OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Un patron de la sécurité privée balance http://owni.fr/2012/04/23/un-patron-de-la-securite-privee-balance/ http://owni.fr/2012/04/23/un-patron-de-la-securite-privee-balance/#comments Mon, 23 Apr 2012 16:06:47 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=105287

C’est devenu très compliqué pour une société qui respecte les règles. Tout le monde ne joue pas le jeu. Des concurrents, du département ou de la région, cassent les prix pour obtenir des marchés. Et ils les obtiennent de la part de donneurs d’ordres publics ou privés qui veulent faire des économies. [...] Je respecte la partie réglementaire et sociale de mon métier. Certains ne déclarent pas des agents ou les paient en dessous des seuils légaux.

Le vendredi noir de la sécurité

Le vendredi noir de la sécurité

Avant ce vendredi, les entreprises de sécurité doivent déposer leur procédure d'agrément auprès du nouveau conseil ...

Avec ces déclarations, Moise Rozel vient de lancer un petit pavé dans la mare un peu pourrie de la sécurité privée : ce patron d’une entreprise du secteur installé dans le Lot a dénoncé récemment sur la place publique les pratiques illégales de ses confrères.

Régie par la loi de 1983, la sécurité privée est un secteur qui s’est développée comme la chienlit en France : vite et mal, à la faveur entre autres du désengagement de l’État qui y voit une façon de faire des économies à travers le concept de “coproduction de la sécurité intérieure”. Le récent Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité est censé y mettre fin.

Si la situation est connue, elle est rarement déballée ainsi. “De souvenir, c’est la première fois qu’un confrère, hors syndicat, dénonce ainsi de tels agissements”, témoigne Jean-Marc. L’omerta est en effet de mise car les informations circulent vite. “J’avais dénoncé une fois et ça s’est su, témoigne David Fleurentdidier, patron d’une petite entreprise. Le bruit a couru que j’allais fermer.”

Sécurité privée d’État

Sécurité privée d’État

Un nouveau conseil des sages des sociétés de sécurité privée, le Cnaps, est installé ce 9 janvier pour tenter de ...

Vu les difficultés de son entreprise, Moise Rozel n’a plus hésité à se lâcher. Sa société King sécurité s’est en effet vue accorder un plan de continuité d’activité par le tribunal de commerce. Il dénonce donc sans vergogne, glissant facilement des noms. Sans toutefois entamer d’actions en justice : “je n’ai pas de preuves en main. J’ai juste transmis à l’Association nationale des métiers de la sécurité des devis qui m’ont été refusés car jugés trop chers, j’étais au-dessus de 15 euros.” Pour référence, en 2010, le coût de revient horaire d’un agent de base était de 15, 116 euros, hors coût de structure [pdf].

L’Association nationale des métiers de la sécurité (ADMS), un syndicat regroupant une centaine de petites entreprises, est engagé depuis 2005 dans la lutte contre le travail illégal. Il a entre autres mis en place une une convention nationale de partenariat avec la Délégation interministérielle pour la lutte contre le travail illégal (Dilti) en 2006, rejoint par l’USP, un des deux poids lourds syndicaux du secteur. L’ADMS s’est chargée de porter le fer juridique, en se portant partie civile contre Sécurité, Organisation, Surveillance (S.O.S.46). Cette association a été prévenue d’infraction à la réglementation relative au travail illégal en mars 2011. Quelques mois avant, l’ADMS avait contacté l’inspection du travail en son sujet [pdf] précisant les infractions reprochées :

Nous nous permettons de vous informer d’une démarche effectuée par une association pour effectuer des missions de gardiennage.

En effet, une association n’a pas d’agrément pour effectuer cette activité bien réglementée.La préfecture de Cahors a adressé un courrier à SOS 46 ainsi qu’au procureur pour les informer de ce fait et apparemment, cette association continue à proposer ses services pour ce type d’activité.

Notre adhérent KING SÉCURITÉ, nous a transmis un contrat de prestation établi par SOS 46 que vous trouverez ci-joint.

Curieusement, dans la foulée, l’association changeait de nom pour devenir Servir – Organiser – Surveiller (S.O.S 46). Plus de référence à la sécurité. Son objet est désormais “assistance radio, service, organisation et signalisation sur les manifestations sportives et festives.”
Un an après, le dossier est toujours en en cours nous a expliqué l’ADMS, “ce qui étonne l’interlocutrice du TGI que je viens d’avoir, a précisé Danièle Meslier. Elle va relancer le substitut du procureur et m’a demandé, de faire  un courrier également de mon côté.”

Dans le collimateur de l’ADMS, on trouve autant les prestataires que les donneurs d’ordre, qui, privés comme publics, privilégient trop souvent l’aspect financier, comme le syndicat le détaillait dans une lettre envoyée au procureur de Cahors [pdf] :

Nous pensons que cette démarche pourrait sensibiliser les donneurs d’ordre qui favorisent trop souvent l’aspect financier à celui de la qualité et dissuader les entreprises qui ne respectent par les obligations réglementaires et sociales de persévérer dans cette voie.

L’activisme de l’ADMS semble déplaire aux cadors du secteur, comme en témoigne cette réaction du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (Snes) qui a taclé l’ADMS sans la citer quand nous l’avons sollicité à ce sujet : “Quant aux  actions de partie civile , c’est plus facile à communiquer à la presse qu’a réaliser jusqu’au bout.” (sic). Michel Ferrero, le président du Snes, nous a expliqué qu’aucune de leurs plaintes comme partie civile n’avait abouti : “soit il y a eu arrangement, soit il y a eu retrait d’une société. Nous préférons la prévention, en collaborant avec l’Urssaf ou le Cnaps.” Depuis le le 1er janvier, le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) est en effet chargé de nettoyer le secteur. Et Michel Ferrero de rappeler qu’il siège à son collège national, comme représentant du Snes. Deuxième petite claque au passage à l’ADMS : “ils ne sont pas un syndicat patronal reconnu ayant signé la convention collective.”

Mairie de Cahors à l’ouest juridique

Contactée par La Dépêche du midi, la mairie de Cahors, qui fait partie de des clients de Moise Rozel, avait eu cette réaction étonnante. À tel point que Moise Rozel nous a expliqué qu’il avait demandé un rendez-vous avec la mairie :

Il y a des règles de consultation qui sont les mêmes pour tous. Nous, dans le cadre de nos manifestations, nous essayons de faire travailler les locaux. Quant aux éventuels abus, c’est à l’État qui assure les contrôles, de les détecter.

La mairie se défausse donc, ce qui témoigne d’une méconnaissance de la législation. Depuis un décret de novembre dernier, entré en vigueur le 1er janvier, “il y a un renforcement concernant le devoir de vigilance du donneurs d’ordre”, rappelle Danièle Meslier, directrice générale de l’ADMS. “Il fait obligation aux donneurs d’ordre de s’assurer de l’authenticité de l’attestation remise par leurs sous-traitants auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations et contributions de sécurité sociale, datant de moins de 6 mois”, détaillait le syndicat dans une lettre adressé à ses adhérents. Et par conséquent, “il supprime les attestations sur l’honneur sociales et fiscales de conformité avec la réglementation et le dépôt des déclarations produites par le sous-traitant.”

Long terme

Est-ce que le geste de Moise Rozel sera suivi d’autres ? Lui l’espère. David Fleurentdidier est plus dubitatif : “Je lui ai envoyé un message de soutien, son action va peut-être lui donner du baume au cœur, peut-être que la mairie va bouger.”

Danièle Meslier fait preuve d’un optimisme relatif, à la mesure de l’ampleur de la tâche :

Plus on en parle, plus ça fait peur. C’est un travail de longue haleine, il faudrait plusieurs Moïse Rozel et qu’il n’y ait pas de copinage.


Photo par Wade Courtney/Flickr [CC-byncsa]

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Le Parlement veut ficher les honnêtes gens http://owni.fr/2012/01/18/le-fichier-des-gens-honnetes-sera-policier/ http://owni.fr/2012/01/18/le-fichier-des-gens-honnetes-sera-policier/#comments Wed, 18 Jan 2012 10:10:10 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=94063

Ficher 60 millions d’innocents pour les protéger de quelques milliers de coupables – afin que les méchants n’usurpent pas l’identité des gentils, et, plus prosaïquement, afin de garnir les tiroirs caisses des fabricants. Le projet a un petit nom : le fichier des “gens honnêtes (sic).

C’est le grand chantier sécuritaire de Claude Guéant, mais sur lequel sénateurs et députés expriment maintenant de profonds désaccords, mettant en évidence les possibles dérives de cette proposition de loi sur la protection de l’identité, censée instaurer une nouvelle carte d’identité biométrique. La semaine dernière, le 12 janvier, une poignée de députés UMP a introduit un amendement permettant de multiples applications policières.

Vers un fichage généralisé des “gens honnêtes”

Vers un fichage généralisé des “gens honnêtes”

Pour lutter contre l'usurpation d'identité, qui représente moins de 15 000 faits constatés chaque année, le projet de ...

Un an exactement après son premier examen, plusieurs sénateurs UMP refusent catégoriquement de voir leur nom associé à ce fichier administratif qui, sous l’impulsion de Guéant et du lobby des industriels de l’empreinte digitale, a pris entre-temps les allures d’un fichier policier.

Députés et sénateurs sont tous d’accord pour ficher les noms, prénoms, adresses, tailles et couleurs des yeux, empreintes digitales et photographies de tous les détenteurs de cartes d’identité soit, à terme, 45 à 60 millions de Français. Mais, alors que les sénateurs veulent empêcher tout détournement de sa finalité administrative première, et donc empêcher une exploitation policière, les députés voudraient quant à eux pouvoir l’utiliser en matière de police judiciaire.

Claude Guéant, en première lecture à l’Assemblée, avait en effet expliqué, en juillet 2011, qu’il ne voyait pas pourquoi on empêcherait policiers et magistrats de l’utiliser dans leurs enquêtes, laissant entendre qu’à terme, les systèmes de reconnaissance biométrique faciale permettraient ainsi et par exemple d’identifier des individus filmés par des caméras de vidéosurveillance.

Christian Vanneste, de son côté, avait proposé de s’en servir pour mieux “contrôler les flux migratoires“. 7 députés de la majorité, contre 4 de l’opposition, avaient alors voté pour la possibilité d’exploitation policière du fichier.

En octobre 2011, lors de son deuxième passage au Sénat, François Pillet, le rapporteur (UMP) de la proposition de loi, avait de son côté qualifié le fichier de “bombe à retardement pour les libertés publiques“, et expliqué que, “démocrates soucieux des droits protégeant les libertés publiques, nous ne pouvons pas laisser derrière nous un fichier que, dans l’avenir, d’autres pourront transformer en outil dangereux et liberticide” :

« Que pourraient alors dire les victimes en nous visant ? Ils avaient identifié les risques et ils ne nous en ont pas protégés. Monsieur le Ministre, je ne veux pas qu’à ce fichier, ils puissent alors donner un nom, le vôtre, le mien ou le nôtre. »

Fin novembre, un arrêté paru au Journal Officiel crée un nouveau fichier policier “relatif à la lutte contre la fraude documentaire et l’usurpation d’identité” et visant, précisément, à ficher l’”état civil réel ou supposé (nom, prénom, date et lieu de naissance, sexe, adresses postale et électronique, coordonnées téléphoniques, filiation, nationalité, photographie, signature)” des auteurs et victimes présumés d’usurpation d’identité. Ce qui n’a pas empêché Claude Guéant de défendre, auprès des députés, la possibilité d’exploitation policière du fichier des “gens honnêtes“.

Cependant, de retour à l’Assemblée le 13 décembre 2011, la proposition de loi fut modifiée pour ne plus garder que l’empreinte de deux doigts, et non plus de huit, afin de se conformer à une récente censure du Conseil d’Etat visant le nombre d’empreintes dans le passeport biométrique.

Afin de répondre aux observations critiques de la CNIL, le texte écartait également la reconnaissance biométrique faciale, la possibilité de croiser la base de données avec d’autres fichiers administratifs ou policiers, et limitait son exploitation policière à la recherche de corps de victimes de catastrophes collectives et naturelles, ainsi qu’à une dizaine d’infractions allant de l’usurpation d’identité à l’”atteinte aux services spécialisés de renseignement” en passant par l’entrave à l’exercice de la justice.

La commission mixte paritaire, réunie le 10 janvier dernier et censée trouver un terrain d’entente entre les deux chambres, n’a pas permis de trancher le différent, les sénateurs refusant de laisser la porte ouverte à d’autres formes d’exploitation policières du fichier.

Protéger les gens honnêtes de Big Brother

Le texte aurait du repasser le 19 à l’Assemblée. Signe de l’insistance gouvernementale, il a été réexaminé le jeudi 12 janvier au matin, au grand dam des députés de l’opposition qui, à l’instar de député Marc Dolez, co-fondateur du Parti de Gauche et secrétaire de la commission des lois, n’ont été prévenu de la discussion que la veille au soir :

Cette précipitation traduit, selon nous, la volonté de passage en force du Gouvernement. Qu’il soit utilisé à des fins de gestion administrative ou à des fins de police judiciaire, nous estimons dangereux pour les libertés publiques de mettre en place un tel fichier généralisé de la population.

Serge Blisko, député socialiste, rappela quant à lui que “d’autres grands pays européens n’ont pas fait le choix que vous voulez imposer au Parlement, précise Plisko, et le système que vous voulez mettre en place serait unique en Europe par son étendue et ses capacités intrusives” :

Certes la loi prévoit des limitations par rapport à vos intentions d’origine, mais rien ne nous dit, monsieur le rapporteur, qu’appelé demain à de hautes fonctions, vous n’ayez envie d’étendre votre système à d’autres infractions, pour en faire le Big Brother que je décrivais.

Le fichier d’empreinte génétique (FNAEG), conçu initialement pour ne ficher que les seuls criminels sexuels récidivistes, a ainsi été étendu depuis à la quasi-totalité des personnes simplement soupçonnées de n’importe quel crime ou délit. Aujourd’hui, il fiche les empreintes génétiques de près de 2 millions de personnalités, dont un quart seulement a été condamné par la Justice : les 3/4 des fichés n’ont été que “soupçonnés” et sont donc toujours (soit-disant) présumés innocents.

En route vers un système “beaucoup plus intrusif”

Au cœur de cette polémique entre les deux chambres, la notion de “lien faible“, brevetée par Morpho, n° 1 mondial des empreintes digitales, et qui permet d’authentifier une personne en empêchant toute exploitation de ses données personnelles, et donc toute forme d’exploitation policière du fichier.

Or, comme l’a rappelé Philippe Goujon, député UMP et rapporteur de la proposition de loi, ““son inventeur lui-même le dénigre, le qualifiant de « système dégradé » (qui) n’avait été adopté par aucun pays au monde, Israël y ayant renoncé à cause de son manque de fiabilité“, et que, cerise sur le gâteau, les industriels du Groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL) ne veulent surtout pas en entendre parler :

Les fabricants regroupés au sein du GIXEL ne veulent pas développer un tel fichier, car cela les pénaliserait vis-à-vis de la concurrence internationale.

Il y a fort à parier que tous les autres pays européens adopteront un autre système, beaucoup plus intrusif.

Lobbying pour ficher les bons Français

Lobbying pour ficher les bons Français

Dans une relative discrétion, l'idée de créer un fichier de 45 à 60 millions de Français honnêtes a reçu un accueil ...

Ce pour quoi les industriels ne voient aucun intérêt à devoir créer un système qu’ils ne pourraient revendre nulle part ailleurs… Comme l’enquête d’OWNI l’avait souligné, le rapporteur de la proposition de loi au Sénat avait ainsi auditionné pas moins de 14 représentants du GIXEL, contre deux représentants seulement du ministère de la justice, et six du ministère de l’Intérieur…

C’est ainsi que ce 12 janvier 2012, à 12 heures, six députés de la majorité ont donc réintroduit la notion de “lien fort“, qui autorise l’exploitation policière des données personnelles dans le fichier des “gens honnêtes“, face à trois députés de l’opposition. La commission mixte paritaire n’ayant pas réussi à opter pour un texte de compromis, le texte, tel qu’il a été amendé par les députés la semaine passée, devra de nouveau passer au Sénat, avant d’être adopté, dans sa version définitive, à l’Assemblée…

Virginie Klès, rapporteur (PS) du texte de loi au Sénat, déplore la léthargie de l’opinion publique et des médias : “je ne sais pas si les gens se rendent compte, ou bien si c’est parce que le gouvernement profite du brouhaha autour de la perte du triple A et des échéances présidentielles pour faire passer cette proposition de loi, mais c’est très très dangereux, on crée là quelque chose de très liberticide, et sans raison valable” :

Si les citoyens se réveillaient vraiment et alpaguaient leurs députés, qui font montre de beaucoup d’absentéisme sur le sujet, mais dont les sièges vont bientôt être renouvelés, peut-être qu’on pourrait faire bouger les choses

A l’exception notable des articles (payants) du site d’informations spécialisées dans la sécurité AISG, d’un article sur PCInpact, d’un billet sur le blog de l’avocat Bensoussan (hébergé par LeFigaro.fr), et d’une dépêche AFP reprise sur LExpress.fr, aucun média n’en a parlé.

Ce silence médiatique est d’autant plus surprenant que c’est précisément suite au scandale issu de la parution d’un article dans Le Monde en 1974, Safari et la chasse aux Français, qui révélait que le ministère de l’Intérieur voulait interconnecter tous les fichiers administratifs français, que la loi informatique et libertés fut adoptée.

En tout état de cause, tout porte à croire que le fichier des “gens honnêtes” pourra donc bel et bien être exploité en matière de police judiciaire. Et rien n’empêchera que, à l’image du FNAEG, ses conditions d’exploitation policières soient à l’avenir élargies dans le futur, et puisse servir, par exemple, pour identifier des individus à partir d’images de caméras de “vidéoprotection“, ou encore pour “contrôler les flux d’immigration“.

De même que le passeport biométrique a finalement été censuré, il est fort possible que ce fichier des “gens honnêtes” soit lui aussi retoqué, par le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat ou encore la Cour européenne des droits de l’homme. Les textes fondateurs régissant la présomption d’innocence, la protection de la vie privée ainsi que les droits de l’homme excluent en effet la possibilité de créer des fichiers policiers d’innocents…

MaJ : la proposition de loi sur la protection de l’identité passera en troisième lecture, au Sénat, le 25 janvier à 14h30. La Conférence des Présidents “a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe“. Elle devra ensuite être redébattue, et définitivement adoptée, à l’Assemblée.


Photos par D’Arcy Norman et Andy Buscemi sous licence CC via Flickr remixées par Ophelia Noor pour Owni.
Illustration issue de la précédente Une #fichage par Marion Boucharlat pour Owni

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Takieddine et Safran fichent en cœur http://owni.fr/2011/12/20/takieddine-et-safran-fichent-la-france-et-la-libye/ http://owni.fr/2011/12/20/takieddine-et-safran-fichent-la-france-et-la-libye/#comments Tue, 20 Dec 2011 15:45:21 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=91204

Dans le secteur des technologies de sécurité,Ziad Takieddine, l’intermédiaire sulfureux impliqué dans plusieurs affaires politico-financières, ne s’est pas contenté d’aider la société française Amesys à vendre à la Libye un système de “surveillance massive” de l’Internet. Il s’est également activé à vendre à Kadhafi un “système d’identification des citoyens libyens” (passeport et carte d’identité), au nom d’une autre entreprise française, Safran (autrefois nommée Sagem).

Selon plusieurs notes remises à la justice et provenant de l’ordinateur de Takieddine, celui-ci s’est illustré en défendant mordicus Safran auprès d’un certain Claude Guéant. Celui-là même qui, aujourd’hui, veut imposer la création d’un fichier de 45 à 60 millions de “gens honnêtes” afin de lutter contre l’usurpation d’identité, mais aussi et surtout d’aider Safran à conquérir de nouveaux marchés (voir Fichons bien, fichons français !). Morpho, la filiale de Safran chargée des papiers d’identité biométriques, qui se présente comme le “n°1 mondial de l’empreinte digitale“, est en effet l’entreprise pressentie pour le déploiement de ce fichier des “gens honnêtes“.

Ces divers documents, qu’OWNI s’est procurés, montrent qu’en juillet 2005, Ziad Takieddine déplorait la tournure que prenait le projet INES de carte d’”Identité Nationale Electronique Sécurisée” annoncé par Dominique de Villepin quelques mois plus tôt, mais qui commençait à s’enliser :

C’est un programme majeur, le plus important jamais conçu dans l’identification des citoyens en France. C’est un « enfant » de Sarkozy lors de son premier passage à l’Intérieur (2002 à mars 2004), mais qui n’a guère progressé depuis son départ, alors que les attentats de Londres viennent de succéder à ceux de Madrid (11 mars 2004).

Depuis le printemps, se déroule sur la place publique un débat stérile sur INES où une certaine France des contestataires habituels dit n’importe quoi et où la CNIL est dans son rôle habituel d’inhibiteur des systèmes d’information cruciaux 1/ pour la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité en général (fraude identitaire), 2/ pour réaliser l’administration électronique et les gains de productivité qui en découlent.

Ziad Takieddine n’avait pas, à l’époque, rendu publique cette dénonciation en règle de ceux qui pointaient alors du doigt les problèmes d’atteintes à la vie privée, et aux libertés, que soulevait ce “programme majeur, le plus important jamais conçu dans l’identification des citoyens en France“.

C’est d’autant plus dommage qu’il nomma le fichier où il prit ainsi la défense de ce fichage en règle de l’ensemble des Français d’un sobre “FICHEZ.doc” (les majuscules sont de lui), comme s’il ne s’agissait pas tant de lutter “contre le terrorisme et la criminalité“, ni de promouvoir “l’administration électronique“, mais bel et bien de “ficher” les Français…

Soulignant que “le ministère de l’Intérieur (…) n’a tout simplement pas la capacité propre de mettre au point et de bien gérer un programme de l’ampleur d’INES, aboutissant à la production d’environ 50 millions de cartes d’identité et de séjour et de 20-30 millions de passeports“, Ziad Takieddine plaidait par ailleurs, dans ce même document, pour “confier la maître (sic) d’œuvre du programme INES à Sagem pour en accélérer la réalisation” :

En confiant la maîtrise d’œuvre du programme INES à Sagem, le ministre de l’Intérieur gagnerait en accélérant son action et en simplifiant ses relations avec les industriels.

En l’espèce, “les industriels” n’étaient pas tous traités à la même enseigne : Takieddine tint en effet à préciser que “les systèmes de personnalisation que Thales avait vendus dans les années 1980-90 (dont celui de l’actuelle carte nationale d’identité) sont techniquement obsolètes“, alors que “parmi les industriels français, Sagem est l’acteur de loin le plus important dans l’identification des citoyens – ayant surtout travaillé au grand export – , le plus qualifié pour la maîtrise d’œuvre et le seul pour la biométrie“.

 

« L’Alliance »

Les poids lourds du secteur avaient pourtant, quelques mois auparavant, signé une paix des braves, afin de se répartir le marché. Le 31 mars 2005, la lettre d’information Intelligence Online révélait en effet que, le 28 janvier précédent, Jean-Pierre Philippe, directeur de la stratégie de EADS Defence and Security Systems, Pierre Maciejowski, directeur général de Thales Security Systems, et Bernard Didier, directeur Business Development de Sagem, avaient signé dans la plus grande discrétion un “mémorandum of understanding” (MOU) les engageant à présenter une offre commune pour bâtir “un grand système d’identité européen” :

Leur objectif est d’obtenir, d’abord auprès du ministère français de l’intérieur, puis dans d’autres pays, une délégation de service public pour mettre en oeuvre – et éventuellement financer – les futures architectures nationales d’identification. La création de ce consortium soulève toutefois quelques vives réactions, notamment parmi les grandes sociétés de services informatiques telles que Atos, Cap Gemini, Accenture, IBM Global Services qui ne veulent pas être exclues d’un marché qui, en France seulement, tourne autour d’un milliard d’euros.

Takieddine ne fut pas particulièrement bien entendu par son ami Claude Guéant, comme le révèle cet autre document, daté de septembre 2005, où il déplore que l’appel d’offres concernant le passeport biométrique, lancé par Bernard Fitoussi, directeur du programme Ines, ait été “dirigé vers THALES en excluant SAGEM“. Evoquant des “discussions avec CG” (Claude Guéant), Takieddine écrivait que SAGEM avait alors décidé de :

Ne pas revoir sa position vis à vis de THALES dans cette consultation parce que cela affaiblirait la position de « l’Alliance » et ne peut conduire qu’à la polémique avec le partenaire, ce qui ne serait pas rassurant pour le Ministère qui souhaite que l’opération se fasse rapidement.

Evoquant le projet INES, Ziad Takieddine estimait alors que “la solution immédiate à apporter sera un partenariat (la co-traitance) entre SAGEM – THALES – l’Imprimerie Nationale, garantissant des prix compétitifs” :

Il faut parvenir à un accord, si ce message est transmis à THALES : c’est gagné.

 

Takieddine soulignait également qu’”il est à craindre que la France prenne une position en recul par rapport aux projets anglais ou espagnol“. De fait, la Grande-Bretagne, dont le Vice-premier ministre (libéral, et de droite) a depuis été élu pour enterrer la société de surveillance, a décidé, en février dernier, d’abandonner purement et simplement son projet de carte d’identité, de détruire, physiquement, les disques durs comportant les identifiants de ceux qui avaient postulé pour en être dotés, et de demander à son ministre de l’immigration d’en publier les preuves sur Flickr, et YouTube :

Après avoir perdu contre Thalès, Sagem se fera ensuite souffler le marché par un troisième concurrent, Oberthur. Mais l’Imprimerie nationale intenta un recours (.pdf), arguant du fait qu’elle seule détient le monopole de la fabrication de titres d’identité. En janvier 2006, l’Imprimerie nationale n’a pas encore emporté le marché, mais Takieddine, dans un troisième document, tente une nouvelle fois de placer son client, évoquant cette fois le risque d’”un conflit social très difficile à gérer, surtout au niveau politique par N. Sarkozy si le ministère persévérait dans son alliance avec Oberthur” :

SOLUTION : le marché est notifié sans appel d’offres (grâce au monopole de l’Imprimerie Nationale) qui s’engage à s’associer au meilleurs des industriels français (SAGEM en premier chef, mais également THALES et OBERTHUR).

Non content de chercher à influencer Claude Guéant, Takieddine se paie également le luxe de proposer de virer le président de l’Imprimerie nationale, et de le remplacer par un certain Braconnier :

Pour s’assurer de la mise en œuvre rapide et efficace de cette solution, il était impératif que le Président actuel de l’Imprimerie Nationale (Loïc de la Cochetière, totalement décrédibilisé par sa gestion de l’affaire), soit révoqué ad-nutum et remplacé par un homme de confiance du Ministère.

Un candidat, crédible et motivé est M. Thierry Braconnier (Groupe Industriel Marcel Dassault) : 12 ans au sein du Groupe Dassault, administrateur de la société nationale de sécurité de l’information Keynectis, qu’il a contribué à créer avec le soutien de l’ensemble du gouvernement (Gilles Grapinet, alors à Matignon et aujourd’hui Directeur de Cabinet de M. Thierry Breton a été l’un des principaux parrains administratifs de la création de Keynectis). Possède un réseau relationnels avec les industriels parmi lesquels SAGEM / THALES / OBERTHUR.

Encore raté : Loïc Lenoir de La Cochetière dirigea l’Imprimerie nationale jusqu’en 2009.

 

Au même moment, Ziad Takieddine travaillait également, pour le compte de Sagem et auprès de la Libye de Kadhafi, sur plusieurs contrats visant à moderniser les Mirage F1 et Sukhoi de l’armée libyenne, à sécuriser les frontières libyennes, mais également à un “programme d’identification des citoyens libyens” (passeport et carte d’identité), comme l’atteste cet autre document :

Sagem Consulting Agreement – Program

 

Contactée, Safran n’a pas été en mesure de nous dire si ces contrats avaient finalement abouti, ou pas.


Photos via Flickr par Dave Bleadsdale [cc-by] et Vince Alongi [cc-by].

Image de Une à télécharger par Marion Boucharlat et Ophelia Noor pour Owni /-)

Retrouvez les articles de la Une “Fichage des gens honnêtes” :

Lobbying pour ficher les bons français
Vers un fichage généralisé des gens honnêtes
Morpho, numéro 1 mondial de l’empreinte digitale

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L’agenda de l’Intérieur http://owni.fr/2011/10/31/lagenda-de-linterieur-gueant-surveillance-sarkozy-police/ http://owni.fr/2011/10/31/lagenda-de-linterieur-gueant-surveillance-sarkozy-police/#comments Mon, 31 Oct 2011 14:29:47 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=84956 Et si, en terme de “solidarité citoyenne” , les citoyens étaient invités à collaborer à l’effort d’”observation, de signalement, de prévention et d’échange” des forces de sécurité publique, et notamment de leurs services de renseignement ? Cette proposition figure en bonne place du Livre blanc sur la sécurité publique qui vient d’être remis à Claude Guéant. Au programme, également : “cyber-patrouilles” et mini-drônes, développement de la reconnaissance faciale policière via la création du “troisième grand fichier policier“, croisant les photos de plus de deux millions de “suspects” avec l’analyse automatisée des images de vidéosurveillance, et déploiement de nouvelles incriminations afin d’interdire à certains citoyens mécontents d’aller manifester.

Conçu comme “réflexion prospective et proactive relative à ce que l’on pourrait ou devrait faire, à charge ensuite pour les autorités publiques de prendre, au menu ou à la carte, ce qui leur paraît faisable“, le Livre blanc sur la sécurité publique, écrit avec Michel Gaudin, le préfet de police de Paris, entend “perturber les habitudes” :

Les experts ne doivent pas se transformer en militants. Au-delà de leurs opinions légitimes, leur rôle n’est pas de donner des leçons aux responsables politiques, mais de leur fournir des informations les plus objectives possibles, parfois avec des orientations contradictoires, en vue de la prise de décision.

Pudiquement qualifié de “débat passionné“, celui qui concerne « la culture du résultat » tendrait ainsi à “obscurcir les conditions d’évaluation rationnelle des politiques de sécurité en raison de son schématisme et du manque d’indicateurs pertinents” (voir aussi Alain Bauer ou le paradoxe sécuritaire).

Dénonciation anonyme vs “solidarité citoyenne”

En attendant, et sur la base du travail des 6 groupes de réflexion constitués à cet effet, et regroupant plus de 80 responsables de la police et de la gendarmerie, le Livre blanc synthétise 86 propositions qui cherchent notamment à “mieux prendre en compte le ressenti et les attentes de la population“, et insistent sur l’aspect humain de la sécurité.

Il est ainsi question de la création d’un “nouveau module de formation dédié à l’accueil, au contact et au dialogue (…) donnant lieu à la remise officielle de la charte de l’accueil et du code de déontologie à la sortie des écoles de police et de gendarmerie“, mais également d’améliorer l’accompagnement et le suivi des victimes en y associant psychologues, travailleurs sociaux et associations d’aides au victimes.

A contrario, il est aussi question de pénaliser ceux qui refuseraient de coopérer, via la création d’un “délit d’entrave à l’enquête judiciaire en cas d’obstruction active“, et la transposition pour les témoins d’une “obligation de témoigner” (sic). Mais également de “structurer le contact avec le public sur la base d’une doctrine de « solidarité citoyenne » fondée sur la responsabilité et évitant les risques de la dénonciation anonyme, en définissant les notions d’observation, de signalement, de prévention et d’échange responsable“, notamment dans le cadre des services de renseignement de sécurité publique (incarnés notamment par la sous-direction à l’information générale -SDIG- les ex-RG) :

Afin d’améliorer le partenariat de sécurité avec la population, il apparaît enfin nécessaire de déterminer la capacité des citoyens à apporter une plus-value aux services de sécurité publique (renseignements, appuis opérationnels …).

Plusieurs démarches, relevant davantage du sens civique que de la véritable implication dans le partenariat de sécurité, pourraient ainsi être développées en lien étroit avec les forces de sécurité, les élus et les autorités administratives et judiciaires, sous 4 formes éventuelles : l’observation, le signalement, la prévention et l’échange.

Cette posture d’observateur doit conduire les habitants d’un quartier à détecter les situations inhabituelles (présence d’un véhicule suspect…) et à aider et conseiller les personnes vulnérables (personnes âgées isolées …).

Cyber-patrouilles et mini-drônes

Le recours aux nouvelles technologies n’est pas en reste : le Livre blanc propose ainsi de “déployer sur l’ensemble du territoire le traitement de pré-plainte en ligne“, de développer les échanges numérisés avec la population par blogs et réseaux sociaux interposés, mais également d’”établir des partenariats industriels pour le perfectionnement et la sécurisation des dispositifs de neutralisation à létalité réduite“.

Il est aussi question de géolocaliser les équipes, de recourir à la “cartographie opérationnelle intégrée (support cartographique + outils statistiques et d’analyse qualitative + info-centre)” pour mieux couvrir le territoire dans les lieux et aux horaires sensibles -et donc d’entamer une forme de police prédictive-, d’utiliser les “fonctionnalités de la vidéoprotection en temps réel” pour détecter les situations de tension ou anormales, d’exploiter les “outils d’analyse automatique des anomalies” (sic) proposés par les logiciels de “vidéosurveillance intelligente“, ou encore de pouvoir identifier une personne “à partir de sa signature vocale“, entre autres technologies dignes des films d’espionnage :

Les possibilités offertes par la voie aérienne sont également sous-exploitées : accès ponctuel aux données de la surveillance spatiale de haute résolution, recours à l’avion pour des missions de surveillance ou de filature (…) ou à des mini-drônes pour des distances et des périodes courtes.

La surveillance effective des comportements illicites dans l’internet implique aussi de donner des moyens de « cyberpatrouille » moins rudimentaires aux policiers et gendarmes : les technologies d’analyse sémantique et d’indexations de sites, ainsi que des capacités d’intrusion de sites protégés devront être développées.

Enfin, et face à la multiplication des projets visant à doter les policiers de “terminaux multifonctions“, le Livre blanc plaide pour une “stratégie globale convergente” afin de leur permettre d’y associer “géolocalisation, lecture de titre d’identité, de voyage ou de conduite sécurisés, lecture automatisée de plaques d’immatriculation, interrogation de fichiers, rédaction et envoi de comptes-rendus d’intervention, prise de plainte ou déclaration de main courante, verbalisation électronique, recueil et transmission d’images vidéo“…

Reconnaissance faciale policière

De façon plus notable, les auteurs du Livre blanc proposent également de “restructurer les fichiers locaux pour créer un troisième grand fichier de police technique reposant sur l’image du visage : la base nationale de photographies“, qui regrouperait 70% des 2,4 millions de clichés et portraits-robots du fichier STIC-Canonge de la police nationale, et les photographies (de face, de trois-quarts et de profil) de 393 000 personnes ayant fait l’objet d’une mise en cause délictuelle ou criminelle figurant dans le Fichier automatisés des empreintes digitales (FAED).

L’objectif est de “développer le recours aux logiciels de reconnaissance automatisée par l’image pour en faciliter l’exploitation et accélérer la résolution des enquêtes judiciaires disposant d’indices tirés de la vidéoprotection“, en clair : chercher, dans les images de vidéosurveillance, ceux dont les visages figureront dans ce “troisième grand fichier de police“.

Pour Alain Bauer, l’un des mérites non négligeables de ce nouveau fichier serait de sortir le ministère de l’Intérieur de l’état de non-droit qui caractérise le Canonge, et qu’il conteste, de concert avec la CNIL, dans la mesure où l’inspecteur Canonge qui l’avait créé dans les années 50 l’avait conçu pour effectuer des recherches en fonction de profils ethniques (noir, blanc, jaune et arabe), une situation qui perdure aujourd’hui, en pire :

Informatisé en 1992, Canonge s’est perfectionné dans la description initiale en retenant douze catégories « ethno-raciales », toujours en vigueur : « blanc (Caucasien), Méditerranéen, Gitan, Moyen-Oriental, Nord Africain, Asiatique Eurasien, Amérindien, Indien (Inde), Métis-Mulâtre, Noir, Polynésien, Mélanésien-Canaque ».

Le nouveau fichier, lui, ferait fi de ce fichage ethnique illégal, privilégiant les données objectives issues de la reconnaissance biométrique des traits du visage, de leurs couleurs… Alain Bauer reconnaît que le taux d’erreur, de l’ordre de 10%, n’en fait pas un véritable outil de police “scientifique“, mais, comme le souligne le rapport, “une assistance à la sélection et à la comparaison physionomique“.

Claude Guéant, lui, table sur l’amélioration des performances de la reconnaissance faciale pour en faire, à terme, un outil particulièrement performant de repérage a posteriori, voire en temps réel, à la volée, des criminels et délinquants. Ce pour quoi, d’ailleurs, il plaide pour que la base de données biométriques des “45 millions de gens honnêtes” de son projet de carte d’identité sécurisé puisse être utilisée de façon policière, ce qui fait tiquer la CNIL.

La possibilité est d’autant moins hypothétique que l’injonction affichée sur tous les photomatons, et les prospectus du ministère de l’Intérieur, interdisant aux gens de sourire ou de rigoler sur leurs photos d’identité, répond à une exigence technique : pour que les logiciels de reconnaissance faciale puissent reconnaître nos visages, il nous faut se conformer à leur grille d’analyse…

Les manifestants ? Des hooligans en puissance

Le Livre blanc cherche également à répondre à la multiplication des contre-sommets et autres manifestations déclarées (+100%, à Paris, depuis 2007) ou pas, et notamment à l’explosion du nombre de rassemblements du type Occupy Wall Street, #SpanishRevolution, en écho au Printemps arabe.

S’inspirant explicitement de la possibilité d’interdire à certains hooligans d’assister à des matchs de football, voire même d’aller pointer, à l’heure dite, au commissariat, les auteurs du rapport proposent ainsi de “permettre d’interdire aux personnes constituant une menace grave pour l’ordre public de se trouver à proximité d’une manifestation de voie publique“, mais également de créer “une nouvelle contravention pour la participation à une manifestation non déclarée après appel à la dispersion“…


Illustration CC Neno° (Ernest Morales).

Image de “une” CC Myxi.

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Alain Bauer ou le paradoxe sécuritaire http://owni.fr/2011/10/31/alain-bauer-ou-le-paradoxe-securitaire/ http://owni.fr/2011/10/31/alain-bauer-ou-le-paradoxe-securitaire/#comments Mon, 31 Oct 2011 11:11:05 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=84902 Alain Bauer, figure incontournable des politiques sécuritaires de ces 15 dernières années, critique aujourd’hui, à mots couverts, l’instrumentalisation politicienne qui en est faite. Comme en témoigne le Livre blanc sur la sécurité publique qu’il a remis à Claude Guéant la semaine passée. A défaut de savoir si ses avis sont entendus, force est de constater son impuissance, les ministères de l’Intérieur successifs n’ayant de cesse de faire le contraire de ce qu’il dit, ou de refuser de l’écouter.

Nommé président de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), en 2003, lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, puis président de la Commission sur le contrôle des fichiers de police, puis de la Commission nationale de la vidéosurveillance, Alain Bauer est considéré comme le Mr sécurité de Nicolas Sarkozy. Après avoir contribué au virage sécuritaire du parti socialiste, au sein duquel il a longtemps oeuvré.

Homme de réseau issu du parti socialiste, “antistalinien primaire” et ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Alain Bauer a commencé à travailler sur la police alors que Michel Rocard était premier ministre. Il a ensuite été recruté par la Science Application International Corporation (Saic), “machine de guerre privée et secrète du Pentagone et de la CIA” spécialisée, notamment, dans les technologies de sécurité. En 1994, il créé son propre cabinet privé de conseil en sécurité, AB Associates.

A qui profite le chiffre ?

Interrogé par OWNI sur la politique du chiffre, décriée depuis des années, Alain Bauer est des plus clairs : “la politique du chiffre n’a aucun intérêt : ce qui compte c’est la performance et le résultat. L’objectif n’est pas de faire des croix, et je ne considère pas que les fumeurs de shit valent un assassin“.

N’importe qui peut faire dire n’importe quoi aux chiffres“, avait ainsi expliqué à TF1 Alain Bauer qui, en tant que président de l’ONDRP, dont le coeur de métier est précisément le recueil et l’analyse statistiques des données policières, sait de quoi il parle :

Politiciens et journalistes sont complices d’un processus de simplification qui conduit à de la désinformation. Ils adorent n’avoir qu’un chiffre à communiquer, qui monte ou qui baisse. Le problème est qu’un vol de chewing-gum, qui vaut “1″ en statistique, n’est pas égal à un homicide qui, pourtant, vaut également “1″.

Alain Bauer expliquait ainsi qu’”en matière de délinquance, il existe trois catégories d’infractions, et trois seulement : les atteintes aux biens (vol de voiture, de téléphone etc…), les atteintes aux personnes ( vol avec agression, coups, viol, homicide…) et les escroqueries économiques et financières (chèque volé, vol de carte de crédit…) (qui) ne peuvent pas se cumuler” :

Donc, le principe de délinquance générale, même s’il est systématiquement utilisé, n’a jamais rien voulu dire. La gauche a eu le malheur de connaître une forte progression et même le plus haut taux historique jamais enregistré en matière de criminalité, en 2001, avec 4,1 millions de crimes et délits. Ensuite ce chiffre est redescendu, mais ce chiffre global n’a aucune signification réelle. En revanche, on peut dire que pour les atteintes aux personnes, gauche ou droite, le résultat est marqué par une forte progression des violences.

En janvier dernier, Brice Hortefeux n’en était pas moins venu présenter sur TF1 le bilan chiffré de la lutte contre l’insécurité, graphique statistique à l’appui, montrant une hausse de 17,8% de la “délinquance globale” de 1996 à 2002, suivi d’une baisse de 16,2% depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au poste de ministère de l’Intérieur :

Or, et comme OWNI l’avait alors démontré, dans le même temps, les violences physiques avaient, elles, explosé de 90% depuis 1996 (voir Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente)…

Vidéosurveillance : mais où sont passées les caméras ?

En 2001, “sur la base d’un échantillon“, explique-t-il aujourd’hui, Alain Bauer avait estimé que les 3/4 des caméras de vidéosurveillance n’avaient pas été déclarées, et qu’elles étaient donc hors la loi :

On estime à 150 000 le nombre de systèmes installés dans des lieux ouverts au public, mais seuls 40 000 ont été déclarés. Tous les autres sont donc illégaux. Quant aux systèmes nouveaux, 10 % – sur environ 30 000 – ont fait l’objet d’une déclaration.

Président de la Commission nationale de la vidéosurveillance depuis 2007, Alain Bauer se dit incapable de chiffrer le nombre de caméras en France, “même au doigt mouillé, parce qu’on n’est pas obligé de toutes les déclarer“.

Celles qui ont été déclarées, par contre, ont explosé : depuis 1995, 674 000 caméras ont été validées par les commissions préfectorales chargées de vérifier leur licéité, soit une augmentation de près de 200% par rapport au chiffre avancé par Michèle Alliot-Marie en 2007, lorsqu’elle s’était fixée comme objectif de tripler le nombre de caméras sur la voie publique d’ici 2009 :

On évalue à 340 000 les caméras autorisées dans le cadre de la loi de 1995, dont seulement 20 000 sur la voie publique (et) j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de l’exprimer, je veux tripler en deux ans le nombre de caméras sur la voie publique, afin de passer de 20 000 à 60 000.

L’objectif, martelé depuis par Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, a été sévèrement relativisé lorsque la Cour des comptes, en juillet dernier, a révélé que les chiffres que lui ont confié les responsables de la police et de la gendarmerie faisaient état de seulement 10 000 caméras, pour un budget de 600 millions d’euros par an. Contacté par OWNI, le ministère de l’Intérieur, lui, martèle le chiffre de 35 000, tout en refusant de nous en donner la comptabilité, chiffrée, se bornant à renvoyer aux propos tenus par Claude Guéant dans la presse.

Alain Bauer, lui, attend 2012 avec impatience : “les autorisations accordées aux caméras avant 2007 seront toutes soumises à renouvèlement, on aura donc une idée précise du stock“. L’estimation du nombre de caméras est d’autant plus importante qu’elle permettra aussi, et au-delà du seul chiffre, de mesurer leur efficacité.

Or, Alain Bauer ne cache plus ses réserves à ce sujet, au point de critiquer ouvertement ceux qui pensent que, comme par magie, l’installation de caméras permettrait de résoudre tous les problèmes, comme il l’avait déclaré l’an passé sur France Inter :

Bruno Duvic : Alain Bauer, est-ce qu’on a précisément mesuré quand les caméras de vidéosurveillance étaient efficaces et quand elles l’étaient moins ?

Alain Bauer : Oui oui, on a de très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, qui montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, pas une solution en tant que tel…

Alain Bauer explique aujourd’hui à OWNI qu’il plaide ainsi depuis des années pour qu’une étude indépendante mesure scientifiquement l’efficacité de la vidéosurveillance, et qu’elle soit menée par des chercheurs et universitaires, y compris critiques envers cette technologie, à l’instar de Tanguy Le Goff ou d’Eric Heilmann. En 2009, ces derniers, en réponse au ministère de l’Intérieur qui venait de publier un rapport censé prouver l’efficacité de la vidéosurveillance en matière de prévention de la délinquance, avaient rétorqué, a contrario, que “rien ne permet de conclure à l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance” (voir Vidéosurveillance : un rapport qui ne prouve rien). Etrangement, le projet d’étude scientifique et indépendante d’Alain Bauer aurait rencontré “peu d’enthousiasme” au ministère…

Les erreurs dans les fichiers de police ? Un “problème d’informaticiens”

C’est peu dire que les problèmes posés par les fichiers policiers soulèvent eux aussi “peu d’enthousiasme” place Beauvau. Président de la commission sur le contrôle des fichiers de police, Alain Bauer connaît là aussi bien le sujet. En 2006, il avait ainsi dénombré 34 fichiers policiers en 2006, et 45 en 2008. En 2009, les députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP), mandatés par l’Assemblée suite au scandale du fichier Edvige, en avaient de leur côté dénombré 58, dont un quart ne disposant d’aucune base légale. En mai 2011, OWNI en répertoriait pour sa part 70, dont 44 créés depuis que Nicolas Sarkozy est arrivé place Beauvau, en 2002.

Interrogé par OWNI cette explosion du nombre de fichiers, qu’il est censé contrôler, Alain Bauer explique que “la mission du Groupe de contrôle des fichiers était précisément de révéler notamment ceux qui existaient sans déclaration, puis de faire en sorte que les projets soient tous déclarés” :

Une partie de cette “inflation” est d’abord une révélation. Pour ma part, je suis favorable a une législation par type de fichiers comme je l’ai indiqué à la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Cette mesure, consistant à débattre, au Parlement, de la création de tout nouveau fichier policier, figurait également en bonne place des 57 propositions formulées par Batho et Bénisti, dont la proposition de loi, bien que faisant l’objet d’un rare consensus parlementaire, et adoptée à l’unanimité par la commission des lois de l’Assemblée, a copieusement été enterrée sur ordre du gouvernement.

L’autre grand sujet d’inquiétude concernant ces fichiers est le nombre d’erreurs qui y figurent : en 2008, la CNIL avait ainsi constaté un taux d’erreur de 83% dans les fichiers STIC qu’elle avait été amenée à contrôler, tout en estimant que plus d’un million de personnes, blanchies par la Justice, étaient toujours fichées comme “défavorablement connues des services de police” dans ce fichier répertoriant plus de 5 millions de “suspects“, et plus de 28 millions de victimes.

La Justice n’envoie que 10% des mises à jour, mais ça changera avec le logiciel en 2012“, rétorque Alain Bauer, qui renvoie à la fusion programmée du STIC et de JUDEX (son équivalent, au sein de la gendarmerie), prévue pour 2012, au sein d’un Traitement des procédures judiciaires (TPJ) censé, notamment, moderniser le logiciel de rédaction de procédure développé voici une quinzaine d’année, et doté d’une interface type MS-DOS quelque peu dépassée.

L’objectif sera (aussi) d’avoir une équipe pour gérer le stock“, et donc les milliers, voire millions d’erreurs encore présentes dans les fichiers policiers, reconnaît Alain Bauer, un tantinet fataliste : “nous on recommande, mais c’est le ministère qui décide” . Et puis, “c’est un problème d’informaticiens“…

Photo d’Alain Bauer CC Thesupermat.

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Fichons bien, fichons français ! http://owni.fr/2011/07/05/fichons-bien-fichons-francais/ http://owni.fr/2011/07/05/fichons-bien-fichons-francais/#comments Tue, 05 Jul 2011 15:29:04 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=72836 La proposition de loi sur la protection de l’identité, qui va créer un fichier de 45 millions de “gens honnêtes” et de leurs empreintes digitales (voir Vers un fichage généralisé des “gens honnêtes”) ne vise pas qu’à lutter contre l’usurpation d’identité, comme le reconnaît son auteur, le sénateur Jean-René Lecerf :

Les entreprises françaises sont en pointe mais elles ne vendent rien en France, ce qui les pénalise à l’exportation par rapport aux concurrents américains.

Le 31 mai, lors de la discussion au Sénat, Jean-René Lecerf soulignait ainsi que “sur la carte d’identité, nous avons été rattrapés, puis distancés par de nombreux États, dont nombre de nos voisins et amis, au risque de remettre en cause le leadership de notre industrie, qui découvrait alors la pertinence du proverbe selon lequel nul n’est prophète en son pays“.

Le rapport de Philippe Goujon, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée, est encore plus clair, et ne cherche même pas à masquer l’opération de lobbying dont il s’agit : “Comme les industriels du secteur, regroupés au sein du groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL), l’ont souligné au cours de leur audition, l’industrie française est particulièrement performante en la matière” :

Les principales entreprises mondiales du secteur sont françaises, dont 3 des 5 leaders mondiaux des technologies de la carte à puce, emploient plusieurs dizaines de milliers de salariés très qualifiés et réalisent 90 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation.
Dans ce contexte, le choix de la France d’une carte nationale d’identité électronique serait un signal fort en faveur de notre industrie.

Claude Guéant remarquait de son côté que “plusieurs de nos voisins immédiats comme la Belgique, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, ont déjà adopté ce système, alors même que la technologie de la carte à puce est un domaine d’excellence français“. François Pillet, rapporteur de la proposition de loi, a été tout aussi clair :

Le sujet engage aussi des enjeux économiques, industriels : la sécurisation des échanges électroniques est un marché (…) Les entreprises françaises, en pointe sur ce domaine, veulent investir le marché français.

Ils le veulent d’autant plus qu’ils peinent, de fait, à s’implanter dans les pays industrialisés, alors même que trois des quatre premiers acteurs mondiaux des titres d’identités sécurisés, électroniques ou biométriques, sont français (Morpho, Gemalto et Oberthur, le quatrième, Giesiecke & Devrient, étant allemand). Si leurs systèmes biométriques à destination des fichiers policiers équipent tout autant les pays dits “développés” que les pays émergents, les dispositifs permettant de “sécuriser” les titres d’identité n’ont pour l’instant essentiellement été vendus qu’à des monarchies pétrolières, pays pauvres ou émergents (voir Morpho, n° 1 mondial de l’empreinte digitale).

Ce secteur d’activités est pourtant considéré comme prioritaire par le gouvernement et ce, depuis des années. En 2005, Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, avait ainsi insisté sur l’importance, en termes de “souveraineté économique, industrielle et technologique“, de la maîtrise des “technologies sensibles“, et notamment de la biométrie, considérée “vitale pour notre sécurité“.

En lui succédant, Nicolas Sarkozy avait quant à lui fait de la création de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), chargée de la modernisation des titres d’identité et maître d’œuvre du passeport biométrique, l’une de ses priorités. Lors de son inauguration, en décembre 2007, Michèle Alliot-Marie avait souligné le fait que l’ANTS était “en première ligne d’une bataille politique et industrielle :

La France doit être en mesure de proposer des solutions françaises et communiquer de manière sécurisée avec les procédures de ses principaux partenaires, sinon elle court le risque de se voir imposer leurs solutions.
Ceci la priverait à la fois d’un moyen d’influence et supprimerait un levier de développement puissant.

En octobre 2008, la France organisait ainsi un séminaire sur “la valorisation des nouveaux titres biométriques en Europe“, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, dont le programme confidentiel, révélé par Bakchich, faisait de la biométrie “une priorité de la France” :

L’Union européenne est la première entité au monde à développer à l’échelle de plusieurs pays des titres électroniques interopérables, dont les atouts sont importants en termes de sécurité (fraude, circulation transfrontalières) et de vie quotidienne (e-administration/e-services…). Ce dernier aspect (vie quotidienne) est mal connu du grand public et ce séminaire a pour but de mieux le faire connaître.

Les données personnelles ? Une valeur marchande

Ce soutien gouvernemental à l’industrie de la biométrie relève aussi de la compétition internationale, comme le soulignent Bernard Didier et Carole Pellegrino, de la société Morpho, “leader mondial de l’empreinte digitale“, dans un article intitulé “Que fait l’Europe face aux Etats-Unis ?“, paru dans L’identification biométrique, recueil de textes sorti récemment aux éditions de la maison des Sciences de l’Homme.

Les deux auteurs rappellent en effet que, suite aux attentats de 2001, les États-Unis ont massivement soutenu, favorisé et subventionné leurs propres industriels spécialisés dans la biométrie.

Dans le même temps, l’Europe peinait pour sa part à se positionner sur ces enjeux, du fait de sa “diversité, tant dans la manière dont est appréhendée la problématique liberté/sécurité qu’en ce qui concerne la manière dont est perçue l’industrie de souveraineté par chacun des États membres“, qui varie notamment “selon que les États ont ou non connu des attentats terroristes sur leur propre territoire” :

C’est la raison pour laquelle on constate des retards ou des “décalages” dans les calendriers initialement déterminés au niveau des principaux programmes nationaux ou européens

Le programme français a ainsi constamment été repoussé, et les Britanniques viennent même de renoncer à leur projet de carte d’identité, en déchiquetant publiquement les disques durs comportant les données personnelles de ceux qui s’étaient enrôlés dans le système.

Bernard Didier et Carole Pellegrino déplorent également le fait qu’un certain nombre d’autorités de protection des données personnelles s’opposent au croisement des fichiers, mais également que la CNIL et son homologue espagnole aient interdit, contrairement à d’autres pays, la prise d’empreintes digitales à l’école “comme moyen de contrôle de l’identité des élèves afin de leur permettre d’accéder à la bibliothèque ou à la cantine“.

Plus globalement, ils déplorent l’attitude des autorités de protection des données personnelles, et notamment le G29 (qui réunit les CNIL européennes), qui “s’évertue à rester, à nos yeux, dans une posture de “censeur éclairé” alors que d’autres pays, comme le Canada par exemple, participent au débat et à la recherche transformant le handicap industriel en avantage compétitif“, le modèle idéal étant celui des États-Unis :

Selon l’approche américaine, les données personnelles ne sont pas considérées comme un attribut de la personne, mais comme une valeur marchande régie par les règles du marché.
Par ailleurs, aux États-Unis, il n’existe pas de règles de protection équivalant à celles dont dispose l’Union européenne, ni d’autorité fédérale de protections des données semblable à celles qui sont en place en Europe.

Après avoir rappelé que l’Europe subventionne des programmes de recherche visant à “développer des solutions d’identité innovantes” intégrant des dispositifs de protection des données personnelles au sein même de leurs dispositifs de contrôle biométrique, les deux auteurs estiment qu’il en va du ressort des institutions européennes :

Une feuille de route pour un cadre paneuropéen de la gestion de l’identité en 2010 vise à garantir les modes d’identification électroniques qui maximisent le confort de l’utilisateur tout en respectant la protection des données. Un tel projet devrait faciliter l’adoption de normes européennes relatives à la biométrie.

Sous peine de devenir un acteur politique et industriel de second rang, il est temps pour l’Europe de relancer la dynamique des grands programmes sur la gestion d’identité.


Illustrations CC FlickR: dsevilla, Mr Jaded, Jack of spades

Voir aussi :
- Vers un fichage généralisé des “gens honnêtes”
- Morpho, n° 1 mondial de l’empreinte digitale (à venir)

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http://owni.fr/2011/07/05/fichons-bien-fichons-francais/feed/ 32
Vers un fichage généralisé des “gens honnêtes” http://owni.fr/2011/07/05/carte-identite-biometrique-fichage-generalise-gens-honnetes/ http://owni.fr/2011/07/05/carte-identite-biometrique-fichage-generalise-gens-honnetes/#comments Tue, 05 Jul 2011 14:44:35 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=72829

La future carte d’identité, débattue au Parlement ce 7 juillet, reposera sur la création d’un “fichier des gens honnêtes” (sic) répertoriant les noms, prénoms, sexe, dates et lieux de naissance, adresses, tailles et couleurs des yeux, empreintes digitales et photographies de 45 millions de Français voire, à terme, de l’ensemble de la population.

L’expression “fichier des gens honnêtes” a été utilisée par François Pillet, sénateur (UMP) du Cher et rapporteur de la proposition de loi sur la protection de l’identité (voir le dossier), adoptée en première lecture au Sénat, et qui sera discutée à l’Assemblée le 6 juillet:

Pour atteindre l’objectif du texte, il faut une base centralisant les données. Or cette base serait unique dans l’histoire de notre pays au regard de sa taille, puisqu’elle porterait sur 45 millions d’individus, si elle existait à l’heure actuelle. À terme, elle est susceptible de concerner 60 millions de Français. Ce sera de surcroît le premier « fichier des gens honnêtes ».

Ce fichier n’a donc pas d’équivalent. Toutes les personnes auditionnées ont mis en garde, plus ou moins expressément, contre son usage à d’autres fins que la lutte contre l’usurpation d’identité, ce qui présenterait des risques pour les libertés publiques.

Le gouvernement cherche depuis 10 ans à moderniser la carte d’identité, afin d’y rajouter une “puce électronique sécurisée“, et de centraliser dans une base de données les identifiants, notamment biométriques, des personnes fichées. Ce qui pose de nombreux problèmes techniques, juridiques et politiques. Au point, comme le reconnait François Pillet, qu’”aucun des (trois) projets de loi rédigés sur le sujet par les gouvernements successifs n’ont finalement été présentés au Parlement“.

“Zorro n’étant pas disponible…”

Le projet de carte INES (pour Identité Nationale Électronique Sécurisée), sévèrement critiqué par le Forum des droits de l’Internet et par la CNIL, avait ainsi été abandonné en 2005. Il s’agissait alors de lutter contre le terrorisme et l’immigration irrégulière, comme l’expliqua alors Dominique de Villepin aux députés, dans une formule toute en sobriété :

L’usage de faux papiers coûte en outre plusieurs milliards à la nation chaque année. Pour régler le problème, nous pouvions bien sûr nous adresser à Zorro (…) Mais il n’était pas disponible, et c’est pour cela que nous avons sollicité INES.

Dans un article paru dans un ouvrage collectif passionnant, L’identification biométrique, Clément Lacouette-Fougère, auteur d’un mémoire de recherche sur INES, le qualifie de “solution à la recherche de problèmes (…) électoralement risqué et techniquement instable“.

A l’époque, le ministère de l’Intérieur voulait pouvoir s’en servir afin d’identifier les propriétaires d’empreintes digitales non fichés au Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), qui répertorie 3,6 millions d’individus, mais aussi 212 000 traces non identifiées. Mais la CNIL notamment s’y était fermement opposée.

Peinant à apporter des preuves tangibles du lien entre le rôle des fraudes à l’identité et la lutte contre le terrorisme, mis à mal par le débat public, souffrant de nombreuses incohérences bureaucratiques, les porteurs du projet délaissèrent alors l’argument sécuritaire, et cherchèrent d’autres justifications.

On avait ainsi vu les deux policiers responsables du projet reconnaître qu’ils n’avaient pas, eux-mêmes, de carte d’identité (elle n’est pas obligatoire), tout en vantant les mérites du projet de carte d’identité sécurisée au motif que cela allait favoriser… le commerce électronique :

A quoi sert une carte d’identité ? A lutter contre le terrorisme ? Oui, un petit peu, mais ce n’est pas la seule raison, et ce n’est pas la première.

A votre avis, combien de lettres recommandées sont envoyées en France chaque année ? 240 millions. Combien de temps perdez-vous à aller chercher une lettre recommandée à la Poste ? L’année prochaine, tous les ordinateurs seront livrés avec un lecteur de carte. Il n’y aura plus à se déplacer.

Cinq ans plus tard, les ordinateurs ne sont toujours pas livrés avec un lecteur de carte. Mais le nouveau projet en reprend l’idée, avec une seconde puce, facultative et commerciale, “portant la signature électronique de la personne, autorisant l’authentification à distance, ce qui remplacerait le recours à des sociétés commerciales“, comme l’a expliqué Claude Guéant :

Concrètement, l’authentification par le second composant de la carte s’effectuera via un boîtier relié à l’ordinateur personnel, dont les utilisateurs intéressés par ce service devront se doter.

En 2001, un projet similaire, Cyber-comm, lecteur personnel de carte à puce censé “envahir le marché et faire entrer massivement la France dans l’ère du commerce électronique sécurisé“, avait fait un énorme flop, et l’on peut raisonnablement douter du fait que les internautes dépenseront plusieurs dizaines d’euros dans de tels boîtiers alors qu’il existe de nombreux mécanismes de paiement et d’identification sécurisés.

“L’objectif annoncé est, par essence, inaccessible”

Les précédents argumentaires censés justifier la carte d’identité biométrique ayant échoué, la proposition de loi de Jean-René Lecerf (UMP) vise aujourd’hui officiellement à lutter contre les usurpations d’identité qui, d’après un sondage du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), toucherait 4,2% de la population française :

Cela représente plus de 210 00 cas avérés chaque année, un chiffre plus important que les cambriolages à domicile (150 000) et que les vols d’automobile (130 000)

François Pillet, le rapporteur de la proposition de loi, souligne cela dit que ces données “n’ont pas été scientifiquement établies, le chiffre de 210 000 cas (ayant) été obtenu en suivant une méthode unanimement critiquée (et) d’une fiabilité douteuse“, et à la demande d’une société spécialisée dans les broyeuses de documents, et qui avait donc intérêt à gonfler les chiffres de l’usurpation d’identité.

L’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale a, quant à lui, répertorié, en 2009, 13 900 faits de fraude documentaire ou d’identité, quand la direction des affaires criminelles et des grâces répertoriait de son côté 11 627 condamnations la même année, bien loin donc des 210 000 cas avancés par le Credoc.

Alain Bauer, conseiller de Nicolas Sarkozy pour ce qui est des questions de sécurité, et président de l’Observatoire national de la délinquance, avait d’ailleurs lui-même émis des doutes (.pdf) lorsqu’il avait été auditionné par la CNIL, en 2005, rappelant notamment que la fraude à l’identité porte essentiellement sur le permis de conduire et les passeports et qu’”en revanche, celle-ci existe quantitativement très peu dans les affaires de terrorisme et de crimes organisés (à l’exception de la traite des êtres humains)” :

Quant à l’objectif annoncé d’éradiquer la contrefaçon des pièces d’identité, j’estime qu’il est, par essence, inaccessible. En effet, malgré tous les raffinements technologiques utilisés, je suis convaincu que la nouvelle carte d’identité sera contrefaite dans un futur plus ou moins proche, car les faussaires s’adaptent toujours aux nouveaux moyens technologiques.

Un dispositif contraire à la convention européenne des droits de l’homme ?

L’objectif du gouvernement est aujourd’hui de fusionner les bases de données du passeport biométrique et de la carte d’identité. En 2007, dans son avis sur le passeport biométrique, la CNIL avait dénoncé le recours à une base centralisée pour conserver les données, ainsi que le recueil de 8 empreintes digitales, là où les autres pays européens n’en exigent que deux :

Si légitimes soient-elles, les finalités invoquées ne justifient pas la conservation, au plan national, de données biométriques telles que les empreintes digitales et que les traitements ainsi mis en œuvre seraient de nature à porter une atteinte excessive à la liberté individuelle.

Vertement critiquée par les associations de défense des droits de l’homme, la base de données des empreintes digitales du passeport biométrique avait fait l’objet, en 2008, de quatre recours devant le Conseil d’État. En juin 2010, le rapporteur public avait recommandé l’annulation de la collecte de 6 des 8 empreintes digitales, mais pas l’annulation de la création d’une base centralisée.

A ce jour le Conseil d’État ne s’est toujours pas prononcé définitivement sur la licéité de la base de données, et du nombre d’empreintes susceptibles d’y être stockées. Mais c’est probablement, estime l’opposition, pour pouvoir précisément contourner l’avis du Conseil d’État, et éviter d’avoir à consulter la CNIL, que le projet revient aujourd’hui sous la forme d’une proposition de loi, déposée non par le gouvernement, mais par un sénateur.

“Nous ne voulons pas laisser derrière nous une bombe”

Le problème se pose aussi à l’échelle européenne : la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi condamné la Grande-Bretagne pour avoir conservé les empreintes ADN d’innocents dans le fichier génétique de police britannique, au motif, rappelle Éliane Assassi, sénatrice communiste, que l’ensemble des citoyens ne peuvent être traitées de la même manière que les personnes coupables ou inculpées.

Soucieux de respecter la convention européenne des droits de l’homme, les sénateurs, qui ont adopté le texte en première lecture le 31 mai dernier, ont dès lors voulu éviter tout détournement de la base de données, et notamment toute utilisation en matière de police judiciaire afin de rendre impossible l’identification d’un individu à partir de ses empreintes digitales ou de sa photographie, comme l’a expliqué François Pillet :

Nous ne voulons pas laisser derrière nous une bombe : c’est pourquoi nous créons un fichier qui ne peut être modifié.

A cette fin, ils ont proposé de rajouter des “garanties matérielles (rendant) techniquement impossibles un usage du fichier différent de celui qui a été originellement prévu“, à savoir lutter contre l’usurpation d’identité, et ont proposé de recourir à une technologie dite “à liens faibles“, qui a notamment fait l’objet d’un brevet déposé par Sagem. Concrètement, ces “liens faibles” permettent de s’assurer que la personne figure bien dans le fichier, mais empêchent de l’identifier à partir de ses données personnelles telles que ses empreintes digitales ou de sa photo.

Le gouvernement, tout comme Philippe Goujon, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée, sont fermement opposés à ce dispositif, au motif qu’”en cas d’usurpation d’identité, il sera impossible d’identifier l’usurpateur, à moins de faire une enquête longue et coûteuse” :

Si un usurpateur tentait de faire établir un document d’identité avant son titulaire légitime, il faudrait enquêter sur plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes pour le démasquer, ce qui constituerait une atteinte à la vie privée bien plus grave que le recours à une identification directe du fraudeur.

En outre, l’architecture du fichier central conçue par le Sénat rendra celui-ci inutilisable pour une recherche criminelle. Or, j’estime qu’une telle recherche, qui n’interviendrait que sur réquisition judiciaire, doit être possible.

Pour Delphine Batho, députée socialiste, “le véritable objectif de ce texte, c’est le fichage biométrique de la totalité de la population à des fins de lutte contre la délinquance” :

Il existe un fichier permettant d’identifier les fraudeurs : le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), qui recense 3 millions d’individus, soit 5 % de la population, et qui a permis de détecter 61 273 usurpations d’identité. Cet outil me semble suffisant.

Les auteurs de cette proposition de loi estiment, pour résumer, que pour détecter un fraudeur, il faut ficher tout le monde.

Pour Sandrine Mazetier, députée PS, la proposition de loi bafouerait également les principes de finalité et de proportionnalité “pierre angulaire de la loi Informatique et libertés” :

Il semble totalement disproportionné de mettre en place un fichage généralisé de la population française pour lutter contre 15 000 faits d’usurpation d’identité constatés par la police.

Disproportionné, peut-être. Mais il en va aussi des intérêts souverains de l’économie française : Morpho, fialiale de Safran, qui avait déjà emporté l’appel d’offres du passeport biométrique, est en effet le “n°1 mondial de l’empreinte digitale“, et n°1 mondial des titres d’identité biométrique sécurisés…

NB : comme le rappelle très opportunément Pierrick en commentaire, la carte d’identité n’est pas obligatoire. Si on vous demande de justifier de votre identité, voilà ce qu’il vous faut savoir : La carte d’identité n’est pas un document obligatoire. L’identité peut être justifiée par un autre titre (passeport ou permis de conduire), une autre pièce (document d’état civil indiquant la filiation, livret militaire, carte d’électeur ou de sécurité sociale), voire un témoignage.


Illustrations CC FlickR par pictalogue, Pink Sherbet Photography, Special Collections at Wofford College

Voir aussi :
- Fichons bien, fichons français !
- Morpho, n° 1 mondial de l’empreinte digitale

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http://owni.fr/2011/07/05/carte-identite-biometrique-fichage-generalise-gens-honnetes/feed/ 62
Et si on fichait l’ADN de tous les policiers ? http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/ http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/#comments Wed, 16 Feb 2011 07:26:24 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=46805 La semaine passée, L’Express révélait que “le ministère de l’Intérieur, en coordination avec les syndicats de police, a lancé une réflexion sur la création d’un fichier génétique spécifique dans lequel seraient intégrés les profils ADN de tous les enquêteurs” :

Cette base de données, appelée “base d’exclusion”, serait distincte de l’actuel Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui recense, lui, les personnes mises en cause et les condamnés.

L’objectif est d’éviter les erreurs sur les scènes de crimes, où les enquêteurs laissent parfois leurs propres traces biologiques. Le seuil de détection étant aujourd’hui très bas, plusieurs cas de “pollution” ont ainsi été observés ces dernières années, y compris dans des affaires sensibles.

Le risque de “pollution” est bien réel, comme le montre l’enquête que j’avais consacrée aux erreurs imputables aux “experts” de la preuve par l’ADN, ou encore, et de façon plus prosaïque, ce commentaire posté en réponse à l’article de l’Express :

Ca me parait évident que c’est nécessaire, d’abord les rares cas de pollution, c’est assez faux; Quand j’ai bossé dans les banques très rapidement j’ai dû bloquer tous les policiers qui venaient lors de braquage qui commencaient a mettre les mains sur les portes des sas, ne prenaient pas de gants a l’intérieur etc etc.. certes ce ne sont pas des meurtres mais quand on voit cette négligence affichée, on tombe des nues.

Quand l’ADN rend parano

On peut raisonnablement penser que les policiers sont aujourd’hui, de plus en plus formés, pour éviter de polluer ainsi une scène de crime ou de délit. Mais la réflexion initiée par le ministère de l’Intérieur démontre que le risque est loin d’être nul.

Un autre internaute, plus suspicieux, craint de son côté que “les policiers dont l’ADN sera retrouvé sur le lieu d’un crime seront automatiquement considérés comme innocents, l’ADN relevé étant consécutif à une “erreur”. Très pratique. Dans un état policier, evidemment…


Le problème est ailleurs : en 2001, près de la moitié des policiers britanniques à qui leurs supérieurs avaient de même réclamé leur ADN avaient tout simplement refusé d’être ainsi fichés, pour les même motifs. Leurs craintes étaient doubles:

. que des malfrats mal intentionnés ne prélèvent intentionnellement des mégots de clope, mouchoirs ou verres de policiers pour les laisser sciemment sur une scène de crime afin de les incriminer, et au motif que rien n’empêchera la police d’utiliser la “base d’exclusion” afin d’y rechercher des suspects (on a en effet déjà vu des malfrats laisser ainsi sciemment des traces ADN de leurs meilleurs ennemis sur les lieux de leurs propres délits);

. que la base de données génétiques ne soit, à terme, utilisée par des assureurs et autres mutuelles, ou encore pour effectuer des tests de paternité. Une crainte a priori injustifiée si l’on s’en tient aux objectifs affichés du fichier. Une crainte pas si irrationnelle que cela lorsque l’on se penche sur l’évolution des fichiers génétiques.

On a ainsi longtemps pensé que les segments qualifiés de “non-codants” enregistrés dans le FNAEG interdisaient tout tri sélectif en fonction de caractéristiques génétiques (couleur de peau, maladie, etc.). Or, il semblerait qu’”il n’y a pas d’ADN “neutre, et qu’à terme on puisse discriminer des empreintes génétiques en fonction de telles ou telles caractéristiques…

Plus important : depuis ses débuts, le fichier ADN n’a cessé de grandir, grossir, s’élargir et de dériver de ses finalités premières. Petit retour en arrière.

Les paranos ne sont pas ceux qu’on croit

Dans l’émission que TF1 lui a gracieusement offert, Nicolas Sarkozy a quelque peu travesti la réalité en déclarant qu’il était celui qui avait créé le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) :

Lorsque j’ai créé le fichier d’empreintes génétiques pour les délinquants sexuels, souvenez-vous en 2003 le scandale que cela a fait. Aujourd’hui, on retrouve un coupable de viols sur deux !

Ce n’est pas grâce à leur ADN que l’on retrouve un violeur sur deux, et l’efficacité du fichier est loin d’être aussi probante. Fin 2009, le ministère de l’intérieur avait ainsi répertorié 17 740 rapprochements d’affaires entre des traces et des personnes précédemment “mises en cause“, et 5 840 avec des personnes condamnées, soit un total de 23 580 affaires (plus 4 231 rapprochements “traces/traces mais qui, faute d’avoir identifié le propriétaire de ces traces, ne peuvent à ce jour aboutir).

Le FNAEG répertoriant l’ADN de 1 214 511 personnes (à raison de 280 399 condamnés, et 934 112 “mis en cause“), ce sont donc 1.94% des personnes fichées (2,08% des condamnés, et 1,89% des “mis en cause“) qui se sont retrouvés suspectées d’un crime ou d’un délit du fait d’avoir été génétiquement fichées.

ANNÉE ACTIVITÉ ET ENREGISTREMENTS CUMULÉS DEPUIS LA CRÉATION DU FNAEG
Profil génétique
des personnes
condamnées
Traces
non
identifiées
Profil génétique
des personnes
mises en cause
Rapprochement d’affaires
Traces/
traces
Traces/
mises
en cause
Traces/
condamnés
31 décembre 2009 280 399 62 258 934 112 4 231 17 740 5 840

Dans son rapport annuel intitulé Criminalité et délinquance enregistrées en 2010, l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), l’usine à statistiques du ministère de l’intérieur, dénombre 10 108 viols (dont 5 388 sur mineurs) pour la seule année 2010. On est donc bien loin de l’identification d’un violeur sur deux grâce à l’ADN… Mais on aimerait bien, effectivement, en savoir plus sur la teneur de ces “rapprochements“, le type d’affaires que cela concerne, les conséquences judiciaires que cela a pu avoir, l’évolution du nombre et de la qualité de ces “rapprochements“…

Les paranos ne sont pas ceux qu’on croient

Plus gênant encore : ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a créé le FNAEG, quoi qu’il en dise. Comme le rappelle Wikipedia, le fichier a été créé, par le gouvernement socialiste, au travers de la loi Guigou du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, afin de ficher les personnes impliquées dans les infractions à caractères sexuelles.

En novembre 2001, ce même gouvernement socialiste élargissait son champ d’application dans sa loi pour la sécurité quotidienne (LSQ) aux crimes d’atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie et de violences volontaires, aux crimes de vols, d’extorsions et de destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes, et aux crimes constituant des actes de terrorisme.

Nicolas Sarkozy, lui, s’est contenté -si l’on peut dire- de l’élargir, non seulement aux personnes reconnues coupables de la quasi-totalité des simples délits, mais également aux personnes “mises en cause” dans ces types de délits.

Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas d’avoir créé le fichier génétique des délinquants sexuels, mais d’avoir élargi ce dernier aux simples suspects de la quasi-totalité des crimes et (surtout) des délits. D’où l’explosion du nombre de personnes fichées : 2100 en 2001, 1,2 million de personnes fin 2009, soit 1,86% de la population française. D’où le fait que près de 75% des personnes qui y sont fichées sont donc toujours “présumées innocentes“. D’où, enfin, les nombreux problèmes rencontrés depuis avec ces faucheurs d’OGM, manifestants et enfants que des gendarmes et policiers voulaient ficher.

Rajoutez-y le fait que la consultation du FNAEG a été rendue possible aux policiers d’un certain nombre de pays étrangers, alors même qu’aucun accord n’a été trouvé pour ce qui est de la protection des données personnelles ainsi échangées, et l’on comprend déjà un peu mieux ceux qui critiquent le FNAEG, à l’instar d’Olivier Joulin, du Syndicat de la magistrature, que j’avais interviewé en 2007 :

Selon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel [infractions sexuelles graves] et sur l’importance des modes de contrôles, en particulier concernant l’habilitation des personnels et les protocoles à mettre en œuvre.

Ils nous avaient été vantés pour rassurer les personnes qui criaient aux risques d’atteintes aux libertés. Puis on élargit le champ d’application du Fnaeg, qui concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, et on réduit les possibilités de contrôle. L’exception devient la norme.

Olivier Joulin dénonçait également la “perméabilité” des fichiers, et donc le fait que le risque ne relève plus tant des autorités publiques (“sauf dérapage de type écoutes de l’Elysée“) que de la possibilité de les voir détournés par des gens du secteur privé, ou des autorités d’autres pays hors du contrôle des juridictions françaises.

Interrogé par Le Monde sur cette montée en puissance du FNAEG, Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, se déclarait lui aussi, l’an passé, pour le moins circonspect :

Il faut reconnaître qu’il permet de résoudre des affaires, mais on est maintenant dans une logique d’alimentation du fichier. Personne ne prône le fichage généralisé, mais, de fait, on est en train de l’effectuer.

Alors, pourquoi ne pas ficher l’ADN de tous les policiers, et puis de tous les gendarmes aussi, et les pompiers, infirmiers, sans oublier les magistrats (qui ont accès aux scellés), les surveillants pénitentiaires (qui sont au contact de criminels), les personnels hospitaliers (qui s’occupent des victimes sur qui l’on prélève des traces génétiques)…

Aux USA, certains commencent à s’intéresser à l’ADN des familles des criminels et délinquants en fuite (ou qui n’ont pas encore été fichés), afin de voir si, d’aventure, on ne pourrait pas leur imputer certains crimes et délits impunis. En France, deux hommes politiques au moins, Christian Estrosi et Jean-Christophe Lagarde, se sont déjà prononcés pour un fichage génétique généralisé de l’ensemble de la population, “dès la naissance“, avait précisé Estrosi. Un objectif repris, en 2009, par les Emirats Arabes Unis :

La première étape est de mettre en place l’infrastructure, et d’engager les techniciens de laboratoire. Ce qui devait nous prendre environ un an.

Le but est de ficher, à terme, la totalité de la population.

Notre objectif est d’échantillonner un million de gens par an, ce qui devrait nous prendre 10 ans si l’on prend en compte l’évolution de la population.

Les Emirats Arabes Unis sont le premier pays à avoir décidé de ficher les empreintes génétiques de l’intégralité de sa population, expatriés, immigrés et “visiteurs” compris, indéfiniment -ou au moins jusqu’à leur mort.

Les tout premiers à être fichés seront les mineurs, au motif que “la majeure partie des criminels commencent lorsqu’ils sont jeunes. Si nous les identifions à cet âge, il sera plus simple de les réhabiliter avant qu’ils ne commettent de crimes encore plus graves“.

Plus c’est gros, moins ça passe

Élie Escondida et Dante Timélos, auteurs d’un “guide de self-défense juridique“, Face à la police / Face à la justice, rappellent que la preuve par l’ADN n’est jamais qu’une méthode statistique, et que les “experts” n’analysent jamais l’intégralité d’une “empreinte” ADN, mais qu’ils en dressent un “profil” :

Deux ADN différents peuvent donner deux profils ADN semblables justement parce que le profil n’utilise qu’une fraction de l’ADN et non l’ADN dans sa totalité.

Pour pallier ces difficultés, les experts vont se livrer à un calcul de probabilités. L’idée est simple. Même si on ne peut certifier que deux profils ADN identiques représentent bien un ADN unique, il est toujours possible d’essayer d’estimer la probabilité d’une coïncidence fortuite.

Autrement dit, le résultat d’une expertise ADN n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, une affirmation du type « l’ADN retrouvé dans cette trace appartient à telle personne » mais bien une affirmation du type « il y a x probabilités pour que l’ADN retrouvé dans cette trace appartienne à telle personne ».

Si on peut réfuter, avec une certitude absolue, l’identité entre deux profils, on ne peut en revanche jamais confirmer celle-ci avec une certitude de 100 %.

Pour Raphaël Coquoz, chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne et spécialiste de l’ADN, on “accorde trop de valeur” à l’ADN : “l’analyse ADN donne une probabilité que telle ou telle personne ait été présente à un endroit. Le concept de probabilité est parfois difficile à entendre quand on aimerait voir les choses en blanc ou en noir.

Or, comme l’expliquent Escondida et Timélos, “plus un fichier augmente en taille, plus il est censé être efficace, mais plus sa fiabilité théorique est en chute libre“… Dit autrement : plus on fichera de gens, plus la probabilité d’en faire quelque chose de probant diminuera.

L’enfer est pavé de bonnes intentions.

Illustration CC FlickR : micahb37 et extraite d’une brochure appelant au refus du fichage ADN.

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http://owni.fr/2011/02/16/et-si-on-fichait-ladn-de-tous-les-policiers/feed/ 13
Vidéosurveillance: rions un peu avec Estrosi, et la LOPPSI http://owni.fr/2011/02/08/videosurveillance-rions-un-peu-avec-estrosi-et-la-loppsi/ http://owni.fr/2011/02/08/videosurveillance-rions-un-peu-avec-estrosi-et-la-loppsi/#comments Tue, 08 Feb 2011 17:10:41 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=45714 En 1947, René Barjavel, précurseur de la science-fiction “à la française“, imagina pour l’ORTF un système de vidéosurveillance généralisé :

retrouver ce média sur www.ina.fr

Savez-vous que peut-être demain les rues de Paris seront privées d’agents ? Il suffira qu’elles soient balayées par des caméras de télévision. A la préfecture des fonctionnaires attentifs surveilleront sur de multiples écrans la vie de la capitale…

Tiens, un voleur. On le poursuit vainement parce qu’il a de très bonnes jambes. Pourquoi d’ailleurs courir après lui ? On le voit si bien sur les écrans se sauver, prendre une rue à droite, une rue à gauche… Il suffira d’envoyer des agents à sa rencontre.

Interrogée par France Info, 63 ans plus tard, et à l’aune de l’adoption de la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI2), Sylviane Casanova, directrice de la sécurité et de la protection à la ville de Nice, ne dit pas mieux :

A l’heure actuelle, il y a un tel maillage que l’on arrive à suivre sur plusieurs kilomètres les auteurs d’infraction. Plusieurs caméras prennent le relais, les agents connaissent les réseaux de caméras et on suit les individus comme ça.

La dernière fois, on a interpellé une personne qui avait volé une sacoche 12 minutes après les faits, à plusieurs kilomètres du lieu de l’infraction. Sans le support des caméras, on n’aurait pas pu retrouver ces individus”.

Nice, “laboratoire sécuritaire du gouvernement”

Sous l’impulsion de son maire UMP, Christian Estrosi, Nice est devenue une sorte de “laboratoire sécuritaire du gouvernement“, avec ses 624 caméras de vidéosurveillance (soit une pour 600 habitants), qui balaient un champ d’environ 150 mètres, sur 360°, et qui ont coûté la bagatelle de 8,7 millions d’euros. Ce dont il se félicite, toujours sur France Info :

On sait de plus en plus à Nice que seuls les voyous ont à craindre pour leur liberté et pas les honnêtes citoyens et plus ça se saura et plus on prendra de précautions avant de nuire à l’intégrité physique de quelqu’un ou aux biens d’autrui”, se félicite le maire de Nice, Christian Estrosi.

“Ceux qui ont dû passer aux aveux à cause des images qu’ils n’ont pas pu nier sont nos meilleurs ambassadeurs en terme de communication parce qu’ils vont dire dans tous les quartiers : attention dans cette ville, on est filmé et à tous les coups on se fait prendre.

De fait, le taux d’élucidation aurait effectivement augmenté, mais pas dans les mêmes proportions. Car si la petite délinquance a baissé de 1,34% l’an passé, et que le nombre d’interpellations réalisées par la police municipale a doublé, passant de 900 à 1850 en 2010, “en revanche, les vols avec violence continuent à progresser, malgré la présence des caméras“, souligne France Info, qui relève même une “augmentation de 20% avec 2932 vols avec violence en 2010 contre 2437 en 2009.”

0,34 interpellations, par caméra, et par an

La vidéosurveillance est-elle vraiment efficace ?, s’interroge pour autant Nice Matin, relayant un chiffre relevé par Emmanuelle Gaziello (PCF), pour qui “le bilan semble faible, en matière de retour sur investissement : en 2010, il y a eu 16 400 atteintes aux personnes, et 185 interpellations grâce aux caméras de vidéosurveillance“.

Les statistiques de décembre sont tombées, et dénombrent, pour 2010, 17 670 “atteintes aux personnes“, 2059 interpellations effectuées par la police municipale, dont 213 “à l’aide des caméras de vidéoprotection“, soit… 0,34 interpellations par caméra, un taux trois fois moindre que celui relevé, à Lyon, par la Chambre régionale des comptes qui, s’étonnant de voir que les caméras ne permettaient, en moyenne, l’arrestation que de une seule personne par caméra et par an, en arrivait à la conclusion que “la vidéosurveillance coûte très cher et ne sert pas à grand-chose” (voir L’impact de la vidéosurveillance est de l’ordre de 1%). En comparaison, chacun des 280 policiers municipaux niçois ont, en moyenne, procédé à 7 autres interpellations chacun dans le même temps…


(capture d’écran issue de l’observatoire de la sécurité de la ville de Nice)

Les statistiques policières ne sont pas une science exacte, et on peut leur faire dire tout et son contraire (cf Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente, ou encore Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance). Il n’empêche : sur France Info, Eric de Montgolfier, procureur de la république de Nice, évoque de son côté un “demi-échec” :

Quand vous êtes victime d’une agression, s’il y a une caméra et que cela ne vous a pas empêché d’être victime, est-ce que vous serez consolé qu’on vous dise « il y avait une caméra, on va trouver l’auteur, » la victime restera victime…

Un système qui empêcherait les gens d’être victimes serait un bon système, mais un système qui ne permet que de trouver les auteurs, c’est un système de demi-échec, parce que l’infraction a été commise

Christian Masson, président de l’association “Un cœur pour l’Ariane”, un “quartier sensible” de la ville, parle quant à lui d’”échec complet” :

Il y a beaucoup d’angles morts et la petite délinquance en profite. On arrive toujours à trouver un endroit qui n’est pas couvert par le faisceau des caméras. C’est un échec complet alors que si on avait comme par le passé des policiers qui font des rondes, les gens se sentiraient plus en sécurité et il y aurait moins d’incivilités dans le quartier.

Cela n’a rien changé, on a eu des voitures qui ont flambé, il y a eu des agressions, en ville il y a eu aussi des gros braquages sans que les caméras permettent de retrouver les voleurs. Pour l’efficacité de la recherche policière, j’ai des doutes, en revanche, au niveau du coût on va s’en rendre compte, parce que tout cela revient horriblement cher.

Moins de gardiens de la paix, encore plus de caméras

Interrogé par France Info, Frédéric Guérin, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité police SGP-FO des Alpes-Maritimes, s’interroge lui aussi sur la multiplication des caméras dans la ville, craignant de voir, à terme, les caméras se substituer à la présence policière :

Nos effectifs sont en baisse permanente parce que l’Etat a mis en place le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite, donc automatiquement nos effectifs baissent et on voit l’apparition sur Nice de plus en plus de caméras. Est-ce que les caméras vont finir par remplacer les policiers ?

En réponse à toutes ces critiques, Christian Estrosi vient d’annoncer que 100 policiers municipaux vont être embauchés cette année (ils seront 380, soit 100 de plus qu’en 2008), venant s’ajouter aux 60 agents (dont 10 handicapés) recrutés pour surveiller les 14 écrans de surveillance, 24/24, et que 100 caméras seront également rajoutées au dispositif, pour un budget supplémentaire de 3 millions d’euros…

On parie combien que le nombre d’arrestations, par caméra, sera proportionnellement encore plus faible l’an prochain ?

“Les caméras descendent rarement de leurs poteaux avec leurs petits bras musclés”

Christian Estrosi ferait bien d’écouter les spécialistes des questions de sécurité, à commencer par Alain Bauer, le Mr Sécurité de Nicolas Sarkozy (il est tout à la fois président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, de la Commission nationale de la vidéo-surveillance, et de la Commission sur le contrôle des fichiers de police) qui, interrogé sur France Inter le 30 juillet dernier au matin, juste avant que Nicolas Sarkozy ne prononce son désormais célèbre discours de Grenoble, remettait lui aussi en cause cette croyance aveugle dans les supposées vertus de la vidéosurveillance :

Bruno Duvic : Alain Bauer, est-ce qu’on a précisément mesurer quand les caméras de vidéosurveillance étaient efficaces et quand elles l’étaient moins ?

Alain Bauer : Oui oui, on a de très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, qui montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, c’est pas une solution en tant que telle…

Bruno Duvic : …c’est un outil d’après coup

Alain Bauer : non non non, paradoxalement, c’est beaucoup plus compliqué que ça : pour tout ce qui est prémédité, la caméra est prise en compte par les criminels, et donc elle a un effet fortement dissuasif, mais pour tout ce qui est spontané, on agresse des policiers, mais la présence d’une caméra n’a pas plus d’efficacité que la présence d’un uniforme si on agresse un uniforme.

Quelques minutes plus tard, Nicolas Sarkozy confirmait, à Grenoble, son plan de déploiement de 60 000 caméras d’ici 2012 :

Mais qui peut penser que ce sont quelques îlotiers supplémentaires qui permettront d’éradiquer les caïds, les trafiquants et les trafics ? Nous avons besoin de nous rassembler pour montrer à cette minorité qu’elle n’a aucun espoir et que nous allons agir. Et il ne peut pas y avoir de naïveté et d’angélisme en la matière.

Je souhaite d’ailleurs qu’au-delà des divergences entre nous, nous nous rassemblions. La vidéosurveillance, la vidéo-protection, on en a besoin. Il n’y a pas les caméras de gauche et les caméras de droite. Il y a le fait que les délinquants grands ou petits craignent par-dessus tout d’être pris dans les images parce que ce sont des preuves judiciaires. Et par ailleurs, c’est la meilleure façon de protéger la police et la gendarmerie de toute polémique.

Notre président n’avait probablement pas, lui non plus, écouté son Mr Sécurité le matin même sur France Inter… On attend avec impatience le nombre d’interpellations recensées à l’aide des 20 000 caméras de vidéosurveillance prévues dans la LOPPSI2.


Illustration : CC Leo Reynolds

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La délinquance n’a pas diminué: la vérité sur les statistiques http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/ http://owni.fr/2011/01/25/la-delinquance-na-pas-diminue-la-verite-sur-les-statistiques/#comments Tue, 25 Jan 2011 13:22:18 +0000 Jean-François Herdhuin http://owni.fr/?p=43793 Jean-François Herdhuin, fonctionnaire de police français, contrôleur général, puis inspecteur général de la police nationale, nous livre son expérience au sein de la police, et revient sur les chiffres de la délinquance.

La présentation des chiffres de la délinquance pour 2010 m’a inspiré les réflexions suivantes : à l’oral du concours de commissaires de police le jury m’avait demandé de commenter cette citation de Churchill :

Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées.

Je suis persuadé que les examinateurs ne pensaient pas aux statistiques de la délinquance. C’est ainsi que j’ai très prudemment évité ce sujet. Pour ne pas susciter des interrogations j’ai replacé la question dans le domaine économique. Et pour aller au devant de ce que l’on attendait de moi, j’ai ajouté que nous avions besoin d’instruments de mesure pour guider notre action, même si ceux ci ne pouvaient être parfaits. J’ai donc évité de contrarier le jury.

“On ne parlait déjà que de chiffres”

Depuis 2002 le thème de l’insécurité étant parmi les premières préoccupations des français, les statistiques de la délinquance font l’objet de toutes les attentions.

A la tête de directions départementales de la sécurité publique pendant de longues années, j’avais aussi la responsabilité de l’élaboration des statistiques de la délinquance. En 2002 les responsables de la sécurité publique et de la gendarmerie ont été réunis à l’occasion ce que nous appelions une « grande messe ». Le discours du nouveau ministre de l’intérieur était mobilisateur, approuvé par la très grande majorité des auditeurs. A l’époque, j’ai regretté que les responsables du gouvernement précédent n’aient pas réussi, comme Nicolas Sarkozy, à créer cet élan de responsabilisation, voire d’optimisme chez les commissaires de police et dans la police en général.

Le Ministre de l’intérieur avait mis en place un système d’évaluation des performances, que nous appelions le « sarkomètre ». J’ai été convoqué à cette réunion d’évaluation pour une augmentation de 3% de la délinquance sur un seul mois. La réunion était présidée par le Ministre de l’Intérieur lui-même assisté de Claude Guéant et de Michel Gaudin, Directeur Général de la police Nationale. Quelqu’un m’avait prévenu, « si tu as ton nom en face, tu vas prendre ». Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Dès en entrant dans la salle, j’ai vérifié notre position, c’était sur la gauche du ministre, près d’un conseiller technique que j’appréciais beaucoup, il avait été mon directeur.

J’accompagnais mon Préfet, nous étions une douzaine de départements concernés. Pour nous, la Seine-Maritime, cela s’est plutôt bien passé, je n’en dirai pas autant pour certains préfets. J’étais gêné de voir ces grands serviteurs de l’Etat traités de la sorte devant nous, leurs subordonnés. Je me souviens de l’un d’entre eux qui, rouge de colère s’exclamait courageusement, « Mais nous avons travaillé Monsieur le Ministre ! » On ne parlait déjà que de chiffres. C’était avant notre tour, je me suis dit que si cela tournait mal, il valait mieux tenir tête. J’étais prêt, mais il m’a semblé que notre ministre était pressé de quitter la réunion.

La fabrique des statistiques

On me pardonnera la présentation un peu technique de l’élaboration des statistiques. Il s’agit de révéler les effets de cette pression sur les résultats et les chiffres de la délinquance. Cela peut varier en fonction des instructions qui sont données au plan départemental et aussi de pratiques locales plus ou moins répandues.

La manière la plus grossière, quoique très répandue de réduire la délinquance, est le refus de la prise de plainte. Cette attitude peut être due à l’insuffisance de la formation des personnels dédiés à l’accueil et aussi à l’affluence de plaignants. Des efforts ont toutefois été accomplis pour mieux accueillir le public avec des pratiques de testing de l’Inspection Générale de la Police Nationale.

L’utilisation abusive de la main courante, permet de masquer un nombre très important d’infractions. On enregistre dans la main courante sous l’appellation de« différents » voire même de « crimes et délits » des faits de toutes natures et de gravité parfois très importante.

Parmi les pratiques les plus productives de « bons résultats », il y a la possibilité de requalifier des délits en contraventions qui ne sont pas prises en compte dans l’état statistique. Il s’agit notamment des dégradations de biens privés ou publics. Les tentatives de cambriolages peuvent être enregistrées comme de simples dégradations contraventionnelles. Il en est de même pour des coups et blessures volontaires qui peuvent être convertis en violences légères afin d’être comptabilisées dans les contraventions de 5e classe. On oubliera souvent de mentionner les circonstances aggravantes de l’infraction pour ne pas la classer en délit. Il s’agit par exemple de la commission de l’infraction en réunion, ou encore des injures qui peuvent être en réalité des menaces sous conditions. On peut aussi omettre la présence d’une arme blanche ou d’une arme par destination. Pour éviter une plainte on peut encore « convertir » des violences familiales en simples différents, malgré la gravité des faits.

Au sujet de l’enregistrement et la transmission des statistiques, l’Office National de la Délinquance et des Réponses Pénales a découvert récemment une pratique qui date de 2002. C’est la prise en compte retardée de procédures pour assurer une bonne présentation aux médias en fin d’année. Les commissariats étaient invités à arrêter l’enregistrement, dans l’état « 4001 », de certaines procédures, celles qui font du chiffre, comme les dégradations, les atteintes aux biens. Ce ralentissement pouvait être ordonné depuis l’administration centrale, plusieurs jours avant. Ordre était parfois donné d’arrêter toute intégration un jour entier avant la fin du mois. La prise en compte des weekends, des jours fériés était déterminante pour espérer l’arrêt de l’enregistrement sans instruction particulière. La communication des chiffres est désormais mensuelle, pour atténuer les effets de l’impact médiatique de toute évolution à la hausse. Lorsque la communication était semestrielle et annuelle, en cas de résultats médiocres, la pratique de l’enregistrement retardé était systématique. Il est intéressant à cet égard d’observer les statistiques du mois qui suit la communication de celles-ci. Mais comme il faut bien procéder à l’enregistrement des procédures, il fallait procéder à des corrections les mois suivants par une utilisation appropriée de la main courante.

La délinquance est-elle vraiment en baisse?

L’observation objective des chiffres qui nous sont fournis permet de faire douter sérieusement du bilan qui nous est aujourd’hui présenté

Selon les résultats qui viennent d’être communiqués et le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les atteintes aux biens sont en diminution constante depuis 2004. On passe d’environ 2,7 millions d’atteintes aux biens en 2005 à 2,2 millions en 2010 soit une baisse de 17,1%. Il y aurait donc dans cette rubrique une diminution de 500 000 faits constatés.

Pour ce qui concerne les atteintes aux personnes entre 2005 et 2010 on enregistre une augmentation de 13,6%, (+57 998 faits constatés) avec 467 000 violences ou menaces constatées en 2010.

Pour ce qui est des escroqueries et des infractions économiques et financières l’ONDRP indique qu’elle n’est pas en mesure de « commenter les chiffres récents » car il y a une « rupture statistique (sic) dans le mode d’enregistrement des plaintes » en 2009. Il s’agit principalement des fraudes avec les cartes bancaires. Pour résumer on considère que ce sont les banques qui sont victimes de ce type de délit et non plus les détenteurs de ces moyens de paiement. Toutefois dans le bilan global de la délinquance cette catégorie d’infractions figure à la baisse avec -4,3% soit 16 072 faits constatés en moins avec 357 000 infractions. Comme l’indique les statistiques de l’ONDRP, si les règles d’enregistrement n’avaient pas évolué en 2009, elles auraient légèrement augmenté.

On peut aussi souligner la baisse des IRAS (infractions révélées par l’activité des services) ; il s’agit par exemple de l’usage de stupéfiants, du port d’arme, du recel. Pour ces faits il n’y a pas de plainte car tout dépend de l’initiative des services de police ; depuis 2009 ce chiffre est en baisse non négligeable, d’environ 3,3 % chaque année. Il est vrai qu’il avait augmenté les années précédentes.

Quel est l’impact de l’utilisation des mains courantes ?

La main courante informatisée, permet de recenser l’intégralité des mains courantes, elle a été mise en place progressivement et ce n’est qu’en 2008 que l’on peut établir une estimation presque exhaustive des mains courantes.

En 2010 le total des mains courantes établies s’élève à 1 046 151 contre 1 063 158 en 2009 soit une baisse plutôt modérée de 1,6 %.

En examinant par groupes les nomenclatures principales, les chiffres se présentent de la manière suivante :

En 2010 273 058 crimes et délits figurent dans les mains courantes, soit une baisse de 2%.

- 518 056 différends de toute nature ont été enregistrés par mains courantes, soit une baisse de 2,1%.

- et 123 503 faits de nuisances ou de troubles à l’ordre public, soit une baisse de 0,9%.

Nous n’avons retenu que les nomenclatures portant sur les chiffres les plus importants.

On peut constater que cette évolution à la baisse n’est pas aussi importante que celle présentée vendredi 21janvier 2011.

Il est important d’observer l’évolution du nombre de mains-courantes depuis 2008, puisque nous ne disposons pas de données exploitables pour les années antérieures.

A titre d’exemple la comparaison 2008-2009 fait apparaître une augmentation de 10% en matière de crimes et délits avec 278 484 signalements. Les différents de toutes natures ont augmenté de 3,4% avec 528 983 faits. Pour la même année le total des mains courantes s’établit à 1 063 158 soit une augmentation de 5,6% par rapport à l’année précédente.

L’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales avance le chiffre de 805 341 mains courantes en 2005 et de 1 O46 151 en 2010, toutes affaires confondues, soit une augmentation de 30%. L’activité des services de police a-t elle été supérieure aux années précédentes ? Les victimes ont-elles signalé plus de faits fantaisistes dans les commissariats ? Ou bien le système a-t-il recensé plus de mains-courante que les années précédentes.

En se reportant aux commentaires de l’ONDRP. on verra que son président prend beaucoup de précautions pour indiquer que les statistiques de la délinquance sont issues de l’état 4001 et qu’ils ne peuvent être le reflet de la réalité du phénomène criminel. Dans ces mêmes commentaires, qui sont répétés sur plusieurs années, il espère que les enquêtes de « victimation » viendront compléter l’étude statistique. Or les enquêtes effectuées ne démontrent pas qu’il y ait une baisse sensible de la délinquance. A l’exception de certaines atteintes aux biens (vol automobile, par exemple).

Que faut-il en conclure ?

Contrairement aux affirmations du gouvernement la délinquance n’a pas baissé durant les huit dernières années. Au mieux cette délinquance a stagné, et elle a même augmenté dans les rubriques les plus sensibles.

Comme le disait William Ewart Gladstone, qui a inspiré Churchill,

les statistiques sont (vraiment) la forme la plus élaborée du mensonge.

Sources : Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales. Se reporter également à partir de ce lien aux rapports annuels des années précédentes.

Voir aussi : Jean-Paul Grémy, « Les “défaillances de la mémoire” dans les enquêtes de victimation » Bulletin de méthodologie sociologique, 94 | 2007, [En ligne], Mis en ligne le 01 avril 2010. URL : http://bms.revues.org/index464.html. Consulté le 23 janvier 2011.

Mon blog : http://Jeanfrancoisherdhuin.blog.lemonde.fr

Article initialement publié sur Police et banlieue

Crédits Photos CC FlickR: zigazou76, ILRI, Martin Leroy, zigazou76

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