OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Collégien suréquipé édition limitée http://owni.fr/2012/10/10/collegien-surequipe-edition-limitee-ordival/ http://owni.fr/2012/10/10/collegien-surequipe-edition-limitee-ordival/#comments Wed, 10 Oct 2012 06:30:30 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=121932

Le Conseil général du Val-de-Marne a chouchouté ses élèves de sixième cette année en leur offrant à leur entrée au collège un ordinateur portable. Un netbook d’un peu plus d’un kilo pour les accompagner tout au long de leur scolarité de collégien. Et peu importe qu’ils en possèdent déjà un. Dans le texte, l’intention est au premier abord plutôt sensée :

Une action destinée à favoriser le développement des usages des Technologies de l’information, de la communication et de l’éducation. En quatre ans, les 50 000 collégiens du Val-de-Marne seront ainsi tous équipés !

Liberté, égalité, tous connectés : louable certes.

Avec l’intention de “favoriser l’autonomie, l’émancipation et la liberté d’information des élèves”, ce partenariat avec l’Éducation nationale pèse avant tout la bagatelle de 25 millions d’euros sur quatre ans de dispositif. En plus des 13 millions d’euros déjà budgétés dans le cadre de l’équipement informatique des collèges. L’objet (1,3 kilo) possède une session élève et une session parent, une clef USB et un système antivol qui rend l’ordinateur inutilisable dès qu’il est déclaré volé. Pour accompagner les parents, une hotline au “prix d’un appel local”. Le véritable kit pour pousser les parents à mettre le nez dans l’Internet et les nouvelles technologies. Quant aux enseignants, équipés eux aussi, ils pourront – en théorie – recevoir une formation dispensée par l’Education nationale.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La vidéo de présentation d’Ordival – le petit nom du programme d’offre de ces ordinateurs – à destination des enfants le dit clairement : 205 tableaux numériques installés dans les collèges du département, toutes les classes de tous les collèges reliés à Internet d’ici fin 2013, 40 logiciels installés sur chaque ordinateur, un contrôle parental et une protection antivol sur toutes les “machines”. Et à destination des parents et de la presse, le discours est le même, petit moment M6 Boutique en bonus en début de vidéo. Sur les 13 300, Patrick Hervy, l’un des responsables du programme au Conseil général précise que “6 à 7 000 ordinateurs ont été pour le moment distribués. D’une valeur de 340 euros pour les collégiens et 540 pour les enseignants.”

Mais en ont-ils vraiment TOUS besoin ?

Pour Patrick Hervy, l’équipement de tous les collégiens, indépendamment de leurs conditions sociales était indispensable :

Nous souhaitons niveler du bas vers le haut. Les mêmes équipements pour tout le monde. Si l’on prend l’exemple de Saint-Maur [commune aisée du département, ndlr], les familles sont peut-être déjà équipées mais l’ordinateur n’est pas nécessairement destiné à être un outil de travail. Ils contiennent en outre une médiathèque qui n’est pas installable sur un ordinateur lambda. C’est un principe d’égalité d’école républicaine qui prévaut.

Peu importe que l’enfant en possède déjà un et que la famille soit assez aisée. L’essentiel étant qu’il puisse l’emmener au collège si et quand le prof le demande. “Aucun établissement n’a décidé de faire en sorte qu’il y ait 30 gamins devant leur ordi 8 heures par jour !” explique Patrick Hervy.

M. François, adjoint du principal du collège de Valenton est enthousiaste :

La distribution a eu lieu ce samedi et la réception a été plutôt bonne. Les professeurs vont travailler avec les élèves sur ordinateur et ça va améliorer la pédagogie. On leur a dit qu’ils avaient de la chance d’en avoir un chacun.

Le collège – classé en ZEP – étant expérimental possède déjà des tableaux numériques interactifs dans chaque salle de classe.

Moins d’enthousiasme dans un autre collège du département. Une principale, qui a préféré rester anonyme explique que l’initiative du Conseil général est très bonne mais qu’elle implique beaucoup de choses. “C’est un gros budget, mais la technologie pourra être très vite dépassée. En cas de pépin, perte ou vol c’est le collège qui va gérer.”, explique-t-elle.

La question de la distribution à tous se pose aussi pour la principale :

Est-ce que ça se justifie ?

Questions techniques et questions de pratiques

Côté technique, l’Ordival est sous Windows 7 avec la possibilité d’acheter les licences des logiciels propriétaires. Mais sont installés des logiciels libres pour les outils de base. À la question de l’autonomie, Patrick Hervy répond que “les ordinateurs ne sont pas fait pour rester allumés pendant 8 heures de cours et que la batterie [neuve] a une autonomie de 7 heures”. Visiblement, nul besoin d’équiper les classes en multiprises. La première année en tout cas.

À un parent qui a posé la question lors d’une distribution dans un collège, l’un des techniciens présent a répondu que “s’il était chargé tout le temps sur secteur, il ne tiendra[it] pas un an”. Difficile de mesurer de quelle façon les collégiens s’en serviront, d’autant que “l’astuce technique” n’est précisée nulle part. À nouveau matériel, nouvel usage technique à acquérir.

La principale d’un collège d’une commune aisée précise :

Les enseignants sont plus ou moins réticent déjà. Ensuite, nous n’avons pas de prises dans les salles, [pas assez pour brancher plus de deux ordinateurs, ndlr], comment faire quand certains auront oublié de charger leur ordinateur la veille ? Même question s’ils oublient leur ordinateur tout court ?

Pour cette principale, la réussite de l’opération va aussi passer par “la motivation des enseignants”. Que répondre à un professeur qui lui explique “qu’il préfère sa plume et son papier, même si on est pas au XIXème siècle” ?

Et ailleurs ?

L’initiative n’est pas nouvelle mais elle est la plus coûteuse – pour des raisons de déploiement et de proportion notamment. En septembre 2010, le Conseil général des Hauts de Seine avait pourvu chacun de ses collèges de deux iPad. Montant de l’opération : 133 collèges avec 2 iPad = 185 000 euros pour l’un des départements les plus riches de France.

Dans les colonnes de Libération à l’époque, Antoine Tresgots, délégué national du syndicat des enseignants de l’Unsa déclarait :

Quand la collectivité décide de balancer du matériel sans aucun lien avec les demandes des enseignants, ça n’a aucun sens. C’est une magnifique opération de communication.

Même type d’opération mais de plus grande envergure cette fois – de l’ordre de celle du Val-de-Marne, collectivité territoriale différente -, la distribution d’ordinateurs portables par la région Languedoc-Roussillon à ses 32 000 élèves de seconde à la rentrée 2011. Budget alloué : 15 millions d’euros sur trois ans. Le programme LoRdi a récemment été au centre d’une polémique au sein de la région puisque 12 ordinateurs avaient été retrouvés en vente sur “Le Bon Coin” et autres sites de vente d’occasion en ligne.

Motifs invoqués par les lycéens vendeurs ? Besoin d’argent et inutilité de l’objet. Un adolescent interrogé par le Midi Libre explique surtout que :

On ne peut quasiment pas s’en servir au lycée et il y a même certains profs qui y sont allergiques. Enfin, la plupart d’entre nous en avaient déjà un avant, bien meilleur.

Tandis qu’une autre lycéenne (vendeuse) précise que l’ordinateur leur a été distribué “sans [leur] demander [leur] avis, sans explication, comme on [leur] sert des frites à la cantine :

À aucun moment un prof nous a demandé de l’utiliser. Je ne vois pas pourquoi je ne le vendrais pas. Il m’encombre.


Photo par Kalexanderson [CC-by-nc-sa] remix O.Noor pour Owni

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Microsoft programme l’école http://owni.fr/2012/08/27/microsoft-programme-lecole/ http://owni.fr/2012/08/27/microsoft-programme-lecole/#comments Mon, 27 Aug 2012 11:51:12 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=118473

Cette semaine, du 27 au 30 août, se déroule la 9e édition de Ludovia, une université d’été incontournable en France sur l’e-éducation. Elle réunit professeurs, chercheurs mais aussi politiques, jusqu’au ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon, qui participera à une conférence. Parmi les partenaires de l’événement, Microsoft, le géant américain du logiciel.

En France, la firme de Redmond mène une intense campagne d’influence en direction des acteurs de l’éducation nationale, que nous avons reconstituée dans une [infographie à découvrir au bas de cet article].

La présence de Microsoft à Ludovia résume parfaitement sa stratégie qui consiste à se construire une légitimité pédagogique pour vendre des produits pour le moins controversés – prix élevé, logique propriétaire, volonté hégémonique, qualité contestable. “C’est comme si EDF avait un discours pédagogique sur les sciences physiques”, fulmine Marc, une personne du monde du logiciel libre, la bête noire de Microsoft. Anne, une enseignante, détaille leur tactique :

Ce qui les intéresse, c’est les décisionnaires politiques qui se déplacent sur les événements : à Orléans en juin, au Forum des Enseignants Innovants et de l’Innovation éducative, il y avait tout le staff de Peillon.

IIs font du lobbying surtout auprès du ministère. Les responsables du ministère de l’Éducation nationale ont beaucoup d’invitations : formations, réunions pédagogiques, etc.

Jean-Roch Masson, l’instituteur qui a le premier utilisé Twitter en classe de CP, et fut invité par Microsoft à Washington au Global Forum – Partners in Learning, complète :

J’ai demandé Thierry de Vulpillières [directeur des partenariats éducation chez Microsoft France, ndlr], qui m’avait invité à Moscou, l’intérêt qu’avait une entreprise comme Microsoft à inviter un enseignant utilisateur de Twitter, et pas forcément client chez eux, et sa réponse m’a convaincu : il a pris l’image d’un camembert, représentant l’ensemble des usages des technologies dans la société ; le but des forums n’est pas de faire grossir la part “Microsoft”, mais de faire grossir l’ensemble du camembert (= développer les usages par nos échanges et nos actions dans l’éducation). Mécaniquement, leur part grossira en quantité d’usage, et non en pourcentage au profit de Microsoft.

C’est à l’aune de cette analyse qu’il faut apprécier ce commentaire que Thierry de Vulpillières nous a fait :

La véritable problématique est là : comment contribuer à apporter des solutions à l’usage si faible des TICE dans le système éducatif français (24e sur 27 en Europe) et, plus encore, comment aider, par les TICE, à réduire la désaffection croissante des élèves envers le système éducatif tel qu’il fonctionne aujourd’hui (45% des élèves s’ennuient à l’école selon les études PISA.

Le mot-clé pour mener cette campagne d’influence : innovation. Microsoft s’associe, sponsorise, voire initie des projets touchant à la pédagogie dès lors qu’ils qui se veulent innovants. Clé de voute de cette stratégie, le programme international Microsoft Partners in Learning (PIL), doté d’un budget de 500 millions de dollars sur dix ans. Car Microsoft a les moyens de son lobbying.

Partenariat public-privé

Microsoft cajole de tels chevaux de Troie pour mieux convaincre le seul acteur qui compte au final sur son chiffre d’affaires : le décisionnaire politique. Avec succès  puisque une convention de partenariat a été signée avec l’Éducation nationale en 2003 et reconduite depuis. Microsoft n’est d’ailleurs pas le seul : Apple, Dell, Hewlett Packard, etc, en ont aussi signé une.

Un tel accord, c’est un sésame pour vendre ses produits en offrant la caution et la visibilité de l’instance supérieure en France en matière d’éducation. Il assure des tarifs très préférentiels aux établissements de l’Éducation nationale et aux collectivités territoriales qui, en France, gèrent les écoles primaires (commune), les collèges (conseil général) et les lycées (région) : “plus de 50%”.

Ces réductions sont d’autant plus bienvenues que les finances locales font grise mine et Microsoft surfe dessus. L’heure est au partenariat public-privé, et l’éducation est également séduite par ces délégations au profit du secteur privé. Extrait du texte de présentation de la page “collectivités territoriales” de Microsoft éducation :

Ces projets soutiennent l’évolution de l’École destinée aux élèves nés au XXIe siècle mais s’inscrivent également dans une démarche de rationalisation des dépenses publiques notamment éducatives. Vous voulez initier un projet nouveau et porteur en termes d’usages et d’images, contactez-nous !

L’Éducation nationale tire aussi la langue et Microsoft joue le généreux oncle d’Amérique. Notre enseignante analyse :

Les journées de l’innovation à l’Unesco sont largement financées par Microsoft, par exemple. Le ministère de l’Éducation nationale n’a plus les moyens de faire ça, d’avoir cette vitrine, ça nous permet d’avoir des forums, des réunions, des formations, Microsoft s’engouffre dans la brèche. Tout le monde y trouve son compte, profs et ministère.

Pro Microsoft

Certains partisans du libre estiment que l’Éducation nationale est devenue “pro Microsoft”, ce dont elle se défend :

Le ministère a toujours veillé à conserver une grande neutralité dans ses diverses relations avec les acteurs industriels avec lesquels il a des échanges réguliers. Microsoft est un acteur économique de premier plan et un partenaire important de l’Éducation nationale ; il est donc, à ce titre, invité régulièrement sur les sujets du numérique, comme les autres grandes sociétés et les représentants des syndicats professionnels.
Pour leurs projets internes, les équipes du ministère procèdent de façon systématique à l’évaluation des outils et des solutions existantes. À cette fin, et dans une démarche de veille technologique, il est naturel qu’elles s’informent par tous les canaux possibles.

C’est par exemple sur le territoire neutre du siège de Microsoft à Issy-les-Moulineaux que les inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de mission nouvelles technologies (IEN-TICE), conseillers techniques des inspecteurs d’académie, avaient été convoqués par l’Éducation nationale l’automne dernier, dans le cadre de leurs journées annuelles, comme s’en étaient émus l’April, une association de défense du logiciel libre, et Framasoft, un site dédié au libre. Une demi-journée de réunion au cours de laquelle leur ont été présentés des produits du fabricant.

Et contrairement à la Grande-Bretagne où le Becta, qui conseille le gouvernement en matière de TICE, avait déconseillé Windows Vista et Microsoft Office 2007, on n’entend pas de critiques de front. A contrario, le ministère souligne qu’il a mis en place Sialle, le “service d’information et d’analyse des logiciels libres éducatifs” et “favorise l’interopérabilité et l’ouverture des systèmes d’informations.”

Quant à Microsoft, il renvoie la balle au ministère :

Ni omniprésence, ni absence, mais contribution au débat. Ensuite, il appartient aux pouvoirs publics de tirer les enseignements des éclairages objectifs et rationnels apportés par une pluralité d’acteurs dont Microsoft parmi d’autres.

Et de souligner que l’entreprise est “très attachée à la transparence dans la façon dont cette information est communiquée. C’est notamment le cas du  programme Partners in Learning grâce auquel Microsoft contribue à nourrir un échange autour des différentes expériences TICE des gouvernements de plus de 110 pays. Notre stratégie est fondée sur l’interopérabilité, l’ouverture, la transparence et le respect des données personnelles.”

Soft à tous les étages

Dans son entreprise de drague, Microsoft a l’intelligence d’avancer avec des mocassins plutôt qu’avec des gros sabots. À l’image de Thierry de Vulpillières, qui a d’abord été professeur de lettres. “Ce n’est pas un commercial pur, analyse l’enseignante, il a réussi à ne pas se mettre trop les fans du libre et de Mac sur le dos.” Pas trop… Car si Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et créateur de Framasoft, le juge “intelligent et avenant”, il n’en démonte pas moins la machine Microsoft régulièrement. Jugement que ne démentira pas cette petite phrase glissée par l’homme parmi ses réponses à nos questions : “Puisque vous évoquez Framasoft, j’en profite pour  saluer le travail formidable que fait cette communauté dans l’éducation et son engagement pour le logiciel libre.”

Mais pour notre enseignante, l’entreprise pourrait avoir l’omniprésence beaucoup plus bruyante :

Ils font du lobbying à mort et ils ont un peu de mal à l’assumer. En France, la stratégie est de ne pas se mettre en avant, alors que c’est positif les forums par exemple.

Il faut effectivement parfois fouiller tout en bas d’un à propos pour découvrir que la société soutient Le Café pédagogique, un site de référence pour la communauté éducative. Contrairement à l’Éducation nationale…

De même, les enseignants ne sont pas obligés de se transformer en VRP, comme se réjouit Jean-Roch Masson, l’institwitter :

À partir du moment où j’ai su que je n’étais pas là pour propager la “bonne parole Microsoft”, j’ai vécu mes journées avec beaucoup d’enthousiasme et des envies d’échanges.

Je suis beaucoup plus proche des initiatives “libres”, où coopération et accessibilité prennent le pas sur logiciels fermés et commercialisation.

À moins que ce ne soit pas voulu, comme le sous-entend sa consœur Anne :

Ils aimeraient que les enseignants deviennent des commerciaux de la boîte mais ça ne marche pas.

Certains estiment que participer, c’est de toute façon jouer le jeu de la firme, ce que d’autres refusent, comme Sésamath, une importante association de professeurs de mathématiques, qui avait décliné une invitation au Forum des enseignants innovants.

Chiffre d’affaires mystère

Le résultat commercial sonnant et trébuchant, on ne le connaîtra pas : Microsoft refuse de les divulguer en arguant de la concurrence. Concernant les tarifs, le flou est de mise. Si l’accord cadre parle de 50% de réduction, d’autres offres sont proposées. Par exemple Office professionnel pro 2010 est à 8 euros au lieu de… 499 euros. Version PC et pas Mac. Un sacrifice apparent : les enseignants sont autorisés à l’utiliser chez eux, ce qui peut les inciter à vouloir le même environnement de travail à l’école, ce qui se traduit en licences site annuelles juteuses.

Il est d’autant plus impossible de faire une estimation du chiffre d’affaires qu’on ne connait pas la répartition du parc, comme nous l’a expliqué l’Éducation nationale :

Du fait de cette répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, le ministère ne dispose pas aujourd’hui d’éléments sur les parts des divers systèmes d’exploitation dans le parc d’équipements des écoles et des établissements scolaires.

Il doit être confortable si l’on en juge par la domination de Microsoft. La seule partie où le libre règne, c’est côté face cachée de l’informatique : “la quasi totalité du parc de serveurs du ministère de l’Éducation nationale fonctionne sous logiciel libre”, nous a détaillé le ministère. En revanche, “pour ce qui est du parc de postes de travail des services centraux et déconcentrés, la plupart des postes de travail fonctionne sous Windows.” Concernant les postes utilisés par les élèves, si on n’a pas de chiffres, la plupart sont sous Windows.

Les logiciels de travail constituent une autre source de profit, et en particulier les suites bureautiques, avec l’emblématique Office. Pas de données là non plus. On peut juste avoir une idée de ce que cela représente : Office domine, il y a environ 11 300 collèges et lycées en France, le cœur de cible de Microsoft, et pour un collège moyen de 500 élèves avec 5 élèves par poste et 50 “administratifs”, le simulateur de Microsoft indique qu’il en coûte 1 650 euros par établissement scolaire et par an.

Lobbying de plus en plus dur

Toutefois, le temps de l’hégémonie s’éloigne. “Leur lobbying est de plus en plus dur depuis trois ans”, glisse l’enseignante. Car le libre est de plus en plus mature pour une utilisation par le grand public, à l’exemple d’Open Office qui grignote du terrain. La région Poitou-Charentes a opté pour l’OS Linux, pour des raisons d’économie.

Mais dans un futur proche, la grosse concurrence pourrait venir de deux autres rouleaux compresseurs américains : Google, avec son Apps for education, qui est gratuit ; et Apple, qui a fait une keynote marquante en janvier dernier sur l’éducation, annonçant un ensemble d’outils utilisables dans un écosystème Apple bien sûr.

Drapé dans sa cape de chevalier blanc des TICE, Microsoft évoque lui sa “responsabilité sociale d’entreprise” :

La question de l’éducation est un enjeu majeur pour notre pays et sa cohésion sociale ! La démarche de Microsoft est d’apporter le plus grand nombre d’éléments d’information et de comparaison en faveur de l’éducation et des TIC. C’est notre responsabilité sociale d’entreprise ancrée dans son environnement et son écosystème que de fournir des outils de compréhension pertinents pour l’action et les décisions des décideurs.

Cliquez sur les croix rouges pour ouvrir les fenêtres.


Illustration et infographie par Cédric Audinot pour Owni /-)
Développement par Julien Kirch

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Interro surprise sur vos portables http://owni.fr/2012/02/14/education-interro-surprise-sur-vos-portables/ http://owni.fr/2012/02/14/education-interro-surprise-sur-vos-portables/#comments Tue, 14 Feb 2012 17:44:41 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=97830

L’école se “technologise”. Les TIC (technologies de l’Information et de la Communication) sont partout, leurs avancées abondamment relayées dans les médias –et abondamment commentées par les internautes.
Or les commentaires, souvent négatifs, des lecteurs (et parfois même des éducateurs) dénotent une vaste incompréhension des enjeux éducatifs des nouvelles technologies.

Le problème réside sans doute et avant tout dans le terme “TIC”, un collectif  proche de l’Inventaire à la Prévert :

Ordinateur  ou Tableau Blanc Interactif (TBI) ? TBI ou tablette numérique ? Ordinateur ou téléphone portable ?

Ainsi énoncés pêle-mêle, la spécificité pédagogique de chacun de ces outils technologiques est occultée. C’est pourtant là que se joue leur pertinence éducative.
Si, comme l’a dit Marshall Mcluhan, “le médium est le message“, quels messages pédagogiques véhicule le choix d’un médium plutôt que d’un autre ?

Individuel ou centralisé ?

Ce qui sépare le tableau blanc interactif des autres outils (ordinateur, tablette ou téléphone), c’est l’individualisation.

Une pédagogie qui s’appuie sur le Tableau Blanc Interactif tend à être centrée sur la tâche : cela convient à la résolution (plus ou moins standard) d’exercices, à l’enseignement frontal (l’enseignant expose une connaissance, un concept, face à la classe). La pédagogie mise en œuvre via le TBI reste une pédagogie “classique”.  Le médium change, le message reste le même.
Par contraste, les autres technologies, de par leur caractère individuel, mettent l’accent sur une pédagogie centrée sur l’élève : il ou elle crée, recherche, et au besoin synthétise ; expose ; diffuse ; partage.

Sédentaire ou nomade ?

A l’opposé de la technologie sédentaire du type TBI ou ordinateur fixe (et à plus forte raison “la salle d’ordinateurs”), les appareils nomades tels les tablettes numériques, MP3, appareils photo digitaux et autres, permettent d’expérimenter dans le monde extérieur et d’ancrer les apprentissages scolaires dans d’autres lieux que celui de la classe. Un exemple pris parmi d’autres : dans le projet Les arbres de mon parc, les élèves se sont servis de GPS et d’appareils numériques synchronisés entre eux pour créer et annoter une carte Google de leur parc ; ils y décrivent la flore de façon détaillée.

Cet exercice était à l’origine un travail de français ; ainsi traité avec les outils numériques, il devient un projet qui induit la maîtrise de plusieurs technologies mobiles et applications. La littératie médiatique s’incarne.

Matériel scolaire ou  appareils numériques personnels ?

C’est une des tendances majeures qui se dessinent  pour 2012 : BYOD (Bring Your Own Devices), ou AVAN (Apportez Vos Appareils Numériques,  traduction opportune et positive de Jean-Marie Gilliot ) tire parti de tous les appareils numériques des élèves en mettant à profit leur apport éducatif dans la classe. Les avantages sont divers, depuis le coût zéro pour l’école jusqu’à la familiarité de l’apprenant/e avec cette technologie ; la prise en main de l’appareil est instantanée : pas besoin d’apprendre à utiliser son MP3, son téléphone portable, sa tablette numérique… Par contre, l’utiliser dans le cadre de la classe permettra à l’apprenant(e) de découvrir de nouvelles façons d’acquérir des connaissances via des appareils numériques déjà en sa possession.

Les enseignants qui franchissent le pas et vont de l’AVAN(t) contribuent à recadrer le débat des appareils personnels à l’école : plutôt que de les combattre parce qu’ils (perturbent le cours / pourraient être la source d’intimidation entre élèves / permettent de filmer le prof à son insu / etc.), ils font confiance  à l’élève et valorisent un outil que celui-ci aime – dans un contexte éducatif.

Certes les différences de moyens entre élèves se feront sentir, mais plutôt que de tirer un trait sur cette immense ressource par souci égalitaire, soucions-nous d’équité et voyons comment aider les plus démunis à s’équiper –comme cela se fait pour les livres et fournitures scolaires.

Au delà du hardware : le software

Tout comme le choix d’une technologie, celui d’une application vient avec sa dimension idéologique. Quel type d’apprentissage l’enseignant souhaite-il mettre en œuvre dans sa classe ?

Il existe de plus en plus de matériel didactique fait sur-mesure pour les écoles. Cours en ligne , tutoriels, jeux sérieux, ces applications répondent à des contenus scolaires précis.

Il existe également  de nombreux logiciels, applications, ou sites non spécifiques à l’éducation, mais qui peuvent être mis à profit par l’école. Par exemple, le très populaire jeu Minecraft (sorte de Légos virtuels) est à présent exploité en milieu scolaire, au point que deux enseignants en ont créé une version (“mod”) éducative. En mode créatif, ce monde virtuel est également exploité comme laboratoire d’expérimentation de physique ou électriques (réalisation de circuits avec le “red stone”). Le jeu Sims ou le monde virtuel Second Life sont aussi activement exploités par certains éducateurs.

Là encore, l’énorme avantage pour l’école est, comme pour la posture AVAN, que le coût financier de l’exploitation de ces environnements est quasi nul ; et que les jeunes connaissent vraisemblablement ces jeux, ce qui facilitera et accélèrera leur prise en main dans un contexte éducatif. Il est à noter que certains jeux sérieux exploitent intelligemment cela en répliquant les environnements de jeux connus pour habiller du contenu scolaire ; témoin ce Baroque Baroque Revolution qui vous fait découvrir la musique baroque selon le modèle de Guitar Hero, et vous la fait même  danser à la manière de Dance Dance Revolution.

Quid des médias sociaux ?

En plus des jeux, l’enseignant dispose  de l’immense panoplie des médias sociaux et plateformes 2.0 telles Twitter, Facebook, Google Docs et Maps, Diigo, Pearltree, …-pour peu que les se(r)vices techniques de son école lui en permettent l’accès.

Car scolairement comme médiatiquement parlant, nous sommes là en terrain miné : le fait d’utiliser les médias sociaux en classe est immanquablement sujet à controverse ; pensée indigente pour les 140 caractères de Twitter, démagogie pour Facebook, et bien sûr risque immanent de contenus et comportements inappropriés en ligne -les poncifs ne manquent pas. Pourtant chaque média social mériterait qu’on s’y arrête -et c’est ce que font les enseignants innovants :  ils/elles considèrent les spécificités de l’environnement qu’il met à la disposition des apprenant(e)s, et sélectionne celui (ou ceux) qui leur permet de servir au mieux les concepts à transmettre.

Tous les médias sociaux ont un point commun, qui est également  leur immense avantage par rapport à des contenus spécifiquement scolaires : ils permettent à l’apprenant de construire son réseau personnel d’apprentissage -et, ce faisant, sa présence en ligne- le tout dans un environnement qui dépasse les limites de la classe ou de l’école.

Il faut du temps pour bâtir un réseau. Il faut du temps pour accumuler du capital social -monnaie d’échange du réseau- et maîtriser les interactions qui génèrent ce capital : elles sont fondées sur le don (d’informations, de liens, d’idées, …) et la réciprocité. Gagner des “followers” sur Twitter, des amis sur Facebook, des lecteurs sur son blog, des contributeurs sur son Wiki préféré, est un processus qui nécessite à la fois du temps et des compétences sociales.

Pourquoi bâtir ce réseau  ?

Parce que c’est sur cette voie que s’engagent de plus en plus de professionnels. Mais aussi parce que le capital social permet aux élèves issus des milieux socioéconomiques défavorisés de surmonter les difficultés inhérentes à leur origine [PDF]. Une école qui permet à des jeunes de tous horizons de développer leur capital social est une école de la mobilité sociale.

Sous couvercle lisse d’un acronyme commun, les TIC représentent des réalités pédagogiques bien différentes. Choisir quel outil correspond le mieux, à la fois au contenu qu’on veut transmettre, et à sa philosophie éducative personnelle, est le principal défi pour l’enseignant/e, un défi parfois écrasant. Ceci est sans doute une des causes de la crise actuelle du métier d’enseignant.  C’est également ce qui en fait un métier passionnant car en pleine réinvention : tirer profit de la diversité des outils technologiques pour questionner et guider ses pratiques pédagogiques est  la meilleure façon de faire naître l’école de demain.


Photos tirées de l’album Schools de Ubiquity_zh (CC-by-nc) via Flickr

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Sceptiques des TICE http://owni.fr/2011/10/26/sceptiques-des-tice/ http://owni.fr/2011/10/26/sceptiques-des-tice/#comments Wed, 26 Oct 2011 09:47:46 +0000 Hubert Guillaud http://owni.fr/?p=84671

[Liens en anglais sauf mention contraire] Après un premier article polémique (voir Dans la salle de classe du futur, les résultats ne progressent pas[fr]), Matt Richtel a continué son enquête pour le New York Times sur le “pari éducatif high-tech”. Comme le montrait déjà le début de son enquête, ses derniers articles dessinent un fossé, une coupure assez radicale, entre ceux qui croient dans les vertus des technologies pour l’éducation et ceux qui n’y croient pas, avec des arguments aussi faibles dans l’un ou l’autre camp que ceux qu’on éprouve entre les tenants du livre papier et du livre électronique [fr].

La valeur des TICE dépend-elle du niveau d’argent dépensé ?

Le second article de cette série s’intéressait donc au “boom des logiciels éducatifs”, mais avant tout pour dénoncer leur manque de résultats effectifs. Ainsi, les évaluations de ces logiciels montrent qu’ils n’ont “aucun effet discernable” sur les résultats aux tests standardisés que subissent les élèves du secondaire aux États-Unis. Les logiciels éducatifs sont à l’éducation ce que les logiciels d’entraînement cérébral sont à la cognition [fr] : un vaste marché dont les fondements ne reposent sur aucun résultat démontré.

“La publicité des entreprises qui proposent des logiciels éducatifs a tendance à survendre énormément leurs produits par rapport à ce qu’ils peuvent concrètement démontrer”, estime J. Grover Whitehurst, un ancien directeur de l’Institut des sciences de l’éducation, un organisme fédéral qui évalue la recherche en éducation, notamment via son programme What Works (Ce qui fonctionne). Les responsables scolaires, confrontés à un fatras de recherches complexes et parfois contradictoires, commandent souvent des produits à partir de leurs impressions personnelles ou en fonction des démarchages commerciaux qu’ils ont subis. Et Matt Richtel de mettre dans le même sac la plupart des offres logicielles des grands et moins grands industriels du secteur, que ce soit Carnegie Learning, Pearson School, Houghton Mifflin ou Waterford Early Learning

Cela n’empêche pas ces programmes de se développer : plus de 600 000 élèves provenant de 44 États utilisent les produits de Carnegie Learning et notamment le Cognitive Tutor, un logiciel d’entraînement aux mathématiques. Un programme complet peut pourtant coûter jusqu’à près de trois fois le prix d’un manuel classique. En Géorgie, où l’État négocie les prix avec les éditeurs, une licence annuelle pour le Cognitive Tutor est de 32 dollars par élève, auquel il faut ajouter 24 $ pour le classeur qui est remplacé annuellement. Soit un total de 336 $ sur six ans – quand un manuel de mathématique, pouvant durer 6 ans, ne coûtait que 120 $.

Shelly Allen est la coordinatrice pour les mathématiques des écoles publiques d’Augusta en Georgie. Trois quarts des 32 000 élèves du district sont noirs et tout autant sont pauvres. La moyenne aux tests en mathématique y est assez faible : 443 points (490 en Georgie et 516 pour en moyenne pour l’ensemble des États américains). Il y a 6 ans, le quartier a adopté Cognitive Tutor, le programme phare de Carnegie Learning, pour 3000 élèves à risques. Le district débourse chaque année 101 000 $ pour l’utiliser. Les responsables d’Augusta ont apprécié le programme et ont décidé de l’étendre cette année aux 9 400 autres élèves du secondaire. Le problème, c’est que personne n’a regardé les lacunes et les défauts du programme, comme évalué par exemple par l’Institut des sciences de l’éducation. “Les décisions d’achat de programmes sont prises sur des bases marketing, politiques et personnelles”, explique Robert A. Slavin, directeur du Centre pour la Recherche et la réforme en éducation à l’université Johns Hopkins.

À Augusta, Shelly Allen a déclaré que son district n’a pas les moyens d’étudier l’efficacité formelle du Cognitive Tutor. Mais les professeurs qui l’utilisent ont vu que des élèves médiocres étaient en mesure de rejoindre des classes ordinaires. Les enseignants ont apprécié les rapports automatiques indiquant les forces et faiblesses des élèves et assurant le suivi de leurs travaux… Reste que pour l’instant, le district n’a pas les moyens d’acheter le programme pour tous ses élèves. Il n’est donc pas sûr que les 9400 autres élèves du secondaire d’Augusta puissent finir par en bénéficier…

Est-ce à croire qu’une école réussie dépend de l’argent dépensé ? Ce n’est pourtant pas ce que notait The Economist en commentant les derniers résultats du classement Pisa…

Serait-ce ceux qui connaissent le mieux les TICE qui s’en méfient le plus ?

Si les écoles américaines proposent de plus en plus d’ordinateurs, de logiciels et de programmes à leurs élèves, ce n’est pas le cas des écoles Steiner-Waldorf [fr], qui proposent un enseignement centré sur l’activité physique, l’apprentissage créatif et les tâches pratiques, explique dans un autre article Matt Richtel. Il n’y a pas d’ordinateurs dans les écoles Waldorf. 40 des 160 écoles Waldorf sises aux Etats-Unis se trouvent en Californie. Plusieurs accueillent des enfants des plus grands ingénieurs de la Valley. Trois quarts des parents de l’école Waldorf de Peninsula est fortement impliqué dans les nouvelles technologies, pourtant ils ne voient pas de contradictions avec l’enseignement qu’ils font délivrer à leurs enfants.

Bien sûr, la qualité de l’enseignement de ce type d’école est difficile à comparer à celui que reçoit l’essentiel des petits Américains. Aux États-Unis, en classe élémentaire, les écoles privées n’ont pas à faire passer les tests standardisés, mais les dirigeants des écoles Waldorf estiment que leurs élèves n’obtiendraient peut-être pas tous de bonnes notes à ces tests, car leur enseignement est différent. Reste que 94 % de leurs élèves terminent leurs cursus par de grandes écoles, un pourcentage auquel ne parviennent pas la plupart des écoles publiques.

“Ce résultat n’est pas surprenant étant donné que les élèves reçus à Waldorf proviennent tous de famille où l’éducation a une haute valeur, suffisante en tout cas pour chercher une école privée et sélective et qu’ils ont tous les moyens de payer pour cela”. Bref, remarque Richtel : “il est difficile de séparer les effets des méthodes pédagogiques d’autres facteurs”. Dit autrement, le succès des écoles Waldorf est-il dû à la méthode d’enseignement originale ou à la qualité de l’environnement familial depuis laquelle sont recrutés les enfants ? Les études ont du mal à apporter des réponses à ces questions.

“L’enseignement est une expérience humaine”

Paul Thomas, un ancien professeur qui a écrit une douzaine de livres sur les méthodes éducatives estime qu’une approche limitée de la technologie en classe bénéficiera toujours à l’apprentissage. “L’enseignement est une expérience humaine” rappelle-t-il. “La technologie est une source de distraction quand nous avons besoin d’apprendre à écrire, à compter, à lire et à penser”.

La qualité de Waldorf provient des professeurs, insistent bien des parents. Les compétences en informatique viendront bien assez tôt, d’autant qu’elles sont faciles à acquérir, si on dispose des bases pour les comprendre, estime le directeur d’une start-up de la Valley. Visiblement, un nombre important de parents travaillent dans des sociétés qui produisent des produits que les écoles Waldorf évitent à leurs élèves, explique Dan Frost pour le San Francisco Mag. “Les enfants Waldorf ont accès à toute la technologie, mais ils ne ressentent pas le besoin de l’utiliser”, ajoute une élève.

Reste que le contraste entre ce que l’économie technologique locale produit et la vie que les parents des élèves Waldorf préconisent pour leurs enfants est frappant. Peut-être est-ce le reflet de parents qui voudraient avoir une vie plus déconnectée… Une des mamans travaillait chez Apple pour vendre justement des ordinateurs aux écoles, jusqu’à ce qu’elle découvre les écoles Waldorf. Elle voudrait maintenant qu’on réfléchisse un peu plus à ce qu’on propose aux enfants. “J’ai entendu parler d’une sorte de robot ourson qui regarderait la télévision avec votre enfant pour discuter avec lui des programmes qu’il regarde, de sorte que l’enfant ait un ami avec lui… Je ne peux rien imaginer de plus triste” pour l’avenir de nos enfants.

Les parents des élèves Waldorf estiment que la technologie change la société en mieux. “J’aime Google”, explique Alan Eagle, un directeur de communication du Géant de Mountain View et parent à l’école Waldorf. “Et je suis ravi que les produits nous créons soient disponibles pour mes enfants… mais quand ils seront prêts pour eux.”

Les gadgets ne semblent pas manquer aux enfants. Comme le disait Kevin Kelly [fr] :

La technologie nous a aidés à apprendre, mais ce n’était pas le moyen de l’apprentissage. (…) Et puisque l’éducation des enfants consiste essentiellement à inculquer des valeurs et des habitudes, elle est peut-être la dernière zone à pouvoir bénéficier de la technologie.

Billet initialement publié sur InternetActu sous le titre “Education et nouvelles technologies : y croire ou ne pas y croire ?”

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http://owni.fr/2011/10/26/sceptiques-des-tice/feed/ 6
Les professeurs font l’école buissonnière numérique http://owni.fr/2011/04/08/les-professeurs-font-lecole-buissonniere-numerique/ http://owni.fr/2011/04/08/les-professeurs-font-lecole-buissonniere-numerique/#comments Fri, 08 Apr 2011 08:30:21 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=55564 En travaillant à plusieurs reprises avec des enseignants qui développent des usages « ordinaires » des TIC dans leur pratique professionnelle, on peut faire quelques observations intéressantes sur le devenir des TICE. On peut observer trois grandes catégories : le travail personnel, le travail en classe, le travail de suivi.

Chacun de ces aspects se développe en lien avec les deux autres, amenant l’enseignant à organiser son environnement personnel professionnel de travail. Cette analyse peut d’ailleurs se faire dans de nombreuses professions, mais la spécificité des métiers d’enseignement (les élèves…, les adultes…, l’institution…) le rend particulièrement intéressant d’autant plus que les contraintes professionnelles sont aussi fortement liées à des choix personnels que fait l’enseignant.

Développement de pratiques en autonomie

En d’autres termes enfermés dans un cadre qui peut paraître très enfermant, les enseignants ont depuis très longtemps développé une autonomie puis une liberté (reconnues dans la loi) qui, dans le domaine des TICE, est particulièrement lisible. Les textes réglementaires dans le domaine restent souvent, dans leur mise en œuvre réelle, liés à des éléments de contexte qui font que seule la volonté des acteurs permet de les mettre en oeuvre (cf le B2i).

Le développement d’un environnement personnel professionnel est une réponse normale de toute personne qui tente de s’adapter à son milieu. Les TIC, parce qu’elles touchent l’ensemble des aspects de la vie des personnes supposent donc des évolutions individuelles signifiantes et qui renvoient à ce milieu, à ces objets des informations qu’il faut prendre en compte. Le métier d’enseignant, parce qu’il est un métier de « tous les instants » (on y pense et on y travaille même quand on est loin de l’établissement d’enseignement) mais qu’il n’a comme surface de visibilité sociale que le lieu d’exercice met toute une partie de l’activité dans l’ombre, voire dans la non reconnaissance. Le développement des usages des TIC pourrait bien remettre en lumière et renouveler, voir développer des aspects du métier peu connus : préparation, suivi, accompagnement,…

S’il est acquis que la quasi totalité des enseignants utilise le numérique pour son travail personnel, encore faut-il aller voir de quelle manière ? En l’absence d’un véritable soutien autre que des injonctions (B2i, programmes…), des promesses (ordinateurs portables, formation, moyens etc.), les enseignants ont d’abord misé sur leur bonne volonté et leur compréhension personnelle des outils pour les intégrer dans leur ordinaire professionnel. Et la première chose qu’ils font est de s’appuyer sur leurs découvertes en ligne pour enrichir leurs pratiques.

Bien qu’observant leur manque de curiosité publique surtout lorsqu’ils sont entre pairs, il faut reconnaître qu’en privé ils font preuve d’une volonté de découverte importante. Observant récemment des enseignants de primaire, je me suis étonné, alors que de nombreuses ressources leur étaient proposées à la découverte, qu’ils ne se donnent pas un temps pour explorer les ressources proposées. Comme si devant leurs pairs ils attendaient d’abord qu’on leur montre plutôt que d’aller eux même à la recherche.

Barrières techniques, pédagogiques et organisationnelles

En fait je me suis aperçu qu’ils préfèrent aller voir de leur coté dans le secret de leur pratique personnelle. Cela confirme une impression déjà observée dans les premiers temps de l’informatisation des bulletins de notes. Au début, les enseignants redoutaient d’être en difficulté devant leurs collègues en salle des profs. Après une période d’habituation, ils osent désormais avancer à découvert, même si des réticences restent observables. C’est d’ailleurs cette évolution qui est la plus significative : certains enseignants peu à l’aise osent désormais aller au-delà de leurs premières craintes, même avec leurs collègues, voire en s’appuyant sur les interactions avec leurs collègues. Du coté des pratiques personnelles on aborde une période de maturité. Malheureusement le transfert vers les pratiques en établissement souffre souvent de barrières le plus souvent techniques et aussi pédagogiques et organisationnelles qui freinent les enthousiasmes.
De fait on observe des pratiques semi clandestines du type blog ou Facebook ou autres pratiques personnelles déplacées dans la gestion du pédagogique individuel. Il n’est plus rare d’entendre des enseignants témoigner de leur usage du mail avec leurs élèves ou leurs collègues et les blogs de classe ou de projets disciplinaires se développent sans souci autre que celui d’une volonté personnelle de ne pas s’embarrasser de moyens « officiels ».

Car c’est là un des questionnements les plus importants : est-ce que les injonctions du type ENT vont avoir un effet sur ce genre de pratiques ? Autrement dit est-ce que les enseignants rentreront dans le cadre (et leurs élèves aussi) ? Cela n’est pas sûr. Le cadre posé par les ENT est souvent artificiel en regard des pratiques personnelles. L’articulation entre ces outils institutionnels et ces pratiques personnelles devra rapidement être réfléchi par les concepteurs des produits. Surtout que des approches critiques des ENT en viennent à considérer que certaines « usines à gaz » sont très enfermantes et ne donnent pas envie aux enseignants de s’y plier.

Un moment de bascule

Nous sommes à un moment de basculement. ENT, cahier de textes en lignes etc. sont des cadres que les enseignants sont invités à s’approprier. L’exemple du cahier de texte est intéressant car il est justement à l’articulation de la pratique personnelle et de la pratique professionnelle. Les potentialités des applications proposées sont importantes. Ainsi un chef d’établissement observait que l’usage de la pièce jointe dans le cahier de texte était quasi inexistante de la part des enseignants. Peut-être est-ce la confusion possible qu’il y a entre le cahier de texte, version « administrative » et le cahier de texte version pédagogique. En effet, le versant administratif est celui de rendre compte à l’état, celui du pédagogique est celui de l’accompagnement de l’élève. Est-il possible de combiner les deux dans le même outil au risque de confusion entre les deux finalités ? Suivant la manière dont les enseignants interpréteront la nouvelle circulaire on peut penser qu’ils vont y regarder à deux fois avant de trop en mettre en ligne.

Même si pour l’instant, les retours des établissements utilisateurs sont plutôt tranquilles et montrent un usage raisonnable, on peut s’attendre à des questionnements plus forts dans les prochains mois prochaines années si une extension large s’effectue et si les enseignants y voient un contrôle administratif (hiérarchie ou famille) plus grand.
Il semble que ce soit à la frontière de l’informel et du formel que se développent actuellement les initiatives les plus prometteuses. Sans être exceptionnelles sur un plan médiatique, elles ont pourtant du mal à rentrer dans les cadres proposés. L’arrivée des ENT se fait peut-être trop contre le développement des EPPE (environnement personnel professionnel de l’enseignant), au risque de se voir désertés.

La force des sites mutualistes face à des démarches institutionnelles

Lors de la création des sites mutualistes aujourd’hui bien connus (Café pédagogique, WebLettres, Sésamath, Clionautes etc.) on était loin de penser à leur durée. Aujourd’hui ils ont déjà plus de dix ans (le Café Pédagogique fête ces jours ci les dix années de sa création) et ils démontrent, outre leur ancrage dans le paysage enseignant, leur force face à des démarches institutionnelles. Sans forcément bousculer les organisations existantes, ces initiatives démontrent la double démarche du monde enseignant qui a un pied dans sa culture privée et un pied dans la culture professionnelle officielle.

On aurait pu penser à une normalisation lente, il n’en a rien été. Dans les pratiques personnelles, et cela risque d’en être d’autant plus répandu que l’institution a de plus en plus de mal à accompagner réellement le système éducatif dans son ensemble, les enseignants construisent une identité propre autour de l’usage des TIC. Ils grappillent ici ou là les occasions offertes mais n’entrent pas automatiquement dans des stratégies descendantes dont ils perçoivent très vite qu’elles ne sont pas vraiment adaptées à leurs réalités. Artisans plus que profession libérale, l’enseignant, comme dans l’établi de Robert Linhardt, est en train de se forger des instruments, seuls ou en groupe, dont il y a fort à parier qu’ils sauront mieux répondre à leurs besoins que toutes les initiatives institutionnelles… En tout cas les trois prochaines années nous permettront de mieux voir comment va se construire un équilibre entre ces deux univers…

Billet initialement publié sur Veille et analyse TICE sous le titre “Environnement personnel professionnel de l’enseignant”

Image CC Flickr Pas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales tripu et Paternité mortsan

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http://owni.fr/2011/04/08/les-professeurs-font-lecole-buissonniere-numerique/feed/ 6
Internet et sida, ||même prescription scolaire? http://owni.fr/2011/03/28/internet-et-sida-me%cc%82me-prescription-scolaire/ http://owni.fr/2011/03/28/internet-et-sida-me%cc%82me-prescription-scolaire/#comments Mon, 28 Mar 2011 14:30:46 +0000 Odile Chenevez http://owni.fr/?p=52305

[Tribune initialement publiée en octobre 2007] Les élèves qui arrivent aujourd’hui à l’âge du lycée ne veulent plus entendre parler d’éducation à la sexualité. Ils ont le sentiment de tout savoir sur un sujet qu’on leur a servi chaque année de collège sous l’angle de la prévention contre le sida. Ce sont toujours des intervenants, partenaires associatifs, et extérieurs, qui s’y collent avec un dévouement d’acier, une mission louable et des outils de démonstration vaillamment décomplexés…

Ces interventions sont souvent parfaites dans leur organisation. Animées avec talent, elles recueillent l’adhésion du système scolaire, qui trouve là un palliatif pour un contenu à enseigner indispensable, et d’ailleurs annoncé dans le programme de SVT des collèges : « Adopter une attitude raisonnée fondée sur la connaissance et développer un comportement citoyen responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé (choix personnels et comportements collectifs). »

Il est en effet plus confortable d’abandonner la dimension concrète de cette approche à des associations spécialisées. Ces interventions sont souvent détachées du reste de l’activité d’enseignement et proposées comme une information sur les risques et les bons comportements. Elles reviennent à la transmission d’une doxa, et ne constituent pas un enseignement, qui supposerait une approche plus longue, mieux intégrée et contextualisée, dans une relation aux savoirs où les élèves ne sont pas un auditoire passager d’un spectacle (au mieux) interactif. Les enseignants qui ont assumé d’intégrer la question du sida à leur enseignement le savent bien, même, et surtout, s’ils l’ont fait sous la forme d’un IDD ou d’un TPE où le recours à un intervenant est possible mais ne constitue pas l’unique modalité de l’étude.

Une solution « clés en main »

Ce phénomène, qui consiste pour l’école à se décharger sur des intervenants associatifs de certaines questions vives de la société, touche également le problème des risques liés aux usages d’Internet. Certaines officines ont trouvé là une véritable mission alimentée par la pléthore de peurs qui entourent le sujet. L’association la plus en vue actuellement sur cette question se nomme Calysto et a entrepris un Tour de France des collèges et des écoles pour y délivrer une théorie de bons comportements sur Internet aux élèves comme à leurs enseignants et leurs parents. L’intention est louable et les retours des participants très positifs si l’on en croit les multiples témoignages de satisfaction de chefs d’établissement sur le site web de l’opération. Sa mission est effectivement salutaire, puisqu’elle se définit ainsi :

« Concernant les collégiens, cette opération a pour but :
– d’aiguiser leur sens critique vis-à-vis de ce média et de ses contenus ;
– d’éveiller leur curiosité afin de diversifier les pratiques d’Internet ;
– de les sensibiliser aux risques encourus et de les aider à développer une démarche “morale et citoyenne”.
Concernant les parents et enseignants, cette opération a pour but :
– de leur présenter les usages des collégiens ;
– de les accompagner, les rassurer et les informer des enjeux et des risques liés à l’utilisation d’Internet ;
– de développer la réflexion autour d’une approche pédagogique complémentaire entre les usages d’Internet au collège et ceux pratiqués à la maison. »

Pour tout cela, Calysto propose une solution « clés en main » d’une journée, au modeste prix de 299 euros, avec, comme au restaurant, deux formules au choix.
« Formule 1: pour voir un maximum de collégiens (Option 1 : Internet ; Option 2 : Le téléphone mobile) :
– 5 fois 1 heure, soit 5 séances “collégiens”. Horaires : 10 h-12 h/14 h-17 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “parents/professeurs”. Horaires : 18 h-19 h 30 ;

Formule 2 : pour une approche approfondie/Internet et le téléphone mobile :
– 3 fois 2 heures, soit 3 séances “collégiens”. Horaires : 8 h-12 h/14 h-16 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “professeurs”. Horaires : 16 h-17 h 30. »

La page d’accueil du site présente une bannière clignotante en gros caractères : « Un élève renvoyé/Propos racistes à l’égard d’un professeur sur un blog/M. Rivoire, le principal du collège, témoigne ». La bannière, cliquable, renvoie sur la rubrique des témoignages, où se déclinent les peurs que suscite Internet, les adultes « dépassés » et l’excellent travail accompli par l’animateur. Rarement les chefs d’établissement interrogés font le lien avec une activité menée par le collège pour donner une suite à l’intervention, par exemple la rédaction d’une charte informatique.

Le soutien du ministère de l’Éducation et de la délégation aux usages d’Internet appuie la crédibilité de ces actions, et les collectivités territoriales ne rechignent pas à leur financement. Le prix à payer reste modeste pour un « clés en main » qui annonce un tel programme, avec un animateur « autonome », qui vient avec son ordinateur et son vidéoprojecteur et remet à chaque élève une brochure reprenant les conseils de l’intervention. En une journée, le « collège-étape » est traité, sans rien avoir à organiser. On laisse ainsi à la « vraie » école, rassurée d’avoir formé les élèves, le temps de s’occuper des choses sérieuses : les programmes disciplinaires.

Les préconisations du socle commun

Pourtant le quatrième pilier du socle commun des connaissances et des compétences (la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication) précise : « Ces techniques [celles de la culture numérique] font souvent l’objet d’un apprentissage empirique hors de l’école. Il appartient néanmoins à celle-ci de faire acquérir à chaque élève un ensemble de compétences lui permettant de les utiliser de façon réfléchie et plus efficace. »

Et il donne un cadre scolaire à cet apprentissage : « Les connaissances et les capacités exigibles pour le B2i collège (Brevet informatique et internet) correspondent au niveau requis pour le socle commun. Elles sont acquises dans le cadre d’activités relevant des différents champs disciplinaires. »

Quant aux attitudes attendues, elles sont énoncées ainsi : « Le développement du goût pour la recherche et les échanges d’informations à des fins éducatives, culturelles, sociales, professionnelles doit s’accompagner d’une attitude responsable – domaine également développé dans la définition du B2i – c’est-à-dire :
– une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible ;
– une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs. »

Elles correspondent aux objectifs que l’intervention de Calysto prétend atteindre en une ou deux heures de travail avec les collégiens.

Information n’est pas enseignement

Or il est clairement impossible, si l’on veut répondre aux préconisations du socle commun, d’espérer régler cette question en la déconnectant de la patiente approche au quotidien de la classe. Impossible aussi d’oublier qu’un enseignement suppose une organisation didactique bien plus différenciée qu’une simple séance d’information. Il s’agit de mettre les élèves dans des situations variées où ils rencontreront des questions, où ils trouveront des réponses parfois contradictoires, où ils devront prendre des positions et les défendre ou apprendre de nouvelles techniques. Sur des questions aussi vives que celles de la culture numérique, il importe que les réponses se construisent patiemment et mettent en avant le débat de société sous-jacent. Si donc une intervention du Tour de France peut être intégrée à cette approche, elle ne peut en aucun cas libérer l’école de son obligation d’un enseignement construit de ces questions, jour après jour au cœur des disciplines.

Quelle place pour l’« éducation à… » ?

C’est bien la même problématique que rencontrent les multiples dispositifs d’« éducation à… » qui frappent aujourd’hui aux portes de l’École. Ils se nomment éducation à la santé, à la citoyenneté, à l’environnement et au développement durable, aux médias, aux risques d’Inter- net, etc. Un certain consensus existe sur le fait qu’il s’agit de répondre à des besoins de savoirs essentiels au citoyen d’aujourd’hui, mais un autre consensus, bien plus coriace, refuse de leur donner une vraie place au sein des sacro- saintes disciplines scolaires. Ils sont pourtant l’occasion de donner une réalité d’aujourd’hui à bien des savoirs de tradition disciplinaire.

On accumule donc, dans les corridors et les placards, diverses « éducations à… », pressantes, qui cherchent leur place dans les interstices scolaires, de préférence auprès des élèves en difficulté. Les autres auraient-ils mieux à faire ? Elles vivent dans les marges du facultatif, de l’option, du club, avec d’ailleurs des résultats fort intéressants pour ceux des élèves qui y participent. Et lorsque l’urgence est là, comme pour ce qui concerne Internet, le sida ou les drogues, lorsque les comportements de mises en danger des élèves sont réels, on se tourne vers la figure de l’intervenant associatif capable de rassurer toute une équipe éducative en une heure d’intervention devant les élèves.

La prestation, souvent de qualité, de ces intervenants peut malheureusement amener à confondre temps d’information et véritable enseignement. En une heure ou deux, avec des élèves qu’il ne reverra jamais, que peut faire d’autre un intervenant que de prendre la posture du « sachant » face à des « non-sachant » qui recevront des réponses calibrées à des questions calibrées, au statut de vérité universelle, quelles que soient la qualité du contact qu’il établit avec les élèves ou l’originalité de sa prestation ? Une telle intervention, si on la souhaite dans son établissement, devrait obligatoirement apparaître comme une ressource parmi d’autres, avec des compléments, des moments où l’on reparle de ce qui a été dit, des moments où l’on vérifie, où l’on expérimente autour de cette parole de l’intervenant.

De la même manière, de plus en plus d’éditeurs fabriquent des outils à destination des élèves et de leurs enseignants pour les guider dans la connaissance des risques ainsi que de leurs droits et devoirs sur Internet. Ces fascicules ou animations didactisés sont disponibles en ligne comme par exemple les Mémotice, ou Internet et moi ou encore les superbes animations Vinz et Lou, etc. Ils constituent des « prêts-à-enseigner » dont l’usage scolaire est à double tranchant. Une ressource documentaire de grande qualité ne remplacera jamais le travail sur la durée au sein de la classe, chaque professeur le sait bien pour tout ce qui relève des contenus traditionnels de sa discipline. Mais dans les domaines des « éducations à… » où les enseignants se sentent mal assurés quant aux savoirs à transmettre, ces « prêts-à-enseigner » risquent de tenir lieu de seul contenu d’enseignement.

Un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire

En revanche, les situations didactiques adaptées, comme une recherche raisonnée sur Internet, un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire, au cours desquelles on n’évacuera pas trop rapidement les questions qui se posent, auront quelques chances d’apporter aux élèves les milieux adaptés pour construire les savoirs dans leur dimension problématique. Il s’agira en effet d’élaborer des réponses à des questions qui se posent vraiment à la classe, en utilisant toutes les ressources possibles, plaquettes éducatives, intervenants extérieurs, ressources en ligne, témoignages, livres et savoirs disciplinaires.

Par exemple, lorsque Christelle Guillot, professeur de français dans un collège de Guérande, propose à ses élèves à la rentrée 2007 d’organiser le travail de la classe autour d’un blog, elle sait qu’elle va rencontrer des situations professionnelles nouvelles liées à la publication en ligne. « En soumettant à la classe et/ou à son enseignante son projet, l’élève doit donc argumenter, prendre des responsabilités vis-à-vis de ce qu’il a produit. Ensuite, il doit accepter la décision de ses pairs et/ou de son enseignante en recevant ou non l’autorisation de diffuser. Le blog devient alors une aventure commune : chacun participe, chacun apporte sa richesse ! »

Mais elle se heurtera aussi, parfois en même temps que ses élèves, à des questions à résoudre sur le droit à l’image, le droit d’auteur, la responsabilité d’un commentaire, les copiés-collés, etc. C’est alors que les ressources diverses, intervenants ou plaquettes, prendront un sens. J’ai plusieurs fois constaté que les seules mises en garde et listes d’interdits diffusées dans les établissements scolaires produisent soit l’ennui, soit le désir de transgresser, voire la peur ou l’effroi des élèves. De ce traitement contre-productif, l’épisode suivant, auquel j’ai moi-même participé en tant qu’intervenante, est une bonne illustration : en mai 2007, dans un collège du Vaucluse, à l’occasion d’une journée d’éducation à la citoyenneté consacrée aux nouveaux médias, des élèves, de la sixième à la troisième, écoutent des intervenants leur commentant les choses à ne pas faire sur Internet, avant de visionner un film sur la cybercriminalité présenté par un gendarme en tenue ; à l’issue de cette journée, les élèves, impressionnés, concluront timidement :

Il faudrait interdire Internet !

Tribune initialement publiée dans les dossiers de l’ingénierie éducative, une publication du Centre national de documentation pédagogique.

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http://owni.fr/2011/03/28/internet-et-sida-me%cc%82me-prescription-scolaire/feed/ 5
Le B2i a eu 10 ans ce 23 novembre, qu’est-il devenu? http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/ http://owni.fr/2010/11/29/le-b2i-a-eu-10-ans-ce-23-novembre-qu%e2%80%99est-il-devenu/#comments Mon, 29 Nov 2010 09:26:18 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=37280

Le socle commun a-t-il dévoré le B2i ? À écouter les équipes qui tentent de mettre en place ce dernier, le B2i est soit un vieux souvenir à oublier, soit une logique acquise qui facilite le déploiement du socle. En tout cas, en fêtant les 10 ans du B2i ce 23 novembre, on peut signifier le début d’une nouvelle façon d’aborder la place des TIC dans le monde scolaire. Pas si nouvelle pourtant, mais pour la première fois, c’est un cadre qui a été fixé pour la scolarité obligatoire : l’usage des TIC est non seulement recommandé (le B2i n’était qu’une note de service à l’époque), mais aussi il s’appuie non pas seulement sur des connaissances informatiques, mais sur des pratiques qui seront plus tard appelées usuelles des technologies de l’information et de la communication.

Geste politique, le B2i initié par Jack Lang a été progressivement renforcé dans le paysage réglementaire de l’école jusqu’à son intégration dans le socle commun et dans la certification de fin de collège (le B2i était exigé au moment du passage du DNB). Autrement dit d’un simple geste, le B2i est devenu la loi. Certes remanié à plusieurs reprise dans sa forme ou dans son fond, a assez peu changé au cours de ces dix années.

La contestation de ce B2i, observable au travers de sa mise en œuvre dans les classes, est intéressante à observer car elle révèle de nombreux travers de notre système éducatif :

- Le premier de ces travers est le refus par les enseignants d’appliquer la loi telle qu’elle est écrite. Comment en effet comprendre la légèreté des propos tenus par nombres d’enseignants par rapport à cette obligation légale, et ce encore plus avec l’arrivée du socle commun.

- Le deuxième est celui d’une lutte pour la scolarisation de l’informatique qui s’est opposé au B2i pour insuffisance de connaissances fondamentales. Les principaux zélateurs de l’informatique comme discipline n’ont eu de cesse de lutter contre le B2i au nom d’une conception des savoirs académiques bien particulière, mais aussi d’une conception de la place de l’informatique dans les sciences qui a mis à mal dans de nombreux établissements ce qui devait être une première étape.

- Le troisième est celui de la méfiance du monde enseignant pour les technologies et en particulier celles de l’information et de la communication. En retardant au maximum la mise en place du B2i sous de nombreux prétexte, les enseignants ont renforcé cette image de méfiance technologique qu’ils avaient déjà donnée à voir avec la télévision.

- Le quatrième est celui des errances de la hiérarchie intermédiaire, et en particulier des corps d’inspection qui ont souvent eu du mal à accompagner le B2i. Il suffit de lire les rapports de l’inspection générale sur le sujet pour s’en rendre compte, mais aussi d’entendre certains de ces inspecteurs dénigrer le B2i devant les enseignants (surtout dans certaines disciplines).

- Le cinquième est celui de la difficulté de l’école à mettre en œuvre des textes qui ne donnent pas lieu à des moyens spécifiques. Parce que transversal à tous les enseignements, le B2i a mis en difficulté une conception traditionnelle de l’enseignement. L’habitude est soit de déléguer à une personne, soit de ne rien faire : on a pu observer dans de nombreux établissements les deux cas de figures, même si cela s’estompe progressivement.

- La sixième est la prise de position étonnante des chefs d’établissement par rapport à leur obligation de mise en œuvre du B2i. Combien sont-ils, ceux qui ont signé des B2i alors que les élèves n’avaient que peu ou pas touché un clavier et vu un écran au cours de leur scolarité… En tout cas nombre d’élèves ont été validés pour ne pas nuire à leur scolarité, plus que pour attester de leurs compétences si souvent contestées par les enseignants eux-mêmes…

Équipement : les politiques ont été « légers »

- La septième est l’inadéquation d’un dispositif comme le B2i avec les équipements des établissements. Alors qu’en 1999 le précédent ministre avait envisagé qu’un ordinateur portable soit donné à chaque enseignant sortant de la formation initiale, on s’est rapidement aperçu que tout allait de travers en matière d’équipements. Le récent plan ENR et le prochain plan numérique nous montrent combien les politiques ont été « légers » dans ce domaine.

- Le huitième est l’absence d’accompagnement constructif et prescriptif des enseignants dans une évolution pourtant constamment réaffirmée. Parce que le ministère a utilisé le plus souvent le numérique comme effet d’annonce en ne le prolongeant que rarement par les réalités promises, il a amené nombre d’enseignants à railler le B2i. Hors dans le même temps les enseignants s’y sont mis à titre personnel. Autrement dit, le contexte a dix ans de retard sur les intentions du B2i.

- le neuvième est la volonté de scolariser toute pratique sociale et ainsi de la déconnecter de la réalité des usages comme le montre la réécriture du B2i en 2006. En précisant les connaissances, les capacités, les attitudes de chaque domaine, le ministère a fini de rendre difficile à mettre en œuvre le B2i. De plus il en a fait un exercice qui serait condamné à devenir scolaire alors que le souhait initial était d’accompagner une pratique sociale en lui donnant un cadre structurant.

- le dixième est la propension du système à persévérer dans une bonne idée initiale sans jamais adapter sa politique aux réalités de la mise en œuvre comme on peut le voir avec le B2i lycée. Il suffit de lire les textes de la réforme du lycée pour s’apercevoir que seules deux ou trois disciplines ont pris soin de noter le B2i dans les nouveaux programmes. À tel point qu’en dehors de ces programmes disciplinaires, il n’est fait aucune allusion au B2i lycée. Il faut dire à la décharge du lycée, que l’université à réussi à imposer le C2i niveau 1 (licence) sans se préoccuper de ce qui se passait avant, déresponsabilisant le lycée sur ce domaine.

- le onzième est celui de la hiérarchie qui s’est rapidement emparée des logiciels de suivi du B2i (GiBii en particulier) pour développer un modèle de contrôle du monde scolaire qui tend aujourd’hui à se développer avec l’application de gestion du socle commun. La centralisation des acquisitions du B2i par un logiciel régional ou national a permis à des responsables de réaliser un vieux rêve : observer de loin les élèves en trains d’acquérir des compétences. Mais ils en ont rapidement réalisé un autre : contrôler la qualité du travail des enseignants et des équipes en observant la manière dont ils mettaient en place les évaluations du B2i. Avec l’arrivée de l’application centralisée de gestion du socle, on assiste à la généralisation de cette approche.

L’objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC n’est pas atteint

En fait le B2i n’a pas atteint son objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC et c’est regrettable. Du coup c’est par l’extérieur qu’est en train d’arriver cette acculturation : livret de suivi, de compétences, d’orientation, cahier de texte numérique, ENT etc. enserrent progressivement l’enseignement scolaire. Ce qui n’a pas marché par l’intérieur est en train de poser son emprise de l’extérieur. Restent les nombreuses difficultés.
Le B2i parce qu’il tentait de prendre en compte une réalité des pratiques sociales des jeunes était un signe positif de l’ouverture de l’école sur son environnement. Le socle enterre malheureusement cette approche en scolarisant davantage qu’initialement cette orientation. Même si le contenu de la compétence 4 du socle laisse penser le contraire, les échanges que l’on peut avoir dans les collèges, davantage que dans le primaire, montrent que l’on est loin de cette orientation. Le monde scolaire reste donc largement plus rétif aux TIC qu’on ne le pensait et l’enquête récente publiée par le ministère, même si elle est rassurante sur les pratiques personnelles est inquiétante sur les pratiques en classe. Mais surtout cette enquête oubliait un phénomène essentiel : l’effet établissement. Comment comprendre qu’une enquête sur les pratiques des TIC dans le monde scolaire ignore à ce point le « cadre d’action » ? On trouve là une explication du relatif échec du B2i : on résonne au niveau des enseignants sans se soucier réellement du cadre d’action concret… non pas considéré (comme l’enquête en ligne faite par le ministère le laisse penser) dans sa dimension quantitative sur ratio ordinateurs/élèves, mais dans sa dimension qualitative du fonctionnement réel et de l’organisation des TIC dans les structures établissements. Force est de constater que le bricolage remarquable de nombre d’enseignants à compensé l’absence de vision d’ensemble. À moins qu’un prochain plan numérique ne prenne à revers ce problème….

À suivre et à débattre

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle

Image CC Flickr Jonathan Pobre et Marcin Wichary

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TICE: Alain Chaptal prône un “optimisme prudent et pragmatique” http://owni.fr/2010/09/14/tice-alain-chaptal-prone-un-optimisme-prudent-et-pragmatique/ http://owni.fr/2010/09/14/tice-alain-chaptal-prone-un-optimisme-prudent-et-pragmatique/#comments Tue, 14 Sep 2010 06:32:21 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=20631 Ingénieur Télécom Paris et docteur de l’Université Paris X en sciences de l’information et de la communication, Alain Chaptal a réalisé une étude intitulée “Les cahiers 24×32, mémoire sur la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution”, parue en mars dernier. Il y explique que les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation) sont dévoyées dans les pays anglo-saxons afin d’évaluer les professeurs et de mettre en place une rémunération au mérite, en fonction des résultats des élèves. Mais son travail met aussi en avant d’autres points du développement des TICE, évolution qui dépend en grande partie des politiques des gouvernements. Nous sommes revenus avec lui là-dessus, l’occasion d’évoquer de façon plus générale sa vision des TICE.

Dans votre étude, vous évoquez surtout le cas des États-Unis, sans vous étendre sur la Grande-Bretagne…

Il existe des nuances mais globalement la situation évolue dans le même sens. J’ai été plus prudent en ce qui la concerne car il y avait une accélération dans la perspective des élections législatives de mai dernier. Il y avait deux phénomènes importants portés par les travaillistes : d’une part le programme lancé par Tony Blair des academies que Gordon Brown poursuivait mais un cran en dessous. C’est l’équivalent des charter schools, c’est-à-dire du financement public avec des règles dérogatoires. Un durcissement a été annoncé en direction des enseignants et du rôle des parents : le secrétaire d’État Ed Balls avait annoncé [en] une licence d’enseignement, comme un permis de conduire, valable cinq ans. Puis la coalition conservateurs-démocrates a remporté les élections. Du coup, la licence d’enseignement passe à la trappe, le vote des parents aussi semble-t-il, mais par contre il y a un accent très fort sur le modèle suédois des free schools. Le problème, c’est que les free schools sont financés sur fonds publics, elles sont libres de fixer le programme en respectant les grandes orientations, ainsi que la rémunération des enseignants, qui sont en général moins qualifiés, mais aussi de faire du profit. On ne connait pas encore le détail. Le plan de Tony Blair visait 400 academies, les annonces de Nick Gibb, le nouveau ministre de l’Éducation, faisait état de 700 déclarations d’intention d’école d’adopter ce modèle. Cela risque vraiment de déstabiliser le système éducatif anglais.

Où en est-on du projet Race to the top, ce fonds mis en place par Obama, officiellement pour inciter les États à innover et à réformer en matière d’éducation ?

La première phase de sélection du projet Race to the top a eu lieu en mars, les États étaient notés sur une échelle de 500 points, selon plusieurs critères comme la suppression de la limite sur les charters schools. Il y a eu au total douze gagnants. Les quatre milliards de dollars du projet ont été distribués. Par ailleurs, il y a une procédure en cours pour avoir une rallonge d’1,35 milliards en 2011.

L’administration Obama et son ministre Arne Duncan ont clairement dit que lier la performance des professeurs aux résultats de leurs élèves n’était qu’une des mesures qui rentraient en ligne de compte par rapport aux objectifs d’évaluation, c’est l’aspect un peu positif.

En revanche, cette phase de sélection a été très efficace, en ce qu’elle a amené beaucoup d’État, par-delà les gagnants, à modifier leur législation dans deux directions . D’une part, autoriser le dispositif des charter schools. D’autre part, modifier les dispositifs législatifs des États sur l’évaluation des enseignants et intégrant, dans des degrés variables, une paye au mérite, en fonction des résultats de leurs élèves. L’administration Obama a réussi à lancer un mouvement. Mais les syndicats sont très embêtés, on a cherché à éviter un affrontement frontal.

On a eu un premier cas [en] spectaculaire et médiatisé dans le Rhode Island où le superintendant d’un établissement a annoncé le remplacement de l’ensemble des équipes éducative de l’établissement, ce qu’ils appellent le turn around, faire table rase. Obama l’a cité comme exemple de mesure courageuse et radicale, évidemment il s’agit un établissement en échec depuis de nombreuses années qui n’avait pas évolué.

Il faut noter la présence de deux États qui ont une politique très vigoureuse en ce qui concerne la rémunération au mérite, New York et surtout la ville de Washington. La responsable de l’éducation a une politique très brutale de licenciements d’enseignants jugés non performants. Il y a quelques grands absents, comme la Californie, qui pèse énormément en terme de nombre d’élèves, et avait une politique très claire, avec des interdictions fermes dans la loi, par exemple lier les résultats des élèves à une forme quelconque d’évaluation des enseignants, qui a bougé ses textes malgré l’opposition des syndicats et qui ne se retrouve pas parmi les gagnants et comme l’État de Californie est dans une situation financière très difficile, cela risque d’avoir des effets importants avec des licenciements nombreux d’enseignants pour des raisons économiques cette fois-ci.

Des tests, encore des tests, rien que des tests... Mais pour évaluer quoi au juste ?

Vous soulignez que la logique “comptable” est une vision à court terme néfaste…

On a l’exemple de l’exemple de l’Angleterre à la fin du XIXe siècle, où la politique éducative a été pendant trente ans uniquement basée sur des tests et la paye sur le résultat de ces tests, un fiasco total : ils ont constaté qu’ils avaient décroché par rapport au système européen. C’est la loi de Campbell : à partir du moment où l’on met en place des indicateurs aussi contraignants, les enseignants ont un comportement rationnel, ils s’adaptent, ils réduisent la portée de leur enseignement et se concentrent sur ce qui fait l’objet des tests, ils ne font plus de l’éducation mais de l’entrainement aux tests, du bachotage, et ils s’intéressent à la population utile, c’est-à-dire les élèves qui ont une chance de progression.

Vous expliquez dans votre mémoire qu’on trouve en France des échos à cette tendance anglo-saxonne, est-ce que les syndicats ont réagi à cela ? Et y a-t-il eu de nouveaux échos ?

La FSU s’en était préoccupée, plus exactement l’extension recherche de la FSU, l’institut de la FSU, qui avait publié un petit livre au titre provocateur, Payer les profs au mérite ? en 2008 (co-écrit par Alain Chaptal, ndlr), analysant de ce qui se passait aux États-Unis à l’époque. Mais il n’y a pas beaucoup eu de relais. Et depuis mon mémoire, personne ne s’est exprimé là-dessus.

Vous vous montrez assez critique à propos d’un avatar du socio-constructivisme qui prône un fort recours aux TICE, parlant de “mirage”

Ce que je stigmatise à travers cette version de grande diffusion du socio-constructivisme, c’est ce discours imprécatoire sur la révolution pédagogique ; elle a été très relayée par les chercheurs qui sont, par définition, intéressés par les signaux faibles qui peuvent être indicateurs d’un changement et tout ce qui est nouveau : le constructivisme est une alternative, donc par nature elle suscite leur intérêt. C’est une erreur totale selon moi que de prêcher une révolution. Les enseignants font un métier difficile, ils sont confrontés à une hétérogénéité de plus en plus grande de la part de leurs élèves. Ils ont développé au fil du temps un certain nombre de techniques pour gérer la classe et assurer une progression vaille que vaille et on leur dit maintenant “vous allez oublier tout ce que vous avez fait, changer de méthodes et d’outils” et l’on s’étonne que ce discours ne les convainc pas et qu’ils aient une sage prudence.

Ce qui me parait important pour les TICE, parce que je ne suis pas du tout un sceptique, mais un optimiste prudent et pragmatique, c’est que cela permet de diversifier l’offre éducative. Cela me parait utopique d”affirmer, comme on l’a dit avant, “le serious game, les univers virtuels vont révolutionner l’éducation”. Par contre, c’est vrai que pour certains élèves, une approche différente s’appuyant sur quelque chose de plus ludique, peut constituer un moyen de les motiver et de leur faire apprendre un certain nombre de notions, par exemple en matière de culture scientifique. L’intérêt des TICE, c’est qu’elles permettent d’enrichir sans forcément bousculer toutes les pratiques et d’avoir des offres alternatives qui font s’adapter à différents profils d’élèves. Ce ne sera jamais une panacée, cela permettra de diversifier cette offre, d’être plus efficace par là-même et de laisser moins d’élèves au bord du chemin. Et c’est dans ce sens que le constructivisme a un rôle à jouer mais pas un rôle exclusif. C’est aux enseignants de maîtriser le rythme auquel ils évoluent et quand ils ont recours à ce type de pédagogie.

C’est un art qui est fait tout d’exécution le métier d’enseignant. Ce qui est fait avec une classe, une année peut être formidable et l’année suivante, cela peut très mal se passer avec le même effectif mais un échelon de plus. On est dans le détail, des réglages fins, c’est pourquoi je suis peut-être un peu trop critique vis-à-vis du constructivisme. On peut changer de méthode, cela s’est déjà fait et de façon concertée mais par rapport à des objectifs pédagogiques, ils priment.

Vous dites que les enseignants doivent aller à leur rythme. Mais face à la rapidité de l’impact de l’Internet sur nos vies dans tous les compartiments, ne faudrait-il pas bousculer les choses ?

Le problème de l’enseignant c’est que son travail consiste à faire apprendre aux élèves et je ne suis pas sûr que les changements soient si pertinents que cela. L’accès aux informations, aux documents, les fonctions de communication, peut-être ce qui va du côté du collaboratif, encore que là je serais un peu plus prudent, même si le phénomène des réseaux sociaux est important, d’accord. Mais sur l’apprentissage lui-même, sur les efforts liés à l’apprentissage, la nécessité d’une implication personnelle, là c’est moins clair. Ce sont eux les professeurs les mieux placés pour maîtriser le rythme et les conditions dans lesquelles cela peut s’opérer.

Il faut noter qu’il y a en France actuellement un déficit d’équipement, ils commencent à être vieillissant. Pour un enseignant, avoir les facilités directement sous la main, un ordinateur, connecté à Internet, avec de quoi projeter, c’est le minimum, ce n’est pas le cas dans chaque classe. C’est le rôle fondamental du ministère d’impulser la dynamique.

Ce que devrait faire le gouvernement, c’est dire aux enseignants combien c’est important qu’il prennent en compte cette nouvelle donne et qu’ils fassent en sorte que l’ensemble de l’institution, tout ce qui fait le contact professionnel des établissements, les chefs d’établissements, les corps d’inspection soient sensibilisés à cela et le valorise, et s’ils ne le font pas, les incitent à le faire. Or ce n’est pas le cas du tout. Luc Chatel avait laissé entendre qu’il y aurait un plan numérique qui serait annoncé rapidement et on attend toujours.

Ce que j’observe aussi, c’est que même dans des pays où il n’y a pas de problème logistique, aux États-Unis par exemple, dans mon étude je citais l’évaluation faite par l’association professionnelle des fabricants de logiciels, leur objectif évidement c’est de développer la e-éducation. Ils ont défini un index de l’état des lieux de l’utilisation du numérique dans les établissements scolaires pour suivre la progression. Ils viennent de sortir au tout début de l’été la nouvelle édition de leur index, cela ne bouge quasiment pas. Ils expliquent cela en disant “on a de plus en plus de gens qui constituent le panel et que l’on n’est donc plus sur les pionniers mais sur l’usage courant. C’est reconnaître en creux que l’usage courant n’est pas très important.

En France, des équipements viellissants. Les budgets seront-ils là pour renouveler le parc ?

Votre mémoire souligne aussi que la France n’est pas si en retard que cela en matière de TICE…

On ne l’est surtout pas sur le plan qualitatif. On l’est sur le plan matériel, les collectivités territoriales ont fait un effort, le ministère a fait un effort de rattrapage avec le plan école numérique l’année dernière, écoles numérique rural. avec une approche assez original pour une fois. Mais on est en retard par rapport au degré de déploiement de la technologie par rapport en Angleterre et aux Etats-Unis. Nous avons en plus des phénomènes qui ne sont pas du tout analysés et cela commence à devenir préoccupant. D’une part le vieillissement des parcs et on peut se demander si les collectivités territoriales, qui sont très sollicités, auront encore les moyens de continuer de renouveler ces parcs en temps utiles. Et aussi des problèmes de délai d’intervention, quand il y a une panne ou des vols, le temps que l’enseignant retrouve des outils peut être très long, y compris dans des départements très bien placés du point de vue des ressources.

Vous revenez aussi longuement sur les différentes expérimentations en matière de TICE aux États-Unis et en Angleterre, qui  n’ont pas eu le “retour” escompté.

Les États-Unis prétendaient, c’était undes leitmotiv de l’administration Bush, même si cela a été nuancé, cela a largement été repris par Obama, prétendait mener une politique qui soit prouvée scientifiquement. et c’est absolument pas le cas. Et les nouveaux dispositifs que promeut l’administration Obama sur le chamboulement complet -turn around en anglais-, qui sont jugés en situation d’échec, je lisais ce matin qu’une nouvelle étude montre que c’est un succès limitée ce genre d’initiative.

L’exemple tout à fait caractéristique, c’est celui de l’école du futur, qui avait été ouverte en 2006 à Philadelphie avec un fort accompagnement de Microsoft. Cet établissement, dans une zone extrêmement difficile, en ayant une approche complètement radicale, une pédagogie constructiviste, des portables pour tous les élèves, une infrastructure très développée, aucun livre de cours, polycopié, tout accessible en wi-fi ou par le réseau. l’objectif étant de développer ce qui pourrait être le prototype d’un lycée -high school- du futur. Une approche intelligente de la part de Microsoft, qui refuse d’en faire une vitrine, qui accompagne l’équipe administrative chargée de construire cet enseignement, qui les conseille. L’exemple s’est fracassé. Le dispositif technique a connu des pannes considérables, les professeurs se sont retrouvés sans rien pour enseigner puisqu’il n’y avait pas de manuels et que l’accès aux documents électroniques n’étaient pas fiables. Le projet pédagogique s’est fracassé sur la réalité du système éducatif de Philadelphie. Cette pédagogie fondée uniquement sur le projet, sans notes, s’est heurté au fait que les enseignants ont été recrutés sur des procédures assez classiques, ils n’étaient donc pas spécifiquement motivés par cette pédagogie qui leur était imposée. Second point, ils se sont heurtés aux exigences du district scolaire, qui découlaient elles-mêmes de la loi No Child Left Behind de Bush, qui fait obligation de tester les élèves sur des matières, de mettre des notes, de respecter les tests des etats etc. Le modèle a donc dû évoluer vers une approche beaucoup plus classique. De plus il y a eu de gros problèmes de management, puisque cinq directeurs se sont succédés en quatre ans et notamment les personnes charismatiques à l’origine ont disparu.

Malgré tout, elle vient de sortir ses premières promotions, le résultat global n’est pas mauvais mais dans un milieu très difficile, il y a une proportion d’élèves qui ont leur diplôme et qui doivent continuer vers une ou plusieurs formes d’enseignement supérieur. Mais ce qui était censé définir un nouveau modèle n’a pas marché.

Auriez-vous a contrario des exemples d’innovation pertinente dans l’enseignement grâce aux TICE ?

Il se passe des choses absolument formidables parfois dans ce que peut faire un enseignant dans sa relation avec la classe en utilisant la technologie. Mais plus que des cas particulier, je voudrais pointer des exemples, y compris relativement limités, où cela change l’appréhension d’un discipline. Par exemple l’enseignement des langues, qui était traditionnellement peu fondé sur l’évaluation et la valorisation de l’oral, change complètement. On peut déjà accéder très facilement à des documents authentiques, d’actualité, que l’on peut exploiter, mais aussi des dispositifs simples comme les clés mp3 qui permettent à un enseignant, plutôt que de donner un exercice sur papier, de donner un exercice oral et donc d’écouter bien plus ses élèves qu’il ne le faisait dans un dispositif classique.

L’accès aux documents permets à un professeur de géographie de concrétiser beaucoup plus facilement les phénomènes et de demander à ses élèves de faire une recherche, d’avoir une pédagogie un peu plus fondée sur des projets, plus actives. En histoire, cela permet de changer la perspective et d’inciter ses élèves à travailler un peu dans l’esprit des historiens, au lieu de simplement mémoriser les faits dans les documents ou de les interroger, mais aussi de se poser des questions sur le statut d’un document, qui l’a produit, son degré de fiabilité, quels sont les agendas cachés éventuellement, c’est-à-dire d’avoir une réflexion critique citoyenne par rapport à des sources.

Quel est votre point de vue sur le filtrage du Net dans les établissements ?

C’est un peu compréhensibles dans le contexte de protection de l’enfance actuellement, c’est aussi pour protéger les établissements scolaires car l’on voit très bien le type de scandales qui pourraient être mis en avant si des élèves se connectaient de manière durable sur un blog posant problème, etc.

En même temps, je ne pense pas que ce soit la bonne attitude sur la question, il y a des élèves qui se connectent chez eux, dans des cybercafés, chez des copains. Au contraire, il y a une véritable tache d’éducation à mettre en place. C’est vraiment de la pédagogie, faire réfléchir les élèves, il y a des enseignants qui le font y compris dans le cadre du B2i (Brevet informatique et Internet). Et c’est quelque chose qui est insuffisamment valorisé. Le B2i est une particularité du paysage français, qu’il est maintenant obligatoire de passer pour obtenir le brevet, c’est assez automatique comme procédure. Il n’y a plus de discipline qui doivent vraiment  traiter de ces questions avec les élèves, on s’en remet largement aux documentalistes.

Estimez-vous qu’il faudrait prodiguer des cours d’éducation numérique ?

Je donnerai juste un élément personnel pour éclairer ma position : je me suis longtemps opposé à certains de mes amis qui pronaient une approche d’enseignement de l’informatique. Mais maintenant, j’ai tendance à considérer qu’on est allé beaucoup trop loin dans l’autre sens en disant “cela doit être l’affaire de tous les enseignemants disciplinaires et non pas d’une discipline parmi d’autres. Des travaux de recherche très intéressants ont été faits par par l’équipe d’Éric Bruillard à l’ENS de Cachan sur le tableur notamment, qui ont montré les carences du système actuel. À aucun moment, on a expliqué quelle est la logique derrière. C’est vu souvent en cours de mathématiques  et ce qu’a démontré certaines études très bien conduites, c’est que les élèves, lorsqu’ils arrivaient au lycée, se souvenaient qu’ils avaient fait des choses mais sans compréhension profonde ni capitalisation.

Tout ce qui est de la formation à une pratique citoyenne  d’Internet, avec ses responsabilités, la sensibilisation aux dangers mais aussi aux apports, à un certain nombre de réflexes comme l’analyse des sources, doit être enseigné. Cela peut passer par la méthode de projet, pour le coup, ce n’est pas forcément délivrer l’histoire de l’Internet de A à Z. S’il n’y a pas au moins une discipline qui est chargée de cela parmi d’autres choses peut-être, je pense à la technologie au collège, c’est extrêmement dommageable.

Vous taclez au passage le mythe des digital natives…

Tout à fait, on confond ce qui est la pratique d’ordre privée, ils sont très agiles, tout le monde le reconnait mais en même temps superficiels par rapport à l’organisation des systèmes, par rapport à la réflexion sur ces systèmes, il suffit de penser à toutes les données fournies gracieusement à Facebook par la plupart des utilisateurs sans peser bien les conséquences. On parle de quelque chose qui est d’une nature différente, on parle d’apprendre, ce qui est d’abord un effort, ce n’est pas toujours très agréable. L’idée que ces digital natives vont pouvoir aller sur Internet, trouver quantité de documents qui racontent le siècle de Louis XIV et qu’ils vont tout comprendre, on sait que cela ne marche pas. L’exemple suédois qui, pour des raisons économiques, avec les free schools, avec cette nouvelle dimension de l’entreprise éducative qui recherche le profit, les Suédois ont pris des enseignants moins qualifiés dans ces écoles là que dans les écoles publiques, en insistant sur l’individualisation de l’apprentissage en disant aux élèves ‘débrouillez-vous’. résultat, la Suède dans les classements internationaux, commence à chuter.

Apparemment, l'aspect humain dans le processus de transmission des savoirs à échappé à Bill Gates. Etonnant, non ?

Pour conclure, pensez-vous comme Bill Gates que “dans 5 ans, la meilleur éducation viendra du web” ?

C’est exactement les mêmes déclarations, si ma mémoire est bonne, de Thomas Edison en 1916, sauf qu’il ne dit pas le web, il dit le cinéma : dans dix ans, notre système scolaire sera complètement bouleversé. Le web joue bien sûr un rôle plus en plus important, la mémorisation des faits a peu d’importance puisque beaucoup d’informations sont disponibles sur Internet, que l’on peut retrouver quand on a besoin d’approfondir sa connaissance du siècle de Louis XIV, on peut trouver quantité d’excellentes sources. Pour autant, cela ne supprime pas le travail de mémorisation car si on n’a pas de repères, on ne peut pas interroger les ressources, il y a un vrai enjeu citoyen. De plus, dans la vision de Bill Gates, il peut y avoir un second aspect, l’accent mis sur l’individualisation de l’enseignement. Mais cela peut pouvoir dire deux choses très différentes. Une bonne chose : que chaque enseignant puisse adapter le plus étroitement possible son cours au style personnel d’apprentissage de chaque élève, son rythme, ce serait formidable, c’est le rêve de l’approche socratique de l’éducation. Mais de plus souvent, et notamment en Suède où il y a un très très fort discours sur l’individualisation, cela veut dire qu’on demande à l’élève de prendre en charge lui-même une acquisition de connaissance ou de faits, en utilisant des ressources disponibles dans le centre documentaire ou sur Internet. et cela aboutit inévitablement, la capacité d’autonomie des élèves étant ce qu’elle est, à creuser les inégalités, et l’on a une baisse généralisée du niveau. De tels problèmes se posent déjà en Suède.

Sur la vision développée par Bill Gates, je trouve sidérant de voir cette confusion entre information et connaissance. Si cette approche était fondée, cela ferait belle lurette qu’on aurait remplacé toutes ces belles “lectures” des profs d’université par des bouquins. C’eût été plus économique ! C’est dommage qu’il n’ait pas lu ce qu’écrivaient les promoteurs de OCW (OpenCourseWare, les cours du MIT mis en ligne gratuitement, ndlr) du MIT dont son président de l’époque : en substance, ce n’est pas le contenu qui importe le plus, raison pour lequel il peut donc être gratuitement offert sur le web, mais ce sont les interactions étudiants-enseignants qui font la magie de l’éducation au MIT.

Image CC Flickr Kentucky Country Day, erinaudreychiu et dr.regor

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TICE: évaluez, rémunérez… virez http://owni.fr/2010/09/14/tice-evaluez-remunerez-virez/ http://owni.fr/2010/09/14/tice-evaluez-remunerez-virez/#comments Tue, 14 Sep 2010 06:01:27 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=20371

Loin d’être la panacée miracle pour révolutionner l’école, les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation) sont dévoyées dans les pays anglo-saxons pour servir une politique d’“accountability punitive” issue du management des entreprises. En France, on trouve des traces de cette pensée. C’est la thèse défendue, entre autres, par Alain Chaptal, ingénieur Télécom Paris et docteur de l’Université Paris X en sciences de l’information et de la communication, dans son mémoire “Les cahiers 24×32, la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution”, publié en mars dernier.

Alain Chaptal évoque surtout le cas des États-Unis sur ce point. S’ils utilisent depuis longtemps, et dans un consensus général, les technologies éducatives pour pallier les difficultés de leur système, “l’administration Bush a toutefois profondément modifié le contexte général avec la loi NCLB (No Child Left Behind, ndlr)  adoptée au début de son premier mandat, fin 2001″. Un infléchissement significatif de la politique de son prédécesseur Bill Clinton.

Exit les visées pédagogiques, la loi NCLB a fixé des objectifs de réussite aux élèves, enjoints d’atteindre le niveau “proficient”, “bon”, en anglais et en mathématiques d’ici 2013, et a généralisé le recours aux tests. En ligne de mire, les professeurs :

La loi NCLB a mis en avant la notion de « accountability », rendant les établissements et leurs enseignants responsables des progrès de leurs élèves et les sommant de rendre des comptes.

Alain Chaptal décortique les visées de cette logique : “l’administration Bush a, de manière très cohérente vis-à-vis de NCLB, insisté sur la technologie comme outil d’analyse des données issues des tests pour définir des profils d’apprentissage et de succès fondés sur les statistiques tirées des résultats des élèves. On a donc assisté au développement d’une culture du résultat, fondée sur le triptyque transparence-indicateurs-incitations, reposant sur des indicateurs simplistes et aboutissant à une stigmatisation des écoles en échec.”

L’entrée dans “l’ère des comptables”

C’est l’entrée dans “l’ère des comptables”. Les TICE ont permis de récolter des traces exploitables pour évaluer l’élève, mais aussi l’enseignant. De là à les rémunérer à la “performance”, il n’y a qu’un pas, qui est en train d’être franchi.

La loi NCLB prévoit “en fonction des résultats aux tests un arsenal de sanctions allant, au bout de cinq années consécutives de non respect de la règle des progrès annuels (Adequate Yearly Progress ou AYP), jusqu’à la fermeture de l’école, le licenciement de ses personnels ou sa transformation en Charter School“. (des écoles expérimentales dérogatoires, à financement public, ndlr).

Et comme les objectifs sont inatteignables, de plus en plus d’écoles sont menacées de sanctions. En 2008-2009, “5.300 écoles exposées aux sanctions les plus radicales”, note-t-il.

Manipulations des chiffres

Assigner des objectifs, pourquoi pas, encore faut-il que ceux-ci soient définis avec précision, ce qui n’est pas le cas de la NCLB. Résultat, on a assisté à “une multitude de manipulations de la part des États chargés d’administrer ces tests mais soucieux avant tout de présenter des résultats positifs témoignant de l’excellence des politiques suivies.” Avec comme corollaire une baisse du niveau pour améliorer les résultats, “aboutissant à des disparités considérables entre États voire à des contorsions statistiques.” Au détriment des cas extrêmes, élèves trop mauvais ou trop bons, qui ne sont pas susceptibles de faire changer la notation des établissements.

Si cette politique basée sur une vision comptable empruntée à l’entreprise n’est pas nouvelle, elle prend à cause des TICE une tournure beaucoup plus poussée : “Mais ce qui donne davantage d’ampleur cette fois-ci, c’est la possibilité d’exploiter les nombreuses données issues des traces numériques découlant de l’utilisation des TICE, de mettre en évidence des profils d’apprentissage ou de progression, et, par là même, d’espérer lier la mesure de l’efficacité de l’enseignant aux résultats de ses élèves et de fonder ainsi un système de rémunération basé prioritairement non plus sur l’ancienneté mais sur le mérite.”

La fonction de l’enseignement s’en trouve dévalorisée. Déjà, c’est sous-entendre que l’enseignant a besoin de ces données “frustes”,  pour évaluer les élèves critique Alain Chaptal. Ensuite, c’est penser, à tort que la politique de la carotte et du bâton sera efficace :

“Le présupposé implicite de cette approche est, en effet, que les enseignants ne font pas le maximum et qu’une incitation financière les pousserait à le faire, une vision simpliste non seulement en contradiction absolue avec ce qui constitue partout la culture enseignante mais également avec la réalité qui est que, confrontés à des élèves difficiles en rupture, les enseignants ne savent, le plus souvent, tout simplement plus quoi faire pour arriver à les intéresser.”

Cette logique dénommée “Nouvelle Gestion Publique” ou “Nouveau Management Public” peut s’appliquer à d’autres services publics. Les managers aux manettes imposent de “se conformer à de nouvelles règles de gestion en assumant les principes du ‘business’ dans leurs relations aux usagers.” Dans ce contexte, on voit se développer une méfiance vis-à-vis des professeurs, “qui alimente l’objectif d’une éducation ‘Teacher Proof’, à l’épreuve des professeurs, imperméable au facteur humain.”

Barack Obama confirme la tendance

Si elle n’était que le fait d’une minorité, cela ne serait pas inquiétant, or c’est une tendance forte actuellement souligne Alain Chaptal. Et Barack Obama, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, va dans ce sens. Sous la houlette de son ministre de l’Éducation Arne Duncan, le fonds Race to the top a été mis en place pour financer des initiatives au niveau des États, “selon divers axes prioritaires parmi lesquels : développer des standards communs, développer un système de suivi des données longitudinales pour améliorer l’enseignement, différencier l’effectivité des principaux et des enseignants selon leur performance, améliorer l’affectation équitable des enseignants, ‘turning around struggling schools’… L’accent est mis sur la rapidité du « feed back » pour les tests (un délai de 72 heures maximum est souhaité), ce qui impose le recours à des technologies d’évaluation très automatisées donc fondées sur les TIC. S’y ajoutent des critères préalables pour que les États soient éligibles : qu’aucune législation ne limite l’ouverture de Charter Schools ni le fait de pouvoir utiliser les résultats des élèves pour évaluer enseignants et principaux.”

Une logique qui suscite des levées de boucliers dans les milieux de la recherche. Ces derniers dénoncent son manque de fondement, en contradiction avec la pseudo-scientificité avancée pour la justifier. L’association américaine de la recherche en éducation, l’AERA indiquait ainsi :

“AERA agrees that measurement of student achievement must be regarded as central to evaluation of efforts at school improvement. However, neither research evidence related to growth models nor best practice related to assessment supports the proposed requirement that assessment of teachers and principals be based centrally on student achievement.”

En France, des traces de cette pensée

Le terme “turning around”, emprunté directement au monde de l’entreprise, est une illustration emblématique de cette logique. Le turning around fait parti des quatre solutions proposées aux écoles en situation d’échec au regard des objectifs assignées. Dans ce qui s’apparente à une stratégie du choc appliquée à l’école, pour reprendre l’expression de Naomi Klein, on “licencie le principal et la moitié du corps enseignant pour mettre en place une nouvelle gouvernance et de nouveaux programmes”. Sans, là encore, que l’efficacité de la “méthode” soit prouvée.

C’est sur une tonalité inquiète qu’Alain Chaptal conclut ce panorama de ce glissement dans l’usage des TICE, qu’il qualifie de “préoccupante”. Faut-il craindre la même évolution en France ? Il énumère des traces d’une telle tentation anglo-saxonne, du rapport Camdessus, “le livre de chevet” de Nicolas Sarkozy, au rapport Attali pour la libération de la croissance. Il s’attarde plus sur un document de 2008, le rapport Maguain, resté inconnu du grand public, qui indique :

« b) Rémunérer en partie les enseignants en fonction de leur mérite » :

« Les mécanismes du type salaire au mérite fonctionnent lorsqu’ils s’accompagnent d’un certain nombre de garde-fous afin d’éviter leurs effets pervers (manipulation, collusion etc.). …/… L’exploitation des évaluations des élèves pourrait également servir à renseigner l’enseignant sur les acquis et les besoins de chaque élève afin de différentier sa pédagogie, d’ajuster les rythmes d’apprentissage et de mettre en place si nécessaire une aide davantage individualisée. »

Autre contribution dans ce sens, le rapport Le Mèner sur la revalorisation du métier d’enseignant. Dans la rubrique « Apprécier la performance de l’enseignant devant les élèves » :

« La revalorisation du métier d’enseignant implique de mieux reconnaître la performance pédagogique réelle de l’enseignant et de récompenser celle-ci. »

“S’agit-il de ballons d’essais destinés à préparer l’opinion, de véritables intentions, d’un manque d’imagination que pallie une forme sournoise de « copier-coller » ?” s’interroge Alain Chaptal. À la lecture de son mémoire, on espère que le ballon va exploser en plein décollage.

À lire “Les cahiers 24×32, la situation des TICE et quelques tendances internationales d’évolution”, Alain Chaptal, Paris 8, Labsic Université Paris 13

Image CC Flickr timlewisnm ; image de Une Marion Boucharlat pour OWNI /-)

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J’ai rêvé le cartable numérique http://owni.fr/2010/07/15/jai-reve-le-cartable-numerique/ http://owni.fr/2010/07/15/jai-reve-le-cartable-numerique/#comments Thu, 15 Jul 2010 09:39:09 +0000 Bruno Devauchelle http://owni.fr/?p=22042 Et je m’en suis vite remis… Entre un espace numérique et un ordinateur portable, la notion de cartable numérique n’en finit pas depuis plus de 10 ans de servir de bannière à l’innovation en matière de TIC à l’école, dans le système scolaire. Nous avons déjà eu l’occasion de batailler sur l’utilisation abusive du terme « cartable » en tant qu’analogie porteuse de sens alors qu’en réalité elle est porteuse d’illusions.

Le cartable numérique, notion contradictoire et vide de sens

En effet le mot cartable emporte avec lui le mythe de l’école d’antan, alors que de plus en plus souvent les sacs à dos, besaces et autres sacs de transports ont rangé le terme cartable au rang des objets qui sentent bon l’ancien. Le paradoxe du cartable numérique est donc porteur et rencontre un écho auprès de tous les responsables éducatifs en mal de modernité (qu’ils appellent souvent innovation).

Le fait que de nombreux projets de « cartables numériques » (ou appelés ainsi) se développent en ce moment doit nous interroger, au delà de l’effet de mythe et de mode. Militant depuis longtemps pour un usage pertinent des TIC en éducation, mais d’un usage pensé au sens large du terme, je m’aperçois que cette expression comme d’autres anglicismes récents, e-learning, rapid-learning etc…, sert surtout à l’image de marque de ceux qui le promeuvent.

Autrement dit il s’agit d’abord d’opérations publicitaires. Quand un chef d’établissement déclare qu’avec telle ou telle technologie il a réussi à maintenir son effectif (TIC, visualiseur, TBI, cartables numériques etc…) on se pose la question du mode d’instrumentalisation de la machine.

En effet s’agit-il réellement d’un questionnement sur la place à donner aux TIC dans l’enseignement ou plutôt d’une intuition aux contours parfois mal définis ? L’observation de plusieurs projets d’introduction soit d’ordinateurs portables soit de portails numériques n’ayant pas eu de suite amène à réfléchir. D’autant plus que dans le même temps des initiatives qui ont duré ont pu permettre de comprendre ce qui se passe. Ce sont ces connaissances qu’il faut tenter de mettre à jour et de partager et de mettre en débat.

Les TIC dans l’éducation

La pertinence des TIC en éducation peut s’analyser sous plusieurs angles : amélioration de l’efficacité de l’enseignement ou de l’apprentissage, adaptation du système scolaire au monde environnant, finalité d’insertion professionnelle et sociale, développement d’un esprit critique dans une culture élargie. Chacun de ces quatre axes d’analyse peut servir d’entrée privilégiée. Mais il me semble qu’il faut plutôt après avoir analysé chaque axe les mettre en lien, en système, pour envisager tout projet d’usage des TIC en éducation.

Amélioration de l’apprentissage

Le discours d’évidence sur l’amélioration de l’apprentissage et/ou de l’enseignement doit toujours être interrogé. Entre la perception subjective de celui qui met en oeuvre, l’étude comparative des résultats avec et sans les TIC, l’observation de la motivation des élèves, ou encore l’effet de nouveauté qui attire, on s’aperçoit que de nombreux argumentaires oublient de préciser les repères réels de l’évaluation de cette amélioration. Quant aux recherches (dites) scientifiques sur l’efficacité de l’introduction des TIC en éducation il faut à chaque fois les resituer afin d’éviter le passage fatal de l’expérimentation contextualisée à la généralisation décontextualisée. On s’aperçoit que le passage d’une analyse micro à une synthèse macro reste très délicat.

La généralisation de l’innovation, ou encore des bonnes pratiques, reste un leurre que l’on n’a pas fini d’épuiser, tant l’amnésie est grande (et si l’on en croit Jacques Ellul, il s’agit de l’environnement « normal » du développement des technologies toujours considérées comme un « progrès » et donc « sans histoire »). La recherche de l’amélioration de l’efficacité de l’enseignement demande une très grande honnêteté en amont du projet lui-même.

Les ethnométhodologues nous rappelleraient que l’implication des acteurs et des chercheurs dans ce genre de dispositif est un des facteurs de trouble du résultat parmi les plus importants si elle n’est pas explicitée, et c’est souvent le cas…. quand il ne s’agit pas purement et simplement de trouble lié à une posture idéologique (cf. Bruno Latour) identifiable dans certains travaux scientifiques comme orientant les résultats. Quel chercheur parviendrait à se distancer clairement du commanditaire de la recherche, s’il ne commence pas par expliquer son lien avec ce commanditaire ? Et même dans ce cas, toute croyance de pureté doit être questionnée…. Analyser cette possible efficacité suppose donc de poser un cadre précis et d’être en particulier en mesurer d’articuler ce qui relève du pédagogique, du didactique, du psychosociologique et de l’économique.


Adapter le système scolaire

Le discours d’adaptation du système scolaire au monde environnant est tantôt celui de la modernité, tantôt celui du décalage. L’évidence de la modernité fait écho à l’évidence du progrès technique. Ce discours d’évidence s’appuie sur une croyance au progrès comme inéluctable et en évitant de se poser la question de l’apport réel de ces technologies.

Le discours du décalage est celui d’un questionnement fondamental de l’école que l’on peut aborder en se référent aux fondateurs du système scolaire actuel pour lesquels l’école avait pour mission d’éloigner l’enfant des risques de l’environnement familial pour le soumettre à un milieu encadré par la nation (ou par la religion) qui a charge de lui donner les moyens d’”être dans la société”. Mais cet être est vu de plusieurs façons : soit c’est un être docile, applicateur, soit c’est un être critique et distant, soit c’est un être constructeur ou dominateur de cette société…

Avec les TIC ces deux types de discours s’appliquent et peuvent même être des analyseurs. D’une part il y a la centration sur l’objet TIC (et sa modernité), d’autre par il y a la centration sur le Politique et la place de l’école dans la construction de la société, les TIC étant alors un des outils au service de ce projet. L’analyse des articles sur les TIC en éducation peut souvent s’appuyer sur cette classification. C’est ainsi que pour le cartable numérique on observe ces discours : ils sont tantôt inconscients, tantôt manipulateurs. S’ils sont inconscients ils mettent en évidence la force des représentations sociales et de leur construit sur les individus. S’ils sont manipulateurs alors ils révèlent l’instrumentalisation de l’outil.

Ainsi derrière des idéaux politiquement corrects se cachent parfois des ambitions plus pragmatiques : séduire les élèves, s’assurer une image de marque etc… Le cartable numérique se trouve donc pris lui aussi dans ces discours et demande donc une vigilance importante quand on veut mettre en place ce type de projet.

Insertion professionnelle

La finalité d’insertion professionnelle de l’école rejoint partiellement le discours du décalage. La puissance de ce discours augmente d’autant plus que la finalité de l’école renvoie celle-ci à son adéquation aux besoins de la société. Comme pour le décalage, elle peut se vêtir de plusieurs formes de discours plus ou moins explicités. Mais au delà, l’appel à la finalité professionnelle que l’on trouve fortement dans le discours sur l’orientation scolaire actuel invite celui qui veut faire un projet TIC à projeter la situation actuelle sur un avenir hypothétique.

Rappelons ici l’histoire de l’enseignement du langage Basic pour les élèves des classes de BEP tertiaire au début des années 80. On a pu observer à la même époque des mouvements variés : d’une part des contenus scolaires (même dans l’enseignement professionnel) qui n’avaient aucun rapport avec les véritables usages professionnels mais plutôt avec une représentation technicienne de ces usages (basée sur la pensée non pas de l’ensemble des professionnels mais de celle des seuls informaticiens); d’autre part des pratiques d’enseignement qui lorsque les élèves allaient en stage en milieu professionnel étaient largement en avance sur les pratiques professionnelles en vigueur (la projection ainsi faite s’appuyait alors sur la dynamique des milieux scolaires peu en phase avec le monde extérieur).

L’adéquation contenu de formation/besoins professionnels concordant est un mythe. Cela n’autorise pourtant pas n’importe quel discours, mais au contraire impose une vigilance très grande. Ainsi développer des cartables numériques (sous les deux définitions d’environnement et d’ordinateur portable) ne peut se targuer de cet argument. Tout au plus peut-elle envisager de mettre les élèves dans des situations d’adaptation et non pas de conformation ; mais encore faut-il que l’on ait réellement ce projet de développer la capacité d’adaptation à un environnement inconnu. Or le monde scolaire est particulièrement en difficulté face à cette compétence (du fait même de l’idée de programme et de programmation). Il est même davantage centré sur l’adéquation au modèle si l’on s’en tient à observer outre les programmes les modalités des dispositifs d’évaluation et de certification.

Éducation à l’esprit critique

La finalité d’éducation à l’esprit critique est ancienne dans le monde de l’éducation. Il faut revenir à Condorcet entre autres pour envisager le sens de cette approche en posant que l’éducation est à la base de l’égalité entre les hommes en permettant aux plus démunis d’accéder au savoir des plus riches et de ne plus rester enfermés dans l’ignorance. Autrement dit à la base de l’esprit critique il y a la connaissance. Mais dans le même temps Condorcet hésitait sur la question de la forme plus ou moins ouverte de cette instruction. Cette ambivalence est en réalité au fondement de toute éducation. La volonté de libérer et la volonté d’asservir peuvent être proches, et l’éducation à l’esprit critique être menacé par ceux-là même qui la revendique un plus tôt.

Développer un usage des TIC et des cartables numériques dans les écoles rentre donc bien dans le premier temps cher à Condorcet. On ne peut laisser dans l’ignorance au risque de l’inégalité. Mais dans quelle direction aller une fois le premier temps passé : certain veulent aller dans la maîtrise technique, arguant à l’instar de certains de la nécessité de connaître pour agir avec ces moyens. Ils trouvent parfois des alliés dans le développement de machines qui sont d’autant plus faciles pour l’usager qu’elles sont opaques et enfermantes. C’est le reproche fait à certaines approches actuelles qui consistent à proposer des outils qui sont directement utilisables.

Mais c’est oublier une autre donnée au moins aussi importante, mais dans un registre différent. La maîtrise technique ne peut faire oublier l’information et la communication qui sont véhiculés par ces techniques. Ainsi lorsque l’on met des ordinateurs portables dans la classe, reliés à Internet, on se trouve directement confrontés à cette question d’une autre nature : comment développer la connaissance et la maîtrise de l’information et de la communication ? Tout comme avec l’informatique se pose la question du niveau de connaissance « suffisant » pour accéder à une maîtrise mais qui ne mène pas à un sens critique qui irait jusqu’à la mise à mal de l’outil lui même et de ses potentialités.

Comme l’indique Jacques Ellul dans « le bluff technologique », les promoteurs des techniques n’ont pas intérêt à ce que la maîtrise en soit trop grande par les usagers, car ils risqueraient soit de détourner (s’ils le peuvent) les techniques qu’on leur propose, soit même les détruire (on se rappellera dans un autre genre la révolte des canuts contre les métiers mécaniques »…) Le monde de l’éducation parle souvent de l’esprit critique comme un fondement de son action, mais une observation fine des modes actuels de scolarisation montre qu’au sein de la relation maître-élève le vécu de cet esprit critique est beaucoup plus délicat.

Voici donc quatre éléments de réflexion pour fonder une réflexion sur le développement de projets de cartables numériques et plus largement des TIC dans un établissement scolaire. Sortir des évidences de toutes sortes est un préalable indispensable. Se situer personnellement face à de tels projets est un travail préalable que tout membre de l’éducation devrait faire avec le plus de courage et d’honnêteté possible…

Malheureusement on assiste à nouveau comme il y a vingt cinq ans avec le plan IPT à des discours d’évidence de même nature. Ils sont pareillement voués à ne pas avoir de suite pertinente au sein du système éducatif parce qu’ils ne sont pas réfléchis en tant que tels (mais les dénis sont nombreux dans ce domaine), mais aussi parce que la question des TIC ne se pose le plus souvent qu’isolément de la problématique globale de la scolarisation. Il semblerait pertinent, lorsque l’on engage de tels projets que l’on interroge outre les finalités (voir plus haut), la pédagogie, la didactique, la relation éducative, le projet éducatif, la vision de l’être humain, l’organisation scolaire et humaine, le sujet et son identité. C’est seulement à cette condition qu’un projet de cartable numérique peut prendre forme et alors répondre aux questions des finalités.

« À portée de la main  » est un élément essentiel de ces projets. Cela signifie, et on en revient à la relation fondamentale entre l’homme et les objets techniques qui l’entourent, que l’outil sera le réel prolongement de l’être humain. « Nous sommes condamnés à être inventifs » disait Michel Serres à propos de l’ordinateur portable métaphorisé comme un morceau de cerveau externalisé. On s’étonne alors de voir encore nombre de projets de déploiement des TIC se limiter à des opinions de surface. Il y a pourtant matière à réfléchir. À moins que, comme nous l’avions écrit il y a plusieurs années que les TIC aient décidé de se passer du système scolaire pour permettre de répondre à l’angoisse de Condorcet permette l’égalité par l’accès de  tous aux savoirs. Mais cette fois ce serait sans l’école ?

À débattre…

Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle ; images CC Flickr intheozone, popofatticus et splorp

À lire : sur le site de l’Éducation nationale, la page de présentation du cartable numérique

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