OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La guerre des tuyaux http://owni.fr/2012/04/04/interconnexion-arcep-tuyaux-guerre/ http://owni.fr/2012/04/04/interconnexion-arcep-tuyaux-guerre/#comments Wed, 04 Apr 2012 15:33:31 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=104515

L’Arcep veut fouiller les entrailles du net ! Le gendarme des télécoms cherche à comprendre les accords qui se nouent dans l’ombre, entre les différents acteurs de l’Internet, des plus connus (fournisseurs d’accès à Internet et sites) aux plus anonymes (tels que des intermédiaires techniques), afin que les octets circulent entre eux et jusqu’à l’internaute. Une décision [PDF] en ce sens a été publiée vendredi pour “la mise en place d’une collecte d’informations sur les conditions techniques et tarifaires de l’interconnexion et de l’acheminement de données” sur le réseau.

L’internaute, au bout de la chaine, a rarement conscience de ce business de coulisses. Pourtant, dès que ça bloque dans les tuyaux, l’effet peut vite se faire sentir sur sa navigation et déterminer ce à quoi l’utilisateur a ou non accès sur Internet. Ainsi pour les abonnés de Free, qui ont parfois du mal à lire une vidéo sur YouTube : une bisbille d’interconnexion ! Un cas concret à l’image d’un rapport de force bien plus large, qui oppose les opérateurs aux titans du web tels que Google ; les premiers exigeant des seconds qu’ils mettent davantage la main au porte-monnaie afin d’entretenir les infrastructures d’Internet. Car dans les tuyaux comme ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre.

Résultat, la petite spéléologie appliquée au réseau que souhaite l’Arcep divise les forces en présence. Les seuls opérateurs nationaux à avoir répondu, Orange, SFR (dont la réponse n’a pas été rendu publique à sa demande) ou Free, y sont plutôt favorables quand d’autres, en majorité représentants des sites Internet, s’opposent à une telle initiative.

Petite spéléologie appliquée au réseau

Pour l’Arcep néanmoins, la question ne se pose pas : il faut étudier ces “prestations d’interconnexion et d’acheminement de données”, qu’elle juge au “fondement” même de l’Internet. En particulier parce qu’elles renvoient à des“usages et [des] contrats partiellement non écrits et souvent non publics” peu propices à une compréhension limpide du marché. Historiquement en effet, ces accords d’interconnexion se concluent de façon informelle, au coin d’une table, autour d’une bière, et font l’objet de clauses de confidentialité.

La neutralité cachée d’Internet

La neutralité cachée d’Internet

Alors que le gendarme des réseaux, l'Arcep, présente ses travaux en conférence de presse ce vendredi matin, OWNI ...

Par ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, en matière d’interconnexion la règle n’est pas à la rétribution. Mais plutôt au troc : les raccordements au réseau n’entraînent en général aucune contrepartie sonnante et trébuchante. On parle alors de “peering”. Et à en croire une étude du Packet Clearing House relevée par Google [PDF] dans sa réponse [ZIP] à l’Arcep sur le sujet, ce serait encore majoritairement le cas à plus de 99%. Un modèle d’autorégulation, spécifique à Internet, et à la base même de sa construction. L’idée étant que chaque acteur, de taille équivalente, a intérêt à se relier à un autre. Et qu’il ne sert à rien – sauf à engendrer des frais administratifs inutiles – de facturer cette liaison, puisque le trafic envoyé par l’un est équivalent au trafic envoyé par l’autre. En somme, du gagnant-gagnant, dans lequel les trafics se compensent. Mais où il est difficile pour une institution comme l’Arcep d’y voir clair.

Pour autant, hors de question de réguler ex ante ce marché si particulier : la Commission européenne a d’ailleurs déjà communiqué en ce sens. L’autorité des télécoms française déclare simplement désirer étendre sa connaissance des usages d’interconnexion via la mise en place d’un questionnaire, auxquels certains acteurs auront l’obligation de répondre “au plus tard deux mois après la fin de chaque semestre, à compter du premier semestre 2012.” Première échéance : 31 août prochain, prévient l’Arcep, qui exige des informations très précises : “nom et coordonnées du partenaire”, “informations sur le point / site d’interconnexion” ou bien encore “conditions financières” de la liaison.

Une curiosité qui fait frémir les parties concernées, quelque soit leur bord, opérateur ou éditeur. Dans une synthèse [PDF], l’autorité indique ainsi :

La quasi-totalité des contributeurs souligne le caractère hautement confidentiel des informations demandées et invite l’ARCEP à garantir pleinement, notamment sur le plan réglementaire, la confidentialité des  données collectées (secret des affaires) et à expliciter l’utilisation effective qu’elle entend en faire.

Internet, c’est pas français

D’autant qu’un autre problème de taille s’oppose à la divulgation de ces informations : si le régulateur peut demander de telles informations à des acteurs nationaux, il paraît beaucoup plus compliqué de le faire au niveau international. Problème : qui dit Internet, dit portée mondiale. L’Arcep en a d’ailleurs pleinement conscience puisqu’elle déclare vouloir étudier “les conditions de l’interconnexion et de l’acheminement de données susceptibles d’avoir un effet sur le territoire français, et ce quel que soit l’endroit où la personne concernée est établie.” On voit mal néanmoins comment elle peut parvenir à ses fins. Ce qui ne l’empêche pas d’essayer.

Ainsi, seuls les opérateurs de communication électronique qui ont “l’obligation de se déclarer à l’Arcep” sont tenus de répondre au questionnaire. En clair, des acteurs comme les FAI (Orange, Free, etc.) ou les hébergeurs tel OVH explique l’Autorité interrogée par OWNI. Quant aux autres, en particulier les sites étrangers, le régulateur se réserve le droit de les consulter afin de “vérifier ou compléter les informations recueillies” dans le questionnaire. Entre notamment en ligne de compte les acteurs ayant développé une “démarche active” à l’égard des internautes français : outre être établi dans l’Hexagone, détenir un site Internet en .fr, proposer des contenus en français ou bien encore proposer des services fournis en France. Ce qui fait pas mal de monde.

Dans le tas, certains ont déjà fait comprendre au régulateur français qu’il était hors de question de le voir mettre son nez dans leurs affaires. Ainsi l’opérateur Verizon, l’un des principaux opérateurs aux États-Unis, conclue sa réponse [ZIP] par un cinglant :

Verizon France apporte la démonstration que le projet de collecte trimestrielle d’informations sur les conditions techniques et tarifaires d’interconnexion et d’acheminement de données [...] est dépourvu de toute base légale lui permettant de l’imposer aux opérateurs. C’est pourquoi Verizon France sollicite de l’Autorité le retrait pur et simple de ce projet.

Même fin de non recevoir du côté des anglais du LINX, ou London Internet Exchange, échangeur londonien où s’interconnectent près de 400 acteurs de l’écosystème Internet. “Il y a tellement de pays dans le monde, si la responsabilité des opérateurs venait à être étendue aux autorités de toutes les pays concernés par leurs opérations, y compris ceux qui sont indirectement affectés, ils supporteraient une charge insupportable et le conflit juridique serait impossible à résoudre”, explique [ZIP] le responsable juridique de LINX, en qualifiant le projet de l’Arcep d’“obligation extra-territoriale” qui ne saurait s’appliquer aux opérateurs non établis en France. Y compris s’ils sont connectés à un réseau français.

Impasse juridique

Du côté des frenchies, on refuse aussi de jouer le jeu. France Telecom a indiqué [ZIP] qu’il ne donnerait pas d’informations concernant les acteurs étrangers avec qui il est en relation. Une alternative qui aurait pu s’avérer pratique pour contourner l’impasse juridique. Mais pour l’opérateur historique, “aucune obligation relevant de la réglementation sectorielle ne peut contraindre un opérateur national, à révéler l’identité ou des informations relevant strictement du secret des affaires portant sur un contractant, ne disposant d’aucune activité de fournisseur de services de communications électroniques sur le territoire national.” Sauf éventuellement dans le cas d’une enquête formelle menée par le régulateur français, qui peut être saisie de différends opposants certains acteurs du secteur. Mais pas dans le cadre d’une simple collecte d’informations.

Sans compter que le dispositif est lourd et contraignant. De nombreux acteurs, opérateurs comme éditeurs de contenu, s’en inquiètent, signalant qu’un relevé de données trimestriel engendrerait un coût non négligeable, en particulier pour les acteurs plus modestes d’Internet. Ce qui pousse les représentants des sites Internet tels que Google ou Facebook à plaider en faveur d’une démarche plus hiérarchisée au sein de l’Arcep. Le lobby Voice on the Net (VON) Europe, qui regroupe en son sein Google ou Skype, accuse [ZIP] ainsi le régulateur français de trop se disperser, laissant de côté des problèmes prioritaires, tels que “les pratiques discriminatoires mises en place par les opérateurs en France” sur les réseaux mobile et fixe :

VON s’étonne par ailleurs de voir que, alors que des projets précédents lancés dans le cadre de la neutralité des réseaux n’ont pas encore abouti de façon concrète, l’ARCEP se concentre maintenant sur l’interconnexion et les accords de peering entre les différents acteurs. Le fameux proverbe ‘Qui trop embrasse, mal étreint’ nous vient quelque peu à l’esprit.

La guerre du net

Un marché opaque, qui a le défaut de s’étendre au monde entier et sur lequel l’Arcep n’a que peu de prises. Pourquoi alors avoir publié cette décision, qui ne semble avoir qu’une portée très relative et bien maigre sur le vaste monde de l’Internet ?

Difficile d’en savoir plus en interrogeant directement l’Arcep. Il semblerait néanmoins que l’autorité veuille mettre son nez dans “un désaccord profond” qui “s’est installé et s’exprime de plus en plus concernant le financement de l’acheminement du trafic”. Désaccord qui s’assimile davantage à une guerre de position entre FAI et géants du web. Pour les opérateurs, les sites générateurs de contenu, tels que YouTube, encombrent leurs réseaux sans pour autant mettre la main à la poche. Pour les seconds, si les FAI disposent d’autant d’abonnés, c’est parce que les internautes veulent consulter les contenus que les sites mettent à leur disposition. Les forfaits doivent donc financer en contrepartie l’entretien des tuyaux du net, afin que les octets arrivent à bon port, sans encombres.

Le modèle d’interconnexion à la bonne franquette a donc du plomb dans l’aile. Les opérateurs, écrivait encore l’Arcep en 2010, souhaitant “une refonte des mécanismes d’interconnexion” afin de mettre en place un système plus formalisé, contrat et rémunération à l’appui, “sur le même modèle que la terminaison d’appel vocal.”

En France, cette guerre de tranchée a un emblème : l’affrontement de Free et YouTube, qui dure depuis des années. Les abonnés à Free savent qu’il est parfois difficile de consulter les vidéos du site de Google, en particulier à l’heure où la demande est la plus grande, le soir venu. Difficile en revanche de savoir qui en est responsable. Du côté de chez Free, on plaide que YouTube sature le réseau, et qu’il doit faire le nécessaire pour acheminer correctement ses vidéos jusqu’aux internautes. Le nécessaire étant un investissement dans les infrastructures du réseau. Et si Google garde le silence en la matière, des associations le représentant, telle que l’Asic, a déjà eu l’occasion d’expliquer sa position sur le sujet : les sites aussi contribuent au financement des tuyaux, pas la peine d’en rajouter. Résultat : chacun se renvoie la patate chaude. Et en attendant, les internautes se voient bénéficier d’un accès restreint à une partie d’Internet.

Bien plus qu’une seule question de techniciens ou d’argentiers, la guerre de l’interconnexion met donc la nature même d’Internet en jeu. Au même titre que les groupes de travail sur la qualité de service de l’accès à Internet, ou sur la transparence des pratiques des opérateurs sur Internet : toutes ces réflexions entrent dans le grand chantier neutralité des réseaux dans laquelle l’autorité s’est lancée fin 2010. Un rapport était attendu au Parlement et au Gouvernement “début 2012″ [PDF]. Il se fait toujours attendre.


Illustrations via FlickR: Quelqueparsurterre [cc-by-nc] et AndiH [cc-by-nc-nd]

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Précis de plomberie appliqué aux FAI http://owni.fr/2011/01/07/precis-de-plomberie-applique-aux-fai/ http://owni.fr/2011/01/07/precis-de-plomberie-applique-aux-fai/#comments Fri, 07 Jan 2011 13:40:02 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=41435 Depuis le temps qu’on vous bassine avec ces histoires de neutralité, où les réseaux sont comparés à des tuyaux, et les FAI à des plombiers au potentiel sympathique bien moins élevé que celui de Mario et Luigi, il était grand temps de vous offrir une petite mise en scène de toute la tuyauterie.

C’est le développeur Michel Ciarlo qui s’y est collé, en réalisant le site TheOpenInter.net, qui illustre la neutralité des réseaux par un édifiant “avant/après”. Une version traduite par les bons soins de Vincent Casse est disponible sur neutralitedu.net.

Avant, ou, restons optimistes, en l’état, le réseau est régi par une neutralité relativement pleine. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) n’ont pas le droit de moduler le trafic qui passe par leurs tuyaux. Streaming vidéo, messagerie, voix sur IP, réseaux sociaux et jeux en ligne: l’utilisateur y accède librement et sans entrave. Ou presque: comme le souligne le site, “les FAI peuvent ralentir le débit”, notamment dans le cas du peer-to-peer ou du streaming vidéo. Rajoutons que pour les mobiles, la réalité est loin d’être aussi rose, notamment pour la VoIP.

Et après ? Après, si l’on applique le scénario rêvé des opérateurs, d’ici (Orange, Neuf, Bouygues…) ou d’ailleurs (AT&T, Verizon, Comcast…), on obtient un réseau maillé de tuyaux plus ou moins larges, et dont le plus gros est évidemment réservé aux différents services et contenus offerts par les opérateurs. La vie rêvée d’un FAI, où les usages gourmands en bande passante seraient facturés en plus du forfait initial.


Ça bouge et c’est chouette: en anglais sur TheOpenInter.net, comme en français, sur neutralitedu.net

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Comcast, Level 3 et la cuisson des pommes de terre http://owni.fr/2011/01/01/comcast-level-3-et-la-cuisson-des-pommes-de-terre/ http://owni.fr/2011/01/01/comcast-level-3-et-la-cuisson-des-pommes-de-terre/#comments Sat, 01 Jan 2011 11:00:20 +0000 Stéphane Bortzmeyer http://owni.fr/?p=40745 Alors que la FCC vient de se décider à trancher -mollement- dans le débat sur la neutralité des réseaux, Stéphane Bortzmeyer revient sur une obscure affaire opposant deux opérateurs américains, Comcast et Level 3. Le premier, aux fonctions classiques de fournisseur d’accès à Internet, s’est notamment fait remarquer sur nos terres en bloquant certains échanges peer-to-peer, ce qui lui a valu les remontrances de la FCC, dont la légitimité s’est vue par la suite niée par la Cour Suprême. Plus anonyme, le second endosse les fonctions d’hébergeur CDN, en favorisant la diffusion du contenu de certains sites. Et en particulier Netflix, dont la propension à siphonner de la bande passante a poussé les sites spécialisés américains à s’interroger: le site de streaming video annonce-t-il la fin d’Internet ? Cette gourmandise est précisément au cœur du conflit opposant Comcast et Level 3, le second reprochant au premier de lui imposer une charge excessive pour que les films de Netflix transitent par son infrastructure.
Stéphane Bortzmeyer précise les termes de cette guerre de tuyaux, rappelant ainsi la complexité inhérente à la question de neutralité des réseaux, qui dépasse largement le binôme internautes/FAI.

Il y a déjà eu beaucoup d’articles, surtout aux États-Unis, à propos du conflit qui oppose deux opérateurs Internet, Comcast et Level 3 (j’ai mis quelques références à la fin). Je n’ai pas de sources privilégiées, je ne suis pas un « blogueur influent » donc je ne vais pas pouvoir vous faire de révélations sensationnelles mais il y a quand même, deux ou trois points que je voudrais traiter. Donc, Comcast réclame à Level 3 des sous et Level 3 porte l’affaire devant le régulateur. Pourquoi ?

Une bonne partie des articles sur le sujet ont cherché, dans un style très hollywoodien, qui était le Bon et qui était le Méchant dans le conflit (en général, Comcast était le Méchant, rôle qu’ils tiennent à la perfection). Mais, évidemment, il n’y a pas de morale ici, juste du business entre deux requins: celui qui était le plus fort encore récemment et celui qui a grossi et exerce ses muscles.

Patate chaude et paquets d’IP

Pour se faire une idée du problème, faisons un petit détour par la technique. D’abord, comme Comcast a accusé Level 3 de « router selon la méthode de la patate chaude », revenons sur cette technique.

Soit deux opérateurs situés aux États-Unis. C’est un grand pays. Si un paquet IP part de la côte Ouest pour aller sur la côte Est, il a beaucoup de chemin à faire. Si le paquet part d’un opérateur pour aller vers un autre, qui va utiliser ses précieuses ressources pour lui faire traverser le continent ? Contrairement à ce que Comcast laisse entendre, la méthode la plus répandue a toujours été la patate chaude : l’émetteur essaie de faire sortir le paquet de son réseau le plus vite possible, avant qu’il ne lui brûle les mains. C’est donc le destinataire qui va se taper l’acheminenent. C’est injuste ? Pas si on tient compte du fait qu’une communication met en jeu des paquets dans les deux directions. Au retour, ce sera l’inverse. Si le trafic est à peu près symétrique (en nombre de paquets et en nombre d’octets) qu’on route avec la patate chaude ou avec la patate froide n’a aucune importance, du moment que les deux opérateurs font pareil.

Cette symétrie était celle pour laquelle était prévu l’Internet : chacun pouvant être à la fois consommateur et producteur, l’idée était que le trafic serait à peu près égalitaire, faisant du choix de la température des pommes de terre un choix purement arbitraire et sans conséquences pratiques.

Seulement voilà, dans la réalité, les grosses entreprises n’ont pas fait ce choix. Comcast contrôle un marché de consommateurs purs (eyeballs en anglais, ou « temps de cerveau disponible » en français) et Level 3 fait surtout de l’hébergement. Le trafic est donc très asymétrique. Comme on le voit sur le dessin plus haut, si Level 3 héberge un gros fournisseur de vidéo (Netflix, dont l’arrivée chez Level 3 a déclenché la crise), et qu’on utilise la patate chaude, la grande majorité des octets va passer sur le réseau de Comcast, posant donc la question de base « qui va payer ? ».

Un trafic asymétrique, des usages déséquilibrés

Il y a des solutions à ce problème.

Avant des les regarder, une note importante : comme tout ceci n’est qu’une histoire de gros sous, rien n’est documenté publiquement. Le citoyen de base, et même le sénateur qui se demande s’il doit voter la neutralité du réseau ou pas, n’ont pas toute l’information qui permettrait de décider. La mode étant aux fuites, on a même vu des graphes de trafic prouvant que Comcast étranglait délibérement le trafic entrant (pour réclamer ensuite des paiements aux fournisseurs de contenu), envoyés anonymement… (Évidemment aucune garantie quant à leur véracité.) Si Comcast et Level 3 se préoccupaient réellement de la vérité, ils commenceraient par publier des informations précises. (Dans ce genre d’affaires, chacun des requins prend à témoin l’opinion publique, sans jamais lui donner les moyens de s’informer et donc de décider.)

Revenons à la technique. Il faut noter que Comcast n’est pas un pair de Level 3 mais un client de son offre de transit. Ce conflit n’est donc pas l’équivalent des classiques crises entre pairs, dont le FAI Cogent s’est fait une spécialité. Dans la plupart des contrats de transit, le client a des tas de moyens pour influencer le routage chez son fournisseur (comme les MED). Pourquoi Comcast ne les utilise-t-il pas ?

Comcast cherche-t-il vraiment une solution?

Le plus probable est que Comcast ne veut pas d’une solution, il veut faire plier Level 3, en profitant de ce que Comcast a une clientèle captive (dans la plupart des villes petites et moyennes, Comcast a un monopole).

Deuxième raison, pas incompatible avec la première, Netflix est un concurrent de l’offre TV de Comcast -historiquement, une entreprise de télé par câble. Il y a donc un cas classique de violation de la neutralité du réseau par Comcast, discriminer entre son service et celui des concurrents, quand on cumule plusieurs casquettes (FAI et fournisseur de services).

La meilleure solution serait d’arrêter l’énorme dissymétrie qui existe aujourd’hui entre les opérateurs, selon qu’ils font du contenu ou du temps de cerveau. Il est curieux que Comcast reproche à Level 3 de lui envoyer bien plus d’octets que son client ne lui en transmet, alors que Comcast fait exactement cela à ses propres clients, en leur vendant une offre Internet asymétrique, à bien plus grande capacité dans le sens de la consommation que dans celui de la production. Mais ce n’est pas plus incroyable que Level 3 qui demande l’intervention de la FCC alors que, quand le rapport de force lui était plus favorable, ses dirigeants bêlaient systématiquement le discours individualiste du « moins d’État, moins de régulation ».

Cette dissymétrie du trafic et des usages fausse tous les débats sur la neutralité du réseau, en créant une source de mécontentement. C’est ce que réclame régulièrement FDN, par exemple. Le développement d’usages plus équilibrés, par exemple avec le pair-à-pair annulerait une bonne partie des discussions récurrentes.

Quelques articles sur le sujet, avec mes commentaires :

  • Le point de vue officiel de Comcast et celui de Level 3,
  • Une petite partie de la très longue discussion sur la liste NANOG à ce sujet,
  • Un amusant dessin animé où le client de Comcast est représenté sous forme d’un ours en peluche buté qui ne sait que répéter « No, this is not fair » alors qu’il demande la même chose que ce que Comcast demande à Level 3,
  • Un bon article de TelecomTV qui met les choses en perspective, et qui explique bien l’affaire des pommes de terre chaudes ou froides,
  • Un article en français (contrairement à la plupart des autres cités ici), qui prône plutôt une augmentation des coûts d’abonnement, qui financerait les FAI tout en préservant la neutralité du réseau,
  • Une excellente analyse de Adam Rothschild, avec de très utiles dessins, et surtout une discussion du problème des liens externes de Comcast, notamment celui avec Tata, qui sont utilisés au maximum de leurs capacités (le problème des graphes fuités mentionnés plus haut),
  • La plupart des articles (y compris le mien) pointait plutôt du doigt la mauvaise foi de Comcast. Il y a aussi un tout petit nombre d’articles de l’autre bord. Celui de Daniel Golding que je cite est assez radical, comme lorsqu’il prône une nette séparation entre fournisseur de transit et hébergeur (Level 3 étant à la fois Tier-1 et hébergeur de Netflix). Mais cet article contient également des énormités comme lorsqu’il reprend la légende (popularisée en France par Free ou France Télécom) comme quoi l’opérateur du fournisseur de contenu serait payé deux fois, par son client d’hébergement (Netflix) et par son client de transit (Comcast). Pour voir pourquoi cette idée est absurde, il suffit d’imaginer deux clients de Free qui s’envoient des octets. Chacun a dû payer sa connexion. Dit-on pour autant que Free a été payé deux fois et devrait rembourser un des clients ? Incroyable, mais c’est pourtant le discours d’articles comme celui-ci.

Article initialement publié sur Bortzmeyer.org
Illustrations CC Flickr: eirikso, Tom Purves

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