TICE: Alain Chaptal prône un “optimisme prudent et pragmatique”

Le 14 septembre 2010

Retour avec Alain Chaptal sur les aspects importants de son étude "Les cahiers 24x32, mémoire sur la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution". L'occasion entre autres de faire le point sur la politique de l'administration Obama.

Ingénieur Télécom Paris et docteur de l’Université Paris X en sciences de l’information et de la communication, Alain Chaptal a réalisé une étude intitulée “Les cahiers 24×32, mémoire sur la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution”, parue en mars dernier. Il y explique que les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation) sont dévoyées dans les pays anglo-saxons afin d’évaluer les professeurs et de mettre en place une rémunération au mérite, en fonction des résultats des élèves. Mais son travail met aussi en avant d’autres points du développement des TICE, évolution qui dépend en grande partie des politiques des gouvernements. Nous sommes revenus avec lui là-dessus, l’occasion d’évoquer de façon plus générale sa vision des TICE.

Dans votre étude, vous évoquez surtout le cas des États-Unis, sans vous étendre sur la Grande-Bretagne…

Il existe des nuances mais globalement la situation évolue dans le même sens. J’ai été plus prudent en ce qui la concerne car il y avait une accélération dans la perspective des élections législatives de mai dernier. Il y avait deux phénomènes importants portés par les travaillistes : d’une part le programme lancé par Tony Blair des academies que Gordon Brown poursuivait mais un cran en dessous. C’est l’équivalent des charter schools, c’est-à-dire du financement public avec des règles dérogatoires. Un durcissement a été annoncé en direction des enseignants et du rôle des parents : le secrétaire d’État Ed Balls avait annoncé [en] une licence d’enseignement, comme un permis de conduire, valable cinq ans. Puis la coalition conservateurs-démocrates a remporté les élections. Du coup, la licence d’enseignement passe à la trappe, le vote des parents aussi semble-t-il, mais par contre il y a un accent très fort sur le modèle suédois des free schools. Le problème, c’est que les free schools sont financés sur fonds publics, elles sont libres de fixer le programme en respectant les grandes orientations, ainsi que la rémunération des enseignants, qui sont en général moins qualifiés, mais aussi de faire du profit. On ne connait pas encore le détail. Le plan de Tony Blair visait 400 academies, les annonces de Nick Gibb, le nouveau ministre de l’Éducation, faisait état de 700 déclarations d’intention d’école d’adopter ce modèle. Cela risque vraiment de déstabiliser le système éducatif anglais.

Où en est-on du projet Race to the top, ce fonds mis en place par Obama, officiellement pour inciter les États à innover et à réformer en matière d’éducation ?

La première phase de sélection du projet Race to the top a eu lieu en mars, les États étaient notés sur une échelle de 500 points, selon plusieurs critères comme la suppression de la limite sur les charters schools. Il y a eu au total douze gagnants. Les quatre milliards de dollars du projet ont été distribués. Par ailleurs, il y a une procédure en cours pour avoir une rallonge d’1,35 milliards en 2011.

L’administration Obama et son ministre Arne Duncan ont clairement dit que lier la performance des professeurs aux résultats de leurs élèves n’était qu’une des mesures qui rentraient en ligne de compte par rapport aux objectifs d’évaluation, c’est l’aspect un peu positif.

En revanche, cette phase de sélection a été très efficace, en ce qu’elle a amené beaucoup d’État, par-delà les gagnants, à modifier leur législation dans deux directions . D’une part, autoriser le dispositif des charter schools. D’autre part, modifier les dispositifs législatifs des États sur l’évaluation des enseignants et intégrant, dans des degrés variables, une paye au mérite, en fonction des résultats de leurs élèves. L’administration Obama a réussi à lancer un mouvement. Mais les syndicats sont très embêtés, on a cherché à éviter un affrontement frontal.

On a eu un premier cas [en] spectaculaire et médiatisé dans le Rhode Island où le superintendant d’un établissement a annoncé le remplacement de l’ensemble des équipes éducative de l’établissement, ce qu’ils appellent le turn around, faire table rase. Obama l’a cité comme exemple de mesure courageuse et radicale, évidemment il s’agit un établissement en échec depuis de nombreuses années qui n’avait pas évolué.

Il faut noter la présence de deux États qui ont une politique très vigoureuse en ce qui concerne la rémunération au mérite, New York et surtout la ville de Washington. La responsable de l’éducation a une politique très brutale de licenciements d’enseignants jugés non performants. Il y a quelques grands absents, comme la Californie, qui pèse énormément en terme de nombre d’élèves, et avait une politique très claire, avec des interdictions fermes dans la loi, par exemple lier les résultats des élèves à une forme quelconque d’évaluation des enseignants, qui a bougé ses textes malgré l’opposition des syndicats et qui ne se retrouve pas parmi les gagnants et comme l’État de Californie est dans une situation financière très difficile, cela risque d’avoir des effets importants avec des licenciements nombreux d’enseignants pour des raisons économiques cette fois-ci.

Des tests, encore des tests, rien que des tests... Mais pour évaluer quoi au juste ?

Vous soulignez que la logique “comptable” est une vision à court terme néfaste…

On a l’exemple de l’exemple de l’Angleterre à la fin du XIXe siècle, où la politique éducative a été pendant trente ans uniquement basée sur des tests et la paye sur le résultat de ces tests, un fiasco total : ils ont constaté qu’ils avaient décroché par rapport au système européen. C’est la loi de Campbell1 : à partir du moment où l’on met en place des indicateurs aussi contraignants, les enseignants ont un comportement rationnel, ils s’adaptent, ils réduisent la portée de leur enseignement et se concentrent sur ce qui fait l’objet des tests, ils ne font plus de l’éducation mais de l’entrainement aux tests, du bachotage, et ils s’intéressent à la population utile, c’est-à-dire les élèves qui ont une chance de progression.

Vous expliquez dans votre mémoire qu’on trouve en France des échos à cette tendance anglo-saxonne, est-ce que les syndicats ont réagi à cela ? Et y a-t-il eu de nouveaux échos ?

La FSU s’en était préoccupée, plus exactement l’extension recherche de la FSU, l’institut de la FSU, qui avait publié un petit livre au titre provocateur, Payer les profs au mérite ? en 2008 (co-écrit par Alain Chaptal, ndlr), analysant de ce qui se passait aux États-Unis à l’époque. Mais il n’y a pas beaucoup eu de relais. Et depuis mon mémoire, personne ne s’est exprimé là-dessus.

Vous vous montrez assez critique à propos d’un avatar du socio-constructivisme qui prône un fort recours aux TICE, parlant de “mirage”

Ce que je stigmatise à travers cette version de grande diffusion du socio-constructivisme, c’est ce discours imprécatoire sur la révolution pédagogique ; elle a été très relayée par les chercheurs qui sont, par définition, intéressés par les signaux faibles qui peuvent être indicateurs d’un changement et tout ce qui est nouveau : le constructivisme est une alternative, donc par nature elle suscite leur intérêt. C’est une erreur totale selon moi que de prêcher une révolution. Les enseignants font un métier difficile, ils sont confrontés à une hétérogénéité de plus en plus grande de la part de leurs élèves. Ils ont développé au fil du temps un certain nombre de techniques pour gérer la classe et assurer une progression vaille que vaille et on leur dit maintenant “vous allez oublier tout ce que vous avez fait, changer de méthodes et d’outils” et l’on s’étonne que ce discours ne les convainc pas et qu’ils aient une sage prudence.

Ce qui me parait important pour les TICE, parce que je ne suis pas du tout un sceptique, mais un optimiste prudent et pragmatique, c’est que cela permet de diversifier l’offre éducative. Cela me parait utopique d”affirmer, comme on l’a dit avant, “le serious game, les univers virtuels vont révolutionner l’éducation”. Par contre, c’est vrai que pour certains élèves, une approche différente s’appuyant sur quelque chose de plus ludique, peut constituer un moyen de les motiver et de leur faire apprendre un certain nombre de notions, par exemple en matière de culture scientifique. L’intérêt des TICE, c’est qu’elles permettent d’enrichir sans forcément bousculer toutes les pratiques et d’avoir des offres alternatives qui font s’adapter à différents profils d’élèves. Ce ne sera jamais une panacée, cela permettra de diversifier cette offre, d’être plus efficace par là-même et de laisser moins d’élèves au bord du chemin. Et c’est dans ce sens que le constructivisme a un rôle à jouer mais pas un rôle exclusif. C’est aux enseignants de maîtriser le rythme auquel ils évoluent et quand ils ont recours à ce type de pédagogie.

C’est un art qui est fait tout d’exécution le métier d’enseignant. Ce qui est fait avec une classe, une année peut être formidable et l’année suivante, cela peut très mal se passer avec le même effectif mais un échelon de plus. On est dans le détail, des réglages fins, c’est pourquoi je suis peut-être un peu trop critique vis-à-vis du constructivisme. On peut changer de méthode, cela s’est déjà fait et de façon concertée mais par rapport à des objectifs pédagogiques, ils priment.

Vous dites que les enseignants doivent aller à leur rythme. Mais face à la rapidité de l’impact de l’Internet sur nos vies dans tous les compartiments, ne faudrait-il pas bousculer les choses ?

Le problème de l’enseignant c’est que son travail consiste à faire apprendre aux élèves et je ne suis pas sûr que les changements soient si pertinents que cela. L’accès aux informations, aux documents, les fonctions de communication, peut-être ce qui va du côté du collaboratif, encore que là je serais un peu plus prudent, même si le phénomène des réseaux sociaux est important, d’accord. Mais sur l’apprentissage lui-même, sur les efforts liés à l’apprentissage, la nécessité d’une implication personnelle, là c’est moins clair. Ce sont eux les professeurs les mieux placés pour maîtriser le rythme et les conditions dans lesquelles cela peut s’opérer.

Il faut noter qu’il y a en France actuellement un déficit d’équipement, ils commencent à être vieillissant. Pour un enseignant, avoir les facilités directement sous la main, un ordinateur, connecté à Internet, avec de quoi projeter, c’est le minimum, ce n’est pas le cas dans chaque classe. C’est le rôle fondamental du ministère d’impulser la dynamique.

Ce que devrait faire le gouvernement, c’est dire aux enseignants combien c’est important qu’il prennent en compte cette nouvelle donne et qu’ils fassent en sorte que l’ensemble de l’institution, tout ce qui fait le contact professionnel des établissements, les chefs d’établissements, les corps d’inspection soient sensibilisés à cela et le valorise, et s’ils ne le font pas, les incitent à le faire. Or ce n’est pas le cas du tout. Luc Chatel avait laissé entendre qu’il y aurait un plan numérique qui serait annoncé rapidement et on attend toujours.

Ce que j’observe aussi, c’est que même dans des pays où il n’y a pas de problème logistique, aux États-Unis par exemple, dans mon étude je citais l’évaluation faite par l’association professionnelle des fabricants de logiciels, leur objectif évidement c’est de développer la e-éducation. Ils ont défini un index de l’état des lieux de l’utilisation du numérique dans les établissements scolaires pour suivre la progression. Ils viennent de sortir au tout début de l’été la nouvelle édition de leur index, cela ne bouge quasiment pas. Ils expliquent cela en disant “on a de plus en plus de gens qui constituent le panel et que l’on n’est donc plus sur les pionniers mais sur l’usage courant. C’est reconnaître en creux que l’usage courant n’est pas très important.

En France, des équipements viellissants. Les budgets seront-ils là pour renouveler le parc ?

Votre mémoire souligne aussi que la France n’est pas si en retard que cela en matière de TICE…

On ne l’est surtout pas sur le plan qualitatif. On l’est sur le plan matériel, les collectivités territoriales ont fait un effort, le ministère a fait un effort de rattrapage avec le plan école numérique l’année dernière, écoles numérique rural. avec une approche assez original pour une fois. Mais on est en retard par rapport au degré de déploiement de la technologie par rapport en Angleterre et aux Etats-Unis. Nous avons en plus des phénomènes qui ne sont pas du tout analysés et cela commence à devenir préoccupant. D’une part le vieillissement des parcs et on peut se demander si les collectivités territoriales, qui sont très sollicités, auront encore les moyens de continuer de renouveler ces parcs en temps utiles. Et aussi des problèmes de délai d’intervention, quand il y a une panne ou des vols, le temps que l’enseignant retrouve des outils peut être très long, y compris dans des départements très bien placés du point de vue des ressources.

Vous revenez aussi longuement sur les différentes expérimentations en matière de TICE aux États-Unis et en Angleterre, qui  n’ont pas eu le “retour” escompté.

Les États-Unis prétendaient, c’était undes leitmotiv de l’administration Bush, même si cela a été nuancé, cela a largement été repris par Obama, prétendait mener une politique qui soit prouvée scientifiquement. et c’est absolument pas le cas. Et les nouveaux dispositifs que promeut l’administration Obama sur le chamboulement complet -turn around en anglais-, qui sont jugés en situation d’échec, je lisais ce matin qu’une nouvelle étude montre que c’est un succès limitée ce genre d’initiative.

L’exemple tout à fait caractéristique, c’est celui de l’école du futur, qui avait été ouverte en 2006 à Philadelphie avec un fort accompagnement de Microsoft. Cet établissement, dans une zone extrêmement difficile, en ayant une approche complètement radicale, une pédagogie constructiviste, des portables pour tous les élèves, une infrastructure très développée, aucun livre de cours, polycopié, tout accessible en wi-fi ou par le réseau. l’objectif étant de développer ce qui pourrait être le prototype d’un lycée -high school- du futur. Une approche intelligente de la part de Microsoft, qui refuse d’en faire une vitrine, qui accompagne l’équipe administrative chargée de construire cet enseignement, qui les conseille. L’exemple s’est fracassé. Le dispositif technique a connu des pannes considérables, les professeurs se sont retrouvés sans rien pour enseigner puisqu’il n’y avait pas de manuels et que l’accès aux documents électroniques n’étaient pas fiables. Le projet pédagogique s’est fracassé sur la réalité du système éducatif de Philadelphie. Cette pédagogie fondée uniquement sur le projet, sans notes, s’est heurté au fait que les enseignants ont été recrutés sur des procédures assez classiques, ils n’étaient donc pas spécifiquement motivés par cette pédagogie qui leur était imposée. Second point, ils se sont heurtés aux exigences du district scolaire, qui découlaient elles-mêmes de la loi No Child Left Behind de Bush, qui fait obligation de tester les élèves sur des matières, de mettre des notes, de respecter les tests des etats etc. Le modèle a donc dû évoluer vers une approche beaucoup plus classique. De plus il y a eu de gros problèmes de management, puisque cinq directeurs se sont succédés en quatre ans et notamment les personnes charismatiques à l’origine ont disparu.

Malgré tout, elle vient de sortir ses premières promotions, le résultat global n’est pas mauvais mais dans un milieu très difficile, il y a une proportion d’élèves qui ont leur diplôme et qui doivent continuer vers une ou plusieurs formes d’enseignement supérieur. Mais ce qui était censé définir un nouveau modèle n’a pas marché.

Auriez-vous a contrario des exemples d’innovation pertinente dans l’enseignement grâce aux TICE ?

Il se passe des choses absolument formidables parfois dans ce que peut faire un enseignant dans sa relation avec la classe en utilisant la technologie. Mais plus que des cas particulier, je voudrais pointer des exemples, y compris relativement limités, où cela change l’appréhension d’un discipline. Par exemple l’enseignement des langues, qui était traditionnellement peu fondé sur l’évaluation et la valorisation de l’oral, change complètement. On peut déjà accéder très facilement à des documents authentiques, d’actualité, que l’on peut exploiter, mais aussi des dispositifs simples comme les clés mp3 qui permettent à un enseignant, plutôt que de donner un exercice sur papier, de donner un exercice oral et donc d’écouter bien plus ses élèves qu’il ne le faisait dans un dispositif classique.

L’accès aux documents permets à un professeur de géographie de concrétiser beaucoup plus facilement les phénomènes et de demander à ses élèves de faire une recherche, d’avoir une pédagogie un peu plus fondée sur des projets, plus actives. En histoire, cela permet de changer la perspective et d’inciter ses élèves à travailler un peu dans l’esprit des historiens, au lieu de simplement mémoriser les faits dans les documents ou de les interroger, mais aussi de se poser des questions sur le statut d’un document, qui l’a produit, son degré de fiabilité, quels sont les agendas cachés éventuellement, c’est-à-dire d’avoir une réflexion critique citoyenne par rapport à des sources.

Quel est votre point de vue sur le filtrage du Net dans les établissements ?

C’est un peu compréhensibles dans le contexte de protection de l’enfance actuellement, c’est aussi pour protéger les établissements scolaires car l’on voit très bien le type de scandales qui pourraient être mis en avant si des élèves se connectaient de manière durable sur un blog posant problème, etc.

En même temps, je ne pense pas que ce soit la bonne attitude sur la question, il y a des élèves qui se connectent chez eux, dans des cybercafés, chez des copains. Au contraire, il y a une véritable tache d’éducation à mettre en place. C’est vraiment de la pédagogie, faire réfléchir les élèves, il y a des enseignants qui le font y compris dans le cadre du B2i (Brevet informatique et Internet). Et c’est quelque chose qui est insuffisamment valorisé. Le B2i est une particularité du paysage français, qu’il est maintenant obligatoire de passer pour obtenir le brevet, c’est assez automatique comme procédure. Il n’y a plus de discipline qui doivent vraiment  traiter de ces questions avec les élèves, on s’en remet largement aux documentalistes.

Estimez-vous qu’il faudrait prodiguer des cours d’éducation numérique ?

Je donnerai juste un élément personnel pour éclairer ma position : je me suis longtemps opposé à certains de mes amis qui pronaient une approche d’enseignement de l’informatique. Mais maintenant, j’ai tendance à considérer qu’on est allé beaucoup trop loin dans l’autre sens en disant “cela doit être l’affaire de tous les enseignemants disciplinaires et non pas d’une discipline parmi d’autres. Des travaux de recherche très intéressants ont été faits par par l’équipe d’Éric Bruillard à l’ENS de Cachan sur le tableur notamment, qui ont montré les carences du système actuel. À aucun moment, on a expliqué quelle est la logique derrière. C’est vu souvent en cours de mathématiques  et ce qu’a démontré certaines études très bien conduites, c’est que les élèves, lorsqu’ils arrivaient au lycée, se souvenaient qu’ils avaient fait des choses mais sans compréhension profonde ni capitalisation.

Tout ce qui est de la formation à une pratique citoyenne  d’Internet, avec ses responsabilités, la sensibilisation aux dangers mais aussi aux apports, à un certain nombre de réflexes comme l’analyse des sources, doit être enseigné. Cela peut passer par la méthode de projet, pour le coup, ce n’est pas forcément délivrer l’histoire de l’Internet de A à Z. S’il n’y a pas au moins une discipline qui est chargée de cela parmi d’autres choses peut-être, je pense à la technologie au collège, c’est extrêmement dommageable.

Vous taclez au passage le mythe des digital natives…

Tout à fait, on confond ce qui est la pratique d’ordre privée, ils sont très agiles, tout le monde le reconnait mais en même temps superficiels par rapport à l’organisation des systèmes, par rapport à la réflexion sur ces systèmes, il suffit de penser à toutes les données fournies gracieusement à Facebook par la plupart des utilisateurs sans peser bien les conséquences. On parle de quelque chose qui est d’une nature différente, on parle d’apprendre, ce qui est d’abord un effort, ce n’est pas toujours très agréable. L’idée que ces digital natives vont pouvoir aller sur Internet, trouver quantité de documents qui racontent le siècle de Louis XIV et qu’ils vont tout comprendre, on sait que cela ne marche pas. L’exemple suédois qui, pour des raisons économiques, avec les free schools, avec cette nouvelle dimension de l’entreprise éducative qui recherche le profit, les Suédois ont pris des enseignants moins qualifiés dans ces écoles là que dans les écoles publiques, en insistant sur l’individualisation de l’apprentissage en disant aux élèves ‘débrouillez-vous’. résultat, la Suède dans les classements internationaux, commence à chuter.

Apparemment, l'aspect humain dans le processus de transmission des savoirs à échappé à Bill Gates. Etonnant, non ?

Pour conclure, pensez-vous comme Bill Gates que “dans 5 ans, la meilleur éducation viendra du web” ?

C’est exactement les mêmes déclarations, si ma mémoire est bonne, de Thomas Edison en 1916, sauf qu’il ne dit pas le web, il dit le cinéma : dans dix ans, notre système scolaire sera complètement bouleversé. Le web joue bien sûr un rôle plus en plus important, la mémorisation des faits a peu d’importance puisque beaucoup d’informations sont disponibles sur Internet, que l’on peut retrouver quand on a besoin d’approfondir sa connaissance du siècle de Louis XIV, on peut trouver quantité d’excellentes sources. Pour autant, cela ne supprime pas le travail de mémorisation car si on n’a pas de repères, on ne peut pas interroger les ressources, il y a un vrai enjeu citoyen. De plus, dans la vision de Bill Gates, il peut y avoir un second aspect, l’accent mis sur l’individualisation de l’enseignement. Mais cela peut pouvoir dire deux choses très différentes. Une bonne chose : que chaque enseignant puisse adapter le plus étroitement possible son cours au style personnel d’apprentissage de chaque élève, son rythme, ce serait formidable, c’est le rêve de l’approche socratique de l’éducation. Mais de plus souvent, et notamment en Suède où il y a un très très fort discours sur l’individualisation, cela veut dire qu’on demande à l’élève de prendre en charge lui-même une acquisition de connaissance ou de faits, en utilisant des ressources disponibles dans le centre documentaire ou sur Internet. et cela aboutit inévitablement, la capacité d’autonomie des élèves étant ce qu’elle est, à creuser les inégalités, et l’on a une baisse généralisée du niveau. De tels problèmes se posent déjà en Suède.

Sur la vision développée par Bill Gates, je trouve sidérant de voir cette confusion entre information et connaissance. Si cette approche était fondée, cela ferait belle lurette qu’on aurait remplacé toutes ces belles “lectures” des profs d’université par des bouquins. C’eût été plus économique ! C’est dommage qu’il n’ait pas lu ce qu’écrivaient les promoteurs de OCW (OpenCourseWare, les cours du MIT mis en ligne gratuitement, ndlr) du MIT dont son président de l’époque : en substance, ce n’est pas le contenu qui importe le plus, raison pour lequel il peut donc être gratuitement offert sur le web, mais ce sont les interactions étudiants-enseignants qui font la magie de l’éducation au MIT.

Image CC Flickr Kentucky Country Day, erinaudreychiu et dr.regor

  1. “The more any quantitative social indicator is used for social decision making, the more subject it will be to corruption pressures and the more apt it will be to distort and corrupt the social processes it is intended to monitor.” Campbell D., (1976), Assessing the Impact of Planned Social Change, The Public Affairs Center, Dartmouth College, Hanover New Hampshire, USA. December, 1976, http://www.wmich.edu/evalctr/pubs/ops/ops08.pdf 71 p. []

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