Liberté d’expression: en Chine, Twitter fait la révolution

Le 23 décembre 2010

Pour Wen Yunchao, célèbre journaliste et blogueur chinois qui a reçu le Prix des droits de l'Homme de la République française, "l’Internet ouvrira la porte de la démocratie en Chine".

Figure emblématique des « journalistes citoyens » et spécialiste des sujets « casse-tête » aux yeux de la police de l’Internet en Chine, Wen Yunchao (blog, Twitter, en chinois) a été récompensé par la France en devenant l’un des lauréats du Prix des droits de l’Homme de la République française pour l’année 2010, décerné par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), chargée de conseiller le gouvernement sur ces questions. Contrairement à Liu Xiaobo, le Prix Nobel emprisonné, Wen a pu se présenter à Paris pour la cérémonie de remise du prix. Rencontre avec un homme libre, et qui combattra à tout prix pour continuer à l’être.

« Vent du nord », son pseudo, souffle fort sur la Toile chinoise. Journaliste à l’origine, Wen Yunchao a vu sa réputation s’établir surtout en 2007, après la couverture en temps réel d’une « promenade collective » (l’appellation chinoise pour une manifestation) de riverains opposés à la construction d’une usine de produits chimiques PX à Haicang, zone industrielle à moins de 10 kilomètre du centre ville de Xiamen. L’affaire est connue en Chine comme « l’affaire PX de Xiamen ». En l’absence des médias traditionnels, qui avaient reçu l’ordre de rester muets sur l’événement, le blogueur s’est rendu sur place et a couvert le déroulement de la manifestation en utilisant son téléphone portable, puis l’Internet, devenant ainsi « la seule source d’information en continuité sur le terrain », selon les internautes chinois.

Et ce n’est qu’un début. Wen va vite comprendre la force, le potentiel de l’Internet, élargissant l’horizon du « journalisme citoyen » doté d’outils issus des nouveaux médias. À partir de 2009, l’ancien journaliste a su s’imposer sur le web chinois, malgré la sévère censure et la répression de la police de l’Internet. Il s’est engagé à démocratiser, auprès des internautes, les méthodes de contournement des filtrages de la Toile, comme le “Great Firewall”, la grande muraille de la censure chinoise.

Nanfang Renwu Zhoukan (Southern People Weekly) l’a présenté comme l’un des « meneurs de la Chine en 2008 », et l’hebdomadaire Shidai Zhoukan comme l’une des « 100 personnalités qui influencent le processus de l’évolution en Chine » en 2010. Interviewé par OWNI.fr, Wen Yunchao, contrairement à la témérité que sa taille pourrait lui donner, impressionne par ses raisonnements structurés, ainsi que la manière calme et discrète qu’il a de se confier.

« Pour l’avenir du pays, le pont est là, nous n’avons qu’à le traverser. »

OWNI. Qu’avez-vous à dire sur le Prix des droits de l’Homme que vous remportez en France cette année ?

W.YC. Honoré mais triste aussi. En matière de droit de l’homme, la Chine aujourd’hui inquiète (encore) le monde au même titre que les pays comme la Birmanie ou le Zimbabwe, il n’y a pas de quoi être fier ! Mais en même temps, ce prix honore tous les gens qui, en Chine, contribuent courageusement sur Internet à améliorer la situation. Pour le même objectif, nous faisons la même chose – ils font d’ailleurs peut-être mieux que moi, je suis simplement l’un d’entre eux, qui suis choisi pour être là aujourd’hui.

OWNI. Quels sont vos armes de combats contre la censure de l’Internet ? Et pour les citoyens, comment peuvent-ils contourner le filtrages ?

W.YC. Prenons l’exemple de Twitter. C’est intéressant de voir que Twitter est utilisé dans beaucoup de pays par les “people”, tandis qu’en Chine nous sommes obligés de l’utiliser pour débloquer la diffusion de l’information, et pour alimenter la mise à jour des événements « bloqués » par les médias traditionnels. C’est là que l’on s’est rendu compte que l’Internet ouvrira la porte de la démocratie en Chine. Avec l’arrivée de l’ère de ces nouveaux outils en ligne, ce processus de démocratisation va certainement beaucoup s’accélérer. C’est ce qu’on appelle « la Twitter révolution ».

En fait, il n’y pas de différence entre nous, les soi-disant « militants », et les « citoyens normaux », parce que nous sommes tous des « témoins d’actualité » participant aux « affaires publiques ». On ne parle plus de professionnalisme, mais de témoignage. Il suffit de se demander si l’événement a un intérêt public. Après, que ce soit par l’API, le VPN ou encore SSH pour ne citer que ces exemples, les moyens pour « grimper le mur » de filtrage sont à la disposition de tous.

Quelques astuces quand même : pour qu’une information survive, il faut qu’elle soit publiée rapidement avant que l’autocensure des sites ne réagisse, qu’elle soit mise sur les plateformes diversifiées et qu’elle soit destinée aux personnes très actives sur le Net, que j’appelle des « pivoteurs d’information ». Des réseaux privés et sociaux fonctionnent de plus en plus, et on a constaté que l’information finira toujours par circuler. Après tout, nous aspirons à la liberté et aux droits du citoyen presque de la même manière que nous avons besoin de l’air et de l’eau. Les autorités chinoises ne peuvent plus négliger cette force et contrôler tout ce qu’elles veulent, comme elles le faisaient quelques années plus tôt.

OWNI. A propos du filtrage de contenu sur Internet, que pensez-vous de la loi Loppsi en France ?

W.YC. Je ne me permettrais pas de me prononcer sur la légitimité de cette loi. Mais généralement, je prendrai la situation en Chine pour comparer, et il y a trois choses à voir : si les mesures sont transparentes, s’il existe des moyens de recours disponibles en cas de condamnation, et si l’intervention de la police est jugée excessive par l’opinion publique.

À mon sens, je pense que la question est plutôt celle de savoir ce que l’opinion publique est prête à céder, en terme de droits, au profit de l’intérêt public sur certains sujets qu’elle juge majeurs. Ce qui est sûr, c’est que toute mesure de restriction sans accord préalable est illégitime. Reste à voir s’il y a des instances de contrôle et de révision de l’application de la loi, comme des ONG par exemple.

Or, ce n’est pas le cas en Chine, où toutes les opérations sont exécutées dans une « boîte noire », sans aucun moyen de recours ; les filtrages de contenus (blocage de sites ou d’articles, mots-clefs filtrés, NDLR) sont imposés partout, y compris au sein même des ordinateurs des particuliers, comme avec le « Great Firewall », sous prétexte de filtrer le contenu pornographique. Et il n’y a aucune instance de contrôle qui peut contester cette mesure. Donc je pense que l’on ne parle pas du même niveau de « filtrage » en France qu’en Chine. Les contextes sont différents.

OWNI. Qu’est-ce qui vous a poussé à signer la Charte 08, en dédaignant les précautions d’usage ?

W.YC. Tout simplement parce que je trouve que ce manifeste pour la démocratie est paisible, raisonnable. Il a proposé une piste de réflexion sur l’avenir du pays. Je vais d’ailleurs continuer à m’avancer sur cette piste, avec des milliers de gens comme Liu Xiaobo. Pour moi, la Charte 08 a indiqué là où il y a un pont vers une Chine libre et démocratique : le droit de vote appartient au peuple, la limite des pouvoirs et le contrôle des pouvoirs aussi. Si vous examinez de près ce que le Premier ministre Wen Jiabao a prononcé, dans plusieurs circonstances, concernant la réforme qu’il pense nécessaire à mener en Chine, vous allez voir que les principes sont quasiment les mêmes que dans la Charte 08 ! La France, l’Angleterre et les États-Unis ont déjà connu semblable traversée. Pour l’avenir du pays, le pont est là, nous n’avons qu’à le traverser.

OWNI. Et vous avez ressenti l’air libre en France pendant votre séjour à Paris ?

W.YC. (rire) Quelques jours, c’est trop court… Mais ce qui m’impressionne, c’est que j’ai l’impression d’avoir baigné dans un joli musée vivant. Des ruelles, des maisons, des demeures… Beaucoup datent d’il y a quelques décennies, de grands noms de l’histoire ont vécu dans ces maisons précieusement conservées et protégées. J’ai envie de connaître leurs histoires. La Chine a aussi une longue histoire qui a bercé la splendide civilisation chinoise, mais aujourd’hui, même à la capitale Pékin, il nous reste plus grande chose. On a l’habitude de voir des chantiers de construction, de démolition, de reconstruction… On dirait un cycle infini, qui ne nous laisse plus rien pour nous rappeler notre culture et notre histoire… (silence)

OWNI. Vos attentes pour le futur ?

W.YC. Le pouvoir s’adapte, face à la nouvelle situation, il modère son pouvoir excessif, il rend la liberté au peuple. Ce dernier, lui, apprend à maîtriser les outils des nouveaux médias, à faire entendre sa voix, à faire connaître sa force et à s’exprimer plus efficacement son besoin.

Suivez Irene Hu sur Twitter @hu_ehan

Illustrations : dessin et photo de Wen Yunchao ; The revolution will be Twittered CC Flickr LeBlogEveryMac

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés