilingues humains chevronnés. Mais la question n’est plus du tout de savoir si on arrivera, un jour, à un tel niveau. Elle n’est d’ailleurs même plus de savoir quand, puisqu’on peut maintenant compter en années et non en décennies ou en siècles.
La question qui reste réellement est d’envisager les changements sociétaux profonds que cette technologie va offrir.

Une des barrières les plus importantes entre deux pays est en effet celle de la langue. A mesure que celle-ci s’abaisse, on imagine sans mal l’accroissement rapide, voire exponentiel, des relations commerciales, diplomatiques et humaines entre des pays auparavant éloignés. La disparition progressive des barrières douanières a, par exemple, été un excellent exemple de ces multiplications relationnelles fructueuses sur les dernières décennies. D’ailleurs, le fait même que cette technologie ait pris naissance dans un pays où l’innovation est largement encouragée, dans un contexte de mondialisation générale poussé, n’est sans doute un hasard.

J’entends déjà les esprits chagrins pleurer sur les métiers de traducteurs, d’interprètes ; oh, il leur reste encore de belles années, mais oui, effectivement, leur métier va, comme beaucoup d’autres lors des cent dernières années, disparaître. Tout comme apparaîtront sans aucun doute des métiers connexes dont on ne sait pas encore comment ils s’intègreront avec cette nouvelle donne.

Mais il semble déjà évident que le gain humain d’une telle technologie, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, dépassera probablement ce que l’on est en mesure de concevoir maintenant.

>> Billet initialement publié sur Hashtable sous le titre “Not lost in translation anymore”

>> Photos Flickr CC-NC-NDL PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification par Florin Hatmanu.

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