OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Dailymotion terre de Jihad a priori http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/ http://owni.fr/2012/06/05/dailymotion-terre-de-jihad/#comments Tue, 05 Jun 2012 13:50:22 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111701

Dailymotion est “un entrepôt de vidéos jihadistes”. L’assertion a de quoi surprendre. Elle émane d’un centre de recherche privé américain, le Middle East Media Research Institute (Memri), spécialiste autoproclamé de la surveillance de la menace jihadiste. Composé en grande partie d’anciens militaires israéliens, il dissèque médias, sites et forums. Cette fois, c’est Dailymotion qui en prend pour son grade. Selon les deux chercheurs du Memri :

Malgré l’interdiction française – ainsi que sa propre politique sur les propos appelant à la haine et l’incitation à la violence – Dailymotion héberge une mine de contenus jihadistes.

Sans jamais pointer directement la responsabilité du site, les auteurs désignent “la large variété de vidéos jihadistes disponibles sur Dailymotion, allant des publications de médias officiels d’Al-Qaida, des Taliban et d’autres groupes jihadistes (…) à des discours de personnalités radicales”. À l’appui, ce propos, glané sur un forum proche de la mouvance jihadiste, Shumoukh Al-Islam :

Pour votre information, mes frères, le site Dailymotion est excellent, car il accepte des vidéos dans la plupart des formats, rmvb compris, et il accepte toutes les durées. J’ai uploadé le film La Takulif Lia Nafsak en intégralité, sans le diviser en plusieurs segments. L’un des avantages [de Dailymotion] est qu’il réprime moins que YouTube, qui a déclaré la guerre à tout ce qui peut être lié au djihad en supprimant les fichiers.

Pour démontrer la véracité de leur propos, les deux chercheurs sont allés fouiller le site de partage de vidéos pour en sortir la substantifique moelle jihadiste. Ils présentent plusieurs comptes diffusant des “vidéos violentes incitant au jihad armé produites par les médias liés à Al-Qaida (…) uploadées [sur Dailymotion] quotidiennement”. Ainsi que le film, La Tukalif Ila Nafsak, envoyé le 6 juin sur le “YouTube français”, surnom donné par Business Insider comme le signale le rapport dans les premières lignes.

Étoile montante

Labellisée As-Sahab, l’un des organes médiatiques d’Al-Qaida, il “appelle les musulmans de partout, mais surtout en Occident, à attaquer des cibles et intérêts occidentaux”, note les deux auteurs. Et de citer cet extrait de Abu Yahya al-Libi, jeune leader d’Al-Qaida et étoile montante du cyberjihad :

Quiconque mène une opération en solitaire aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou dans tout autre pays qui combat ouvertement et attaque les musulmans, doit savoir qu’il fait partie du jihad de ses frères musulmans, et que son opération – si elle est convenablement menée – n’est pas moins importante que les opérations menées sur les champs de bataille.

Dailymotion, entrepôt de vidéos jihadistes. L’expression fait presque rire au sein de l’entreprise française. Giuseppe Demartino, son secrétaire général contacté par email, balaie les accusations d’un revers de la main et renvoie vers le responsable communautaire, à la tête de l’équipe de modérateurs. Alexandre Makhloufi se dit “surpris” et affirme n’avoir jamais eu l’impression “d’être un repère de vidéos jihadistes” :

Le terme est un peu fort… Nous faisons notre maximum. Cinq personnes veillent la journée, tous les jours, deux la nuit. Les contenus signalés par les utilisateurs sont vérifiés, mais ils concernent la plupart du temps le non-respect des droits d’auteur et les contenus pornographiques, qui ont une durée de vie très courte sur Dailymotion.

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La diffusion de pornographie n’est pas interdite par la loi, mais proscrite par les règles internes du site. “Les contenus odieux”, que les internautes sont invités à signaler, sont eux illicites. Ils concernent “l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, la pornographie enfantine, l’incitation à la violence, l’atteinte à la dignité humaine.” Des catégories dans lesquelles rentrent certains contenus jihadistes, notamment l’appel à la haine raciale et l’incitation à la violence.

Signalés

De part son statut d’hébergeur, régi par la loi de 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), Dailymotion ne peut être tenu responsable des contenus diffusés sur sa plateforme que s’ils ont été signalés.

“La modération a priori serait techniquement très compliquée, plus de 20 000 vidéos sont envoyées chaque jour” poursuit Alexandre Makhloufi. La modération a posteriori d’un contenu signalé par les utilisateurs est en revanche obligatoire. Et les demandes affluent. En cas de signalement, l’équipe se veut réactive :

Il nous faut deux heures environ pour traiter les signalements, vérifier le non-respect éventuel et décider du retrait.

Très peu de temps après l’arrestation des membres du groupe radical français Forsane Alizza, leurs vidéos avaient été retirées de Dailymotion. Alexandre Makhloufi dit ne pas se souvenir de cet épisode en particulier, intervenu peu après l’affaire Merah dans un contexte de crispation sécuritaire. Lui chapeaute l’équipe, dont les membres ne sont pas spécialisés sur un sujet plutôt qu’un autre, ce qui explique que du contenu estampillé As-Sahab, le label médiatique d’Al-Qaida, se balade librement dans les tuyaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Les cyberjihadistes l’ont bien compris. Après avoir investi les blogs et les forums, ils utilisent de plus en plus les réseaux sociaux, qui présentent l’avantage d’être moins centralisés. Nombre de forums ont été fermés, ou fermés puis “réouverts” par les services de sécurité.

El Fallujah, un forum en arabe très populaire chez les jihadistes, s’est sabordé il y a deux ans, détaille Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Al Hizbah, autre forum proche de la mouvance, avait quant à lui disparu du jour au lendemain, avant de réapparaître, soupçonné d’être administré par les services saoudiens qui ont développé une cellule dédiée à la lutte contre le cyberjihadisme.

Les réseaux sociaux, Dailymotion, Facebook et Twitter, font courir moins de risques aux cyberjihadistes qui ont habillement su combiner contraintes sécuritaires et idéologies, souligne Dominique Thomas :

L’espace internet est corrompu mais les jihadistes mettent des limites dans cet espace qui est “hallalisé”. L’utilisation des réseaux sociaux a pu poser problème parce qu’il s’agit d’un sous-ensemble, ils utilisent quelque chose qui a déjà été créé et qui n’est pas “hallal”. Ils ont finalement créé une bulle vertueuse, non corrompue par la décadence, qui n’est pas territoriale mais virtuelle dans un espace corrompu.

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Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet” http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/ http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/#comments Wed, 30 May 2012 19:43:42 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111905 "Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens", nous affirme le juge Marc Trévidic. Owni s'est entretenu avec le magistrat du pôle antiterroriste sur les réalités du cyberjihad.]]>

Le juge Marc Trévidic à Paris en novembre 2010. Portrait par © Marc Chaumeil / Fedephoto

22 mars. Mohamed Merah abattu par les hommes du Raid, Nicolas Sarkozy fait une déclaration depuis l’Elysée : la consultation de “sites internet qui font l’apologie du terrorisme” sera dorénavant sanctionnée. Un projet de loi a depuis été déposé au Sénat. Le cyberjihadisme fait une entrée fracassante dans l’agenda politique et médiatique.

Owni a voulu recueillir l’analyse d’un magistrat familier de ces affaires. Marc Trévidic est juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, seule juridiction compétente en matière terroriste. Il s’est spécialisé sur les dossiers jihadistes en plus de quelques autres gros dossiers (Karachi, Rwanda, moines de Tibéhirine). Il revient ici sur l’utilisation d’Internet par les jihadistes, le cyberjihadisme ou “jihad médiatique”, nouvel avatar de la menace terroriste selon les acteurs politiques.

Comment a émergé le cyberjihad ? Est-ce, comme certains l’analysent, lié à la perte du territoire afghan en 2001 qui a entraîné un repli des jihadistes sur une autre base arrière ?
La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Le conflit irakien a surtout servi de déclencheur, plus que la perte de l’Afghanistan en 2001. Les jihadistes ont très vite perçu le profit qu’ils pouvaient tirer du réseau. D’abord, l’intervention anglo-américaine était illégitime du point de vue du droit international public. Ensuite, ils ont pu utiliser les exactions commises par l’armée américaine, comme à Abou Ghraïb par exemple. Des brigades, armées de caméra, cherchaient à obtenir ce genre d’images pour les diffuser ensuite sur Internet. Le début du cyberjihad commence donc plus avec l’Irak qu’après la chute du régime Taliban. En Irak, le djihad était mené à 100%, dans les villes et sur Internet.

Quel est le rôle du cyberjihad ?

Le principal objectif est la diffusion de la propagande, puis le recrutement. Lors du conflit irakien, les jihadistes menaient un double conflit majeur, à la fois contre les soldats de la coalition anglo-américaine et contre les chiites. Ils avaient donc besoin de beaucoup de troupes et de chairs fraiches.

Dominique Thomas, chercheur spécialisé sur les mouvements islamistes radicaux, parle de la volonté de créer des sphères de sympathisants, plutôt que de recrutement.

L’idée est de sensibiliser une population radicale. Au sein de cette population peut émerger un candidat au jihad. C’est une guerre de l’information, les cyberjihadistes parlent souvent de “réinformation”. Le volet recrutement existe aussi, pour envoyer des gens sur le terrain faire le jihad.

“Les loups solitaires”, entièrement isolés, formés sur Internet, existent-ils ?

Dans toutes les affaires que je connais, les protagonistes sont toujours en contact avec d’autres. Ils rencontrent d’autres jihadistes, se connaissent entre personnes de la même mouvance. Je n’ai pas connaissance de cas de terroriste islamiste entièrement isolé. C’est un petit milieu ! Tout le monde se connait.

Cyberjiadhistes et jihadistes sont-ils les mêmes personnes ? Ont-ils des profils différents ?

Tous sont cyberjihadistes. Le passage à l’acte, les départs sur zones sont extrêmement minoritaires. La radicalisation est progressive : la radicalité des jihadistes varie selon leur situation. Ils ne tiennent pas les mêmes discours avant le départ, pendant leur séjour sur zones et à leur retour. Le jihad n’a pas attendu Internet. Dans les années 1990, les filières d’acheminement de combattants en Afghanistan se développaient sans utiliser Internet.

Le milieu des années 2000 semble être l’apogée des sites liés au jihad. Certains étaient très connus, comme Minbar ou Ribaat, et des figures proéminentes s’en occupaient, notamment Malika El Aroud et son mari Moez Garsallaoui.
Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Le nombre de sites a explosé après la guerre en Irak. L’utilisation d’Internet s’est codifiée. Le Global Islamic Media Front est chargé de contrôler et d’authentifier le contenu diffusé sur les sites avec le label d’Al-Qaida. Mais la vivacité des sites dépend du contenu qui arrive du terrain. La concurrence entre les sites crée de l’émulation. C’est la loi de la concurrence ! De cette émulation naît de la radicalité. Les sites apparaissent, se multiplient avec le conflit irakien et deviennent de plus en plus radicaux dans la propagande qu’ils diffusent.

Internet apparaît dans presque toutes les affaires, comme moyen de communication entre les jihadistes. Jusqu’à maintenant, un caractère opérationnel était toujours observé dans ces échanges. L’aide matérielle est présente dans toutes les affaires.

Le projet de loi présenté par l’ex gouvernement [Fillon], changerait ce principe en pénalisant la consultation de sites terroristes.

Il faudra définir la liste des sites terroristes, ceux qui posent certains problèmes. La définition repose sur le trouble grave à l’ordre public à même de semer la terreur [Définition des actes terroristes dans le code pénal français, NDLR]. Il faudrait plus généralement poser la question de l’influence des images violentes diffusées à la télévision ou sur Internet. Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens ! Le passage à l’acte à cause de jeux vidéo violents est marginal, si marginal qu’aucun enseignement ne peut être tiré à cette marge.

Le cyberjihadisme, dans son volet de propagande, doit-il sortir du champ de l’antiterrorisme ?

Comme je l’ai signalé à l’occasion de mon audition au Sénat, l’utilisation de la qualification terroriste, et des moyens afférents, a explosé, souvent à mauvais escient. Il y a deux problèmes différents : sensibiliser la population au risque de la violence diffusée notamment sur Internet d’une part, et lutter contre les actes terroristes d’autre part.

Capture d'écran de Call of Duty Modern Warfare 3


L’entretien avec Marc Trévidic a été réalisé le 2 mai 2012.
Portrait de Marc Trévidic par © Marc Chaumeil / Fedephoto / Capture d’écran de Call of Duty CC by-nc-sa psygeist

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