Girly porn diaries

Le 19 novembre 2010

Des revues de son adolescence à la banalisation du porno, Agnès Maillard s'est penchée pour OWNI sur le cul côté filles. Entre ses aspirations et la réalité, notre Monolecte est resté sur sa faim.

Quand OWNI m’a demandé d’écrire un papier sur le sexe, enfin un truc girly trash porn, j’ai commencé par beaucoup m’en amuser, un peu comme si le Louvre commandait à Gilbert Montagné une étude sur le rendu de la lumière dans l’œuvre de Rembrandt !

Après m’être longuement creusé la nénette pour savoir ce que j’allais bien pouvoir déballer sur cet épineux sujet, j’ai fini par pondre un truc bien monolectien, sur le cul vu du côté la lutte des classes, jugé un peu trop engagé et qui a donc logiquement atterri chez moi.
Puis, j’ai décidé de réfléchir à la question.

Qu’est-ce que j’y connais au porno, pour commencer ?
Pas grand-chose.

Voilà ce que l'on trouvait autrefois sous le lit d'un ado.

À une époque, c’était des histoires de petits cinémas glauques où de vieux messieurs moches et seuls allaient se palucher pitoyablement sur des sièges de velours rouges tout tâchés. C’était aussi des magazines criards planqués tout en haut des présentoirs des marchands de journaux, là où les petits garçons ne pouvaient s’élever, même à la force du poignet. C’était des photos toutes froissées par un usage intensif que des garçons à peine pubères se refilaient à la récré derrière les chiottes en gloussant comme des dindons mal dégrossis. C’était aussi, pour les plus rusés d’entre mes copains, le cahier central de Vidéo7, le seul magasine qu’ils pouvaient acheter sans passer pour des pervers déliquescents. Bien sûr, il fallait un microscope pour mater les jaquettes bien explicites du cahier central spécial porno, mais comparé aux pages lingeries de La Redoute, ce devait être la plongée directe du club Mickey à Sodome et Gomorrhe.

Et côté filles, me direz-vous ?

À l’heure où nos petits cerveaux malléables baignaient littéralement dans une tempête hormonale, le sujet était forcément de la plus haute importance dans notre pensionnat de jeunes filles bien élevées dont quelqu’un jetait la clé au fond d’un puits tous les lundis matin pour ne la retrouver que le vendredi soir. Et notre curiosité était au moins aussi immense que notre ignorance dans le domaine. L’éducation sexuelle de l’époque était totalement indigente, limitée à une heure de biologie avec une coupe transversale des organes reproducteurs présentée en troisième sous les rires éraillés des garçons et puis c’est tout. Le sexe, c’était dans le courrier des lectrices de Podium et de ce genre de sous-magazines pour gamines pubères, avec des questions vachement importantes comme “faut-il coucher le premier soir” ?
Et bien sûr, les récits instructifs des grandes :

  • “quand une fille marche avec les genoux écartés comme ça, c’est qu’elle a couché”
  • “J’ai fait une pipe à travers un jean, est-ce que je peux tomber enceinte ?”

On ne savait pas de quoi elles parlaient, et manifestement, elles non plus. En fait, s’intéresser au sexe, quand on était une fille, c’était assez limite. Juste des discussions ignares et confuses, le soir après l’extinction des feux. Une fille qui aurait ramené un journal de cul ou maté un porno, ça aurait plutôt été une salope qu’une exploratrice. Vu des adolescentes, le sexe, c’était regarder langoureusement les garçons à travers son mascara grumeauté à grands paquets tout en espérant un palot pas trop baveux à la gare routière, le vendredi soir, avant de rentrer sagement à la maison.

J’avais une amie qui n’avait pas très bien intégré les codes du genre. Un jour, elle ramena un roman porno qu’elle avait dû piquer à son grand frère ou à sa mère, un truc qu’on lisait avec émois sous les couvertures tout en essayant de comprendre un vocabulaire stratosphérique rempli de vît, foutre, con, chatte, pine, gland, etc. Le porno dérobait à notre perception sexuelle ce qu’il étalait à pleines pages pour les garçons. Pendant que les copains se tapaient des concours de branlette après l’extinction des feux, on en était encore à penser que le touche-pipi, c’était sale et dépravé et à se demander si, pendant une pelle, il convenait d’ouvrir la bouche et… mais qu’est-ce qu’on pouvait bien foutre de la langue?

Un jour, la copine au livre expliqua qu’elle s’était masturbée abondamment et avec une belle réussite avec son stylo encre de service, éveillant la curiosité de la plupart d’entre nous et la jalousie d’une autre. Le lendemain matin, elle fut saluée dans la cour de récré par un garçon avec un langoureux “bonjour Stypen”. Ça n’a duré que quelques semaines, mais elle en fut profondément mortifiée et stigmatisée. Elle était la salope, la branleuse, la pute. Les autres nanas l’évitaient soigneusement pour ne pas être contaminées par sa réputation sulfureuse et je suppute que les garçons se sont astiqué le manche bien des fois en pensant à elle secrètement…

Et puis, est arrivé Canal +

Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais d’un seul coup d’un seul, le truc un peu poisseux qui se planquait sous le manteau arrivait directement dans le salon de quelques privilégiés respectables. Le porno du samedi soir ! Enfin pas tous les samedis non plus, fallait pas être trop gourmand ! Mais tous les premiers samedis du mois, c’était l’institution : avec une passoire correctement agitée devant les yeux, on pouvait espérer déchiffrer quelque chose dans les bacchanales cryptées. Le vrai sport, pour les ados de mon calibre, c’était donc de se retrouver invités le jour qu’il fallait, dans une maison correctement équipée et jouer finement de l’emploi du temps pour que les parents soient absents pendant le créneau fatidique.
Autant dire que ce n’est pas arrivé souvent !

Des années de curiosité réprimée et insatisfaite qui vont céder devant le tsunami de la banalisation du sexe. Canal+ ouvre la brèche dans laquelle s’engouffre une foultitude de chaînes et de programmes. Le cul devient décomplexé à tel point qu’on finit par savoir ce qui même ne nous intéressait pas. Petit coup de zapping mou et hop, immanquablement, on finit par tomber sur une vulve ouverte à tous les vents. À se demander si le trop n’est pas l’ennemi du bien.

Terminée, la griserie de l’interdit, le subtil frisson du voyeur qui découvre ce qui lui est si fermement caché. Du cul, du cul, du cul, partout, tout le temps, à tous les étages. Ça fourre, ça couine, ça gémit en de grands hahanements bien appuyés. C’est comme une grosse bouffe avec une farandole de desserts qui n’en finit pas… totalement indigeste et vaguement écœurante.

Et si, au moins, ça faisait monter la température dans les culottes ! Mais non. Des vulves, des seins, des anus, des doigts et, de temps à autre, une bite qui fourre tout ça comme si elle voulait éclater la taupe au fond du trou. Les films se ressemblent tous : de petites nanas dépoilées et siliconées, avec de petits culs lisses si étroits qu’on se demande comment elles peuvent supporter de se faire désarticuler par des empaleurs en série qui ont tous des gueules de proxo mafieux des pays de l’Est.

C’est de l’érotisation de plombier ou l’art de fourrer les orifices. Avec toujours la même séquence, pratiquement filmée en macro : cuni, pipe, levrette, sodo et éjac’ faciale. Comment penser qu’une femme puisse être bouleversée par une série de petits jets de sperme en pleine poire ?
Juste des variantes. Des Noirs, des Japonaises qui couinent en se tortillant, des gods, des vieux. Et toujours de longs plans-séquences sur des nanas qui se font tringler. La métaphysique du vide, la sexualité du trou. Le porno formaté et répété ad nauseam au service de la branlette hygiéniste de monsieur. C’est tellement fait par des mecs et pour les mecs que même eux ne marchent plus à tous les coups. J’ai cherché le salut du côté du porno amateur sur Internet. Exploration sans fin (faim?) des mots clés qui égrènent tous les fantasmes, mais qui débouchent toujours, plus ou moins, sur le même manque de mise en scène d’un coït standardisé et sans âme.

Aussi, quand j’ai entendu parler du porno pour les femmes, je me suis jetée dessus comme le naufragé du Titanic sur une bouée autochauffante ! Dirty Diaries se donne carrément l’ambition de repenser la pornographie, que dis-je de la révolutionner en laissant la caméra le téléphone portable à douze réalisatrices d’obédience féministe. J’y crois, j’ai vachement envie d’y croire, comme on a envie de croire au shampoing qui te donne une crinière de lionne qui brille au soleil ou à la lessive qui lave toujours plus blanc et qui atomise les tâches qui te ruinent le linge et le moral ! Je reluque un extrait de Skin, le court le plus prometteur du lot, en fantasmant sur la recréation du genre. Et je me prends en pleine poire un manifeste pour une sexualité sans hommes. Ben oui, pour moi, le sexe au féminin, ce n’est pas quelque chose qui exclut l’homme, le ridiculise, le transforme en simple godemichet.

J’aime les hommes, de préférence dotés d’un léger pelage qui ombre leurs cuisses, leurs fesses, leur ventre, j’aime les hommes bien faits et pas forcément body-buildés, j’aime les hommes avec leurs sourires ravageurs, leurs petites pudeurs déplacées, leur fragilité soigneusement dissimulée, j’aime les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes. Et donc, forcément, pour moi, Dirty Diaries retombe comme un vieux soufflet et n’apaise en rien mon envie d’être émue par une belle et éclatante sensualité masculine.

Y-a-t-il vraiment du porno pour les femmes?

Quand je cherche du “nu masculin” sur Google images, je récupère toute une iconographie glaçante de jeunes imberbes musculeux à destination des homos. De (jeunes) hommes vus par et pour des hommes. Et ça ne me bouleverse pas.
Finalement, ils ont eu raison les petits gars (fille en fait, ndlr) d’OWNI, de me demander de me pencher sur la question du porno vu par les filles. Ce n’est pas mon univers, pas ma came, pas ma zone de combat… a priori.
Je suis arrivée sur ce sujet avec l’exaltation gourmande d’une jeune ouvrière qui vient d’être embauchée à l’usine de chocolat du coin, dans l’idée de me vautrer dans le stupre et la luxure sans culpabilité aucune : “ben, c’est pour le boulot, quoi”!
Et me voilà avec le cœur au bord des lèvres, submergée par l’abondance de chairs exposées, malaxées, par une déferlante de foutre et de vulgarité.

Oui, on veut du sexe. Mais pas de la viande.
Oui, on veut des mecs. Mais pas des sexe-machines.
Oui, on veut du porno, mais du porno qui saurait mettre en scène l’alchimie subtile du désir et de la jouissance, un hymne à la sensualité et au plaisir partagé !

Ce n’est pas gagné !

Image CC Flickr darkwood67, flickroli666, Paolo C. et Courbet retaillé par Elsa Secco

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés