OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Drogues: le succès du modèle portugais http://owni.fr/2011/06/15/drogues-la-succes-du-modele-portugais/ http://owni.fr/2011/06/15/drogues-la-succes-du-modele-portugais/#comments Wed, 15 Jun 2011 12:37:13 +0000 Marie-Line Darcy http://owni.fr/?p=68026

A gauche le périphérique, à droite des immeubles flambants neufs. Entre les deux un immense terrain vague où subsistent les murs délabrés d’une usine désaffectée. Ce décor banal de banlieue se trouve à Lumiar, une ville champignon de la périphérie de Lisbonne.

L’endroit s’appelle “croix rouge”, et à mieux y regarder, il est moins paisible qu’il n’y parait: le sol est jonché de plastiques et de-ci de-là, des seringues et des bouts de papier aluminium. Au loin, près des ruines d’anciens baraquements, des silhouettes occupées à se shooter.

Une camionnette à la rencontre des usagers en banlieue de Lisbonne

Les cris des enfants de l’école toute proche renforcent cette étrange impression de malaise. C’est ici, tous les jours de la semaine que s’installe la camionnette de l’association “Crescer na Maior”, quelque chose comme “Grandir le mieux possible”).

Un véhicule très spécial d’où sortent deux jeunes femmes, Alexandra et Elisabeth, qui sans tarder ouvrent le coffre rempli d’un matériel hétéroclite: boites en plastique au couvercle percé, caisses en carton remplies de kits de drogue, et tout un matériel fait de bric et de broc.

Notre rôle est d’établir le contact avec les drogués. Grâce à notre présence régulière la confiance s’est établie, ils viennent nous voir en cas de problème. Mais notre premier objectif est de distribuer des kits de drogue: un kit propre contre une seringue usagée. Cela contribue grandement à la protection sanitaire des consommateurs par injection.

Lumiar, banlieue champignon en périphérie de Lisbonne.

Moins de deux minutes après l’installation du véhicule utilitaire, un homme s’approche. Dans sa main, une grosse poignée de seringues. Il les introduit une à une dans une boite au couvercle percé. Emilio compte à voix haute: une, deux, trois, … trente seringues, sous le regard attentif d’Elisabeth et d’Alexandra. Avec un large sourire il explique:

Non, ce n’est pas moi qui ai tout utilisé. Je récolte les seringues, et je ramène des kits propres aux autres drogués. Et pour me remercier, ils me fournissent en doses.

L’homme détaille le contenu d’un kit: une seringue, un minuscule récipient en métal, des doses d’eau distillée, des préservatifs… A 54 ans, Emilio bénéficie, comme près de 21 000 personnes, d’un programme de substitution de méthadone (ou Subutex). Mais il laisse entendre qu’il est loin d’avoir décroché. “Ce sera comme ça jusqu’à ma mort. Mais ça va beaucoup mieux, grâce au programme, grâce aux filles”, confie-t-il en montrant les deux intervenantes du programme de prévention, avant de repartir avec son chargement de kits propres.

Pour l’association, l’essentiel est d’établir puis de maintenir le contact. Apparemment le petit trafic instauré par Emilio n’est pas un problème.

Nous savons qui il approvisionne. Il sert d’agent de liaison avec l’accord des drogués. Et il signale les problèmes qui apparaissent. Mais nous ne donnons jamais plus que le nombre de seringues rendues.

“C’est la règle”, explique Elisabeth. L’association “Crescer na Maior” a été constituée par un groupe de psychologues et travailleurs sociaux. Leur projet de prévention et d’accompagnement de la consommation de drogue , un travail de proximité intitulé “Diminution des risques associés”, a été retenu par l’IDT, l’Institut de la drogue et de la toxicomanie.

Envoyer les consommateurs devant une commission de dissuasion plutôt qu’au tribunal

Depuis dix ans, l’Institut, qui dépend directement du ministère de la Santé, a mis en place un programme opérationnel de réponses intégrées (PORI) reposant sur un postulat : le consommateur de drogue n’est plus un criminel mais un malade.

Le modèle portugais de lutte contre la drogue passe d’abord par une décision politique importante : la loi votée en novembre 2000 a mis fin aux politiques répressives en dépénalisant l’acquisition et l’usage de tous les stupéfiants. Objectif : réduire la demande par la prévention et la multiplication des offres de traitement, et endiguer la progression du VIH parmi les toxicomanes.

La loi, audacieuse, ne rend pas légale la consommation de drogue, mais elle évite d’envoyer devant le tribunal un consommateur occasionnel qui n’a pas l’objectif de devenir trafiquant. A condition toutefois de ne pas être en possession de plus de 5 grammes de haschisch , d’1 gramme d’héroïne et de 2 grammes de cocaïne. Cela correspond à dix jours de consommation moyenne “personnelle”.

Au-delà, en cas de contrôle policier, c’est le pénal. En deçà, la prise en charge sociale, psychologique et éventuellement médicale du patient.

Jaime a accepté de parler à condition qu’on respecte son anonymat. Il se présente devant la “commission de dissuasion” de la rue José Estevão, dans le centre de Lisbonne. Cette commission a pour but de conseiller le consommateur occasionnel et de lui proposer l’arsenal de moyens destinés à l’empêcher de plonger dans la consommation dure et de dériver vers la délinquance. Mais rien de coercitif : la commission n’est pas un tribunal.

Jaime, qui s’est fait arrêter par la police, s’est rendu volontairement au centre de dissuasion. Il est entendu par une psychologue et un travailleur social, puis passe devant la commission. Pas de discours moralisateur, une information claire et précise sur sa situation, les étapes qu’il risque de franchir sans même sans apercevoir, l’illusion de la drogue douce, et le dérapage. Le mot “prévenu”reprend tout son sens. “J’ai un enfant maintenant. Je travaille. Je dois faire attention. Cette fois encore, je m’en sors bien”, confie rapidement Jaime.

Pour Nuno Capataz, coordinateur de l’un des 18 centres de dissuasion du pays, il s’agit d’empêcher la récidive, d’éviter au patient qu’il ne mette le doigt dans l’engrenage.

La suite dépend entièrement de Jaime. Nous lui proposons un encadrement. A lui de s’emparer des moyens qui sont mis à sa disposition. Il est dans la situation limite. Une prochaine interpellation, et il sera sanctionné”.

Des structures d’aide médicales adaptées dans les hôpitaux

Le système prévoit en effet des sanctions qui s’apparentent à ce qui est en application dans le code de la route. Une comparaison très utile pour faire comprendre aux consommateurs qu’une récidive sera punie d’amendes ou de travaux d’intérêt général.

Les toxicomanes sont pour leur part dirigés vers les hôpitaux où des structures d’aide médicale ont été mises en place pour permettre les cures de désintoxication, les thérapies comportementales ou psychomotrices, et le traitement par la méthadone ou autre substitut.

Nous sommes à la fin d’un cycle, celui des grands dépendants, qui ont commencé à se droguer il y a 20 ou 30 ans. Il s’agit pour nous d’éviter qu’une nouvelle génération ne fasse le grand saut. La dépénalisation de la consommation est un élément qui rend le système de lutte plus cohérent, basé sur une approche sanitaire du problème.

explique João Goulão, le directeur de l’IDT, et l’un des mentors du système intégré de lutte contre la toxicomanie.

Le succès du modèle portugais est incontestable: le nombre d’héroïnomanes a baissé de 60% en une décennie. D’après le rapport 2009 de l’IDT, le Portugal est le pays où la consommation de canabis des 15-64 ans est la plus faible d’Europe (moins de 8% contre 23% environ en France plus de 30% au Royaume-Uni). Pareil pour la consommation de cocaïne – même si elle est en augmentation – avec moins d’1% contre 2,2% en France, 4,6% en Italie ou encore 6,1% au Royaume-Uni.

João Goulão, président de l'IDT.

Au plan sanitaire, le dispositif est également une réussite. Le nombre de décès liés à l’usage de drogue a été divisé par plus de six, passant de 131 en 2000 à 20 en 2008. Le nombre de contaminations au VIH imputables aux injections de drogue a été divisé par quatre : de 1 430 à 352 sur la même période.

Pourtant, ces chiffres n’ont pas donné la folie des grandeurs à João Goulão, qui lance un avertissement: toute tentative de dépénaliser la drogue est vouée à l’échec si la décision ne repose pas sur une structure solide des services de santé. En clair l’aventure ne peut être tentée que s’il y a un réel choix de société et un véritable engagement politique pour encadrer les décisions.

Au Portugal, aucun triomphalisme exacerbé. Ni angélisme ingénu. Si le nombre de morts par overdose continuent de diminuer, le nombre de décès liés à la drogue augmente en raison de l’apparition de nouveaux produits. Les professionnels associés au dispositif le reconnaissent volontiers: le problème de la drogue est un tonneau des Danaïdes, un puit sans fond.

Mais ce sont aujourd’hui les spécialistes qui sont chargés d’en colmater les brèches. C’est long et difficile. Mais les résultats sont encourageants : 38 875 personnes sont actuellement suivies par le service public de santé.


Article publié initialement sur MyEurop sous le titre Drogues: le succès du modèle portugais. A litre également sur le même sujet :

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Cannabis: légaliser pour mettre fin au deal http://owni.fr/2011/04/09/cannabis-legaliser-pour-mettre-fin-au-deal/ http://owni.fr/2011/04/09/cannabis-legaliser-pour-mettre-fin-au-deal/#comments Sat, 09 Apr 2011 08:00:59 +0000 F.Tixier, F.Navarro, D.Nerbollier, M.L.Darcy (myeurop) http://owni.fr/?p=55861 Stéphane Gatignon connaît bien son sujet. Depuis dix ans, il est maire de Sevran, commune de Seine Saint-Denis où les trafics de drogue sont le quotidien des habitants, et il voit que les méthodes actuelles n’ont pas d’effet. Son objectif ?

Libérer des territoires entiers de l’emprise des trafics et de la violence [à cause du] manque de perspectives qui pousse vers le trafic de shit.

Coécrit avec un autre spécialiste, Serge Supersac, ancien policier dans ce département où les trafics de drogue sont légion, Pour en finir avec les dealers dénonce “un système hypocrite”. Et pour en sortir, les deux auteurs proposent que les poursuites judiciaires contre les consommateurs soient supprimées et que l’Etat organise lui-même la production et la distribution de cannabis.

“Répression = solution”

Dans un communiqué paru immédiatement après la publication du livre, ALLIANCE police nationale, principal syndicat de police en France, parle d’une “vraie mauvaise idée”:

Il faut des sanctions judiciaires fermes et réellement exécutées par ces délinquants qui pourrissent et terrorisent la vie de milliers d’honnêtes gens.

Mettant en avant un “véritable danger de santé publique” et dénonçant un trafic bien plus porté par “l’argent facile” que le manque de perspectives, le syndicat s’oppose en tous points à l’édile écologiste : la cause de ces problèmes de drogue vient selon eux d’un manque de moyens de répression.

Opposition droite-gauche

A l’occasion des débuts de la campagne présidentielle, l’opposition, classique, entre les “pro” et les “anti” de la dépénalisation est une fois de plus relancée. A droite, on s’oppose catégoriquement à toute autorisation. A gauche, les avis sont plus contrastés, même si la dépénalisation semble l’emporter. Le débat risque d’être houleux, d’autant plus que Daniel Vaillant, député-maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris, favorable à la légalisation, doit publier mi-mai un rapport sur la légalisation du cannabis.

La France a de fait l’une des législations les plus strictes. Dans l’Hexagone, le seul fait de défendre la légalisation place la personne ou l’organisation hors-la-loi, car il est interdit de “présenter sous un jour favorable” les stupéfiants de tout genre. On ne fait pas de distinction entre l’herbe, la cocaïne ou le LSD, de sorte que la sanction pour sa vente peut atteindre les dix ans de prison, tandis que sa consommation peut entraîner une peine d’un an. Et si vous en cultivez, vous risquez 20 ans d’emprisonnement ferme. La situation est quasi-similaire en Pologne, en Suède, en Grèce ou en Turquie, où la consommation est interdite et la légalisation pas à l’ordre du jour.

En Europe, les législations différent fortement d’un pays à l’autre, depuis la dépénalisation jusqu’à la criminalisation, en passant par l’usage toléré. Avis aux amateurs: mieux vaut savoir quels sont les territoires les plus répressifs.

L’Europe a la tête qui tourne

Pionniers depuis 1971, les Pays-Bas n’ont pas légalisé, mais réglementé l’usage du cannabis. Chaque individu peut détenir jusqu’à cinq grammes et les coffee shops, seuls lieux autorisés à en vendre, peuvent en stocker 500. Confronté au “tourisme” de stupéfiants, qui attire chaque année deux millions d’adeptes aux drogues douces dans les rues de ses villes, les Néerlandais prévoient désormais d’interdire l’achat aux étrangers qui n’habiteraient pas le pays. Manière aussi de donner satisfaction à ses voisins européens, France, Allemagne et Belgique en tête, où la législation est moins permissive.

En République tchèque et en Espagne, fumer du cannabis n’est, de fait, plus un délit. A condition de consommer chez soi et de ne détenir que de petites quantités. En Espagne, malgré une interdiction de “fabrication et de trafic”, la consommation et la possession en lieu privé est tolérée par les juges, jusqu’à une limite de 50 grammes. Depuis 2006, il est également possible de vendre des graines de Cannabis ainsi que de cultiver la plante en espace privé. L’important reste de ne pas troubler l’ordre public.

Le Portugal reconnait aussi, depuis 2001, le droit à la consommation personnelle d’herbe. On peut posséder 25 grammes de cannabis correspondant, selon le législateur, à dix jours de consommation individuelle. Le consommateur est considéré non plus comme un criminel, mais comme un malade que l’on invite à se présenter devant une “commission de dissuasion” pour se faire soigner. Psychologue, avocat et assistante sociale décident alors si le cas relève d’un traitement ou d’une amende qui va de 25 à 150 euros. C’est donc la prévention qui a été privilégiée au Portugal, état souvent cité en exemple, dans la mesure où la dépénalisation n’a pas entraîné un bond de la consommation : sur une population de dix millions d’habitants, seuls 7 500 personnes sont passées devant les commissions de dissuasion en 2009.

D’autres pays ont dépénalisé la consommation tout en conservant l’infraction pour possession, culture et vente. C’est le cas pour l’Allemagne, le Danemark, la Belgique, l’Autriche, l’Italie, l’Islande et le Luxembourg.

Un “médicament” en vogue

Depuis la fin des années 1990 la consommation de cannabis s’est avérée efficace dans les traitements contre la douleur et chez les patients bénéficiant de soins palliatifs. Sur le continent, les pays qui autorisent la consommation à des buts médicaux sont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, la Finlande et le Royaume Uni, tout comme quatorze États nord-américains, dont la Californie. Depuis 1999, la France prévoit, dans des cas exceptionnels, des Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU) d’un cannabinoïde : le dronabinol.

La Turquie produit, dans des usines contrôlées par l’État, de petites quantités de cannabis à des fins thérapeutiques. Seules l’Espagne et la Belgique permettent la constitution de clubs ou associations coopératives (sans but lucratif) pouvant cultiver la plante. Pourtant, il est habituel dans toute l’Europe de repérer dans ses rues des terrasses plantées de chanvre pour une consommation privée : une étude publiée en 2008 par l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies affirme que 50% de la consommation de weed au Royaume Uni provient de plantations privées clandestines.

Article initialement paru sur myeurop.info

Illustrations CC flickR par Lenny Montana

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