OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La dernière photo d’Henri IV et la vérité des images… http://owni.fr/2010/12/21/la-derniere-photo-d%e2%80%99henri-iv-et-la-verite-des-images%e2%80%a6/ http://owni.fr/2010/12/21/la-derniere-photo-d%e2%80%99henri-iv-et-la-verite-des-images%e2%80%a6/#comments Tue, 21 Dec 2010 09:46:54 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=33697 Sur son profil Facebook, Gallica diffuse une série de portraits d’Henri IV en proposant la chose suivante à ses amis : “Comparez la tête d’Henri IV récemment retrouvée aux portraits du roi disponibles dans Gallica.” Or, à voir la photographie ci-dessous de la tête d’Henri IV récemment retrouvée, le travail de comparaison proposé par le site de la BNF semble difficile. C’est qu’Henri IV a bien changé durant ces quatre derniers siècles…

Photographie de la tête momifiée d'Henri IV

Il s’agit bien sûr de comparer la reconstitution de la tête du roi effectuée à partir du squelette de la momie retrouvée (voir plus bas) et non, bien sûr de comparer la momie aux portraits. Cependant, l’invitation iconographique de Gallica, dans sa formulation raccourcie et ambiguë, met en évidence  une relation entre le modèle et sa représentation imagée qui ne manque pas de m’interpeller.

J’avais déjà été frappé par le dévoilement du “vrai visage” de Jules César, suite à la découverte à l’automne 2007 de son buste dans la vase du Rhône près d’Arles, ville fondée par l’Empereur en 46 av. JC. La ressemblance probable entre le buste et son modèle reposait alors d’une part sur la datation scientifique de la sculpture de marbre, correspondant au vivant de l’homme ce qui laissait supposer que la représentation avait pu bénéficier de la présence du modèle vivant, d’autant qu’il s’était réellement rendu en Arles, sa ville, et d’autre part sur le réalisme de l’ouvrage finement ciselé qui faisait apparaître des rides et d’autres signes de l’âge, ainsi qu’une expression mélancolique conférant à l’ensemble un air d’instantané photographique. Allant à l’encontre des représentations habituelles de César, fondées sur le buste post mortem de Tusculum, qui montraient un visage plutôt émacié et tranchant, celui-ci faisait de lui un bon vivant aux traits doux et latins… loin du César d’Uderzo. Elle avait donc l’aspect d’un dévoilement, d’une révélation. Et cette représentation jouissait de l’aura que lui conférait une possible présence de Jules César devant le sculpteur. C’est le portrait le plus proche, c’est-à-dire le plus proche d’un contact, d’un contact visuel entre le modèle et la représentation. La sculpture apparaissait alors comme une photographie, ou tout au moins sa crédibilité s’appuyait sur l’idéal photographique (son illusion essentielle), selon lequel l’image conserve une empreinte du modèle présent et ainsi, un peu de la réalité de sa présence. C’était le processus de représentation qui authentifiait la ressemblance.

L’apparition de la “vraie tête” d’Henri IV, avant hier, dans les colonnes des grands quotidiens nationaux, pouvait elle aussi ouvrir à un certain nombre d’interrogations concernant cette question de la ressemblance. Contrairement à l’icône ou à l’idole, la relique ne se soucie pas de fonder l’illusion de la présence dans une (même vague) ressemblance au modèle, au prototype, elle est un pur morceau de présence, dissemblable mais ayant réellement été en contact avec le modèle, voire, ayant été une partie du modèle et ce contact est traditionnellement établi par un récit. La relique est donc à la fois le modèle (ou son empreinte) et sa représentation dissemblable. On peut dire qu’avec l’apparition de la tête d’Henri IV, c’est le modèle lui-même qui est réapparu, à la fois comme relique et comme portrait photographique le plus récent. Or, bien que photographie de la tête de Henri IV, cette image publiée dans la presse ne ressemble pas, à première vue, aux portraits qu’on connaît du roi (heureusement pour le vert galant qui n’aurait pas été si vert si cela avait été le cas!) et on ne reconnaît pas le roi dans ce modèle précieusement conservé.

Son authentification n’est venue que d’une enquête scientifique qui a la particularité d’avoir procédé à partir des représentations comme témoins de la vérité pour authentifier le modèle. Ne pouvant établir sans conteste l’authenticité de cette tête par le biais d’une analyse d’ADN, l’équipe de chercheurs dirigée par le docteur Philippe Charlier, s’est principalement appuyée sur des portraits pour authentifier le modèle qui ne se ressemblait plus. Comme nous le dit l’article du British Medical Journal, “CT scanning enabled the team to image the skull, and from this build up a facial reconstruction to compare to portraits.” C’est ainsi à partir d’une reconstruction faciale faite sur la base d’un scanner des os du crâne que des comparaisons ont été faites avec les portraits connus du roi.

reconstitution faciale

Et cette étude débouche sur des conclusions qui confirment que la momie ressemble bien, malgré les apparences, aux représentations du roi : “A digital facial reconstruction of the skull was fully consistent with all known representations of Henri IV and the plaster mould of his face made just after his death, which is conserved in the Sainte-Genevieve Library, Paris. The reconstructed head had an angular shape, with a high forehead, a large nose, and a prominent square chin. Superimposition of the skull on the plaster mould of his face and the statue at Pau Castle showed complete similarity with regard to all these anatomical features.”

Un des portraits proposés par Gallica

Dans un second temps, une comparaison a été établie entre des marques sur le visage et des éléments connus du portrait. Une boucle d’oreille à l’oreille droite comme c’était l’usage à la cour des Valois et une tache de 11 mm sur la narine droite ainsi que la trace d’une estafilade… L’article précise ainsi : “Two features often seen in portraits of the monarch were present : a dark mushroom-like lesion, 11 mm in length, just above the right nostril and a 4.5 mm central hole in the right ear lobe with a patina that was indicative of long term use of an earring. We know that Henri IV wore an earring in his right earlobe, as did others from the Valois court. A 5 mm healed bone lesion was present on the upper left maxilla, which corresponds to the trauma (stab wound) inflicted by Jean Châtel during a murder attempt on 27 December 1594.”


Comparaison entre les portraits et les marques retrouvées sur la tête momifiée d’Henri IV

D’autres études ont bien sûr été menées pour authentifier la tête, au carbone 14 par exemple, permettant de dater la momie entre 1550 et 1650, ce qui correspond bien à la date de la mort d’Henri IV, le 14 mai 1610. Par ailleurs des restes de plâtres témoignent des trois moulages successifs effectués sur la tête du mort, en 1610, 1793 et récemment par un des détenteurs de la tête. Il n’a pas été possible d’effectuer une comparaison de l’ADN, ce qui laisse le champ de l’interprétation encore ouvert, mais très peu.

Ce qui me frappe donc dans cette démarche, c’est la manière dont l’image vient témoigner pour le modèle revenu après coup. Ce qui est étonnant, c’est cette inversion des rôles de la représentation et du modèle, l’image devenant un modèle dépositaire de la vérité des apparences susceptible d’authentifier le modèle qui a perdu de sa ressemblance à lui-même et est étudié comme une représentation, sur des critères de correspondance des signes. Ce sont ces signes (piercing à l’oreille, tache, blessure) qui viennent comme des poinçons attester l’identité du modèle.

Alors que dans le cas du visage de César, la présence supposée du modèle au moment de sa confection authentifiait l’image comme ressemblance, selon les vertus illusoires du paradigme “photographique” de l’empreinte visuelle (ou de la peinture sur le motif/devant modèle) ici c’est l’image (comme recueil de la présence) qui vient authentifier le modèle et lui restituer une ressemblance perdue et, en fonction de cette dernière, son aura éventuelle. La relique n’est pas seulement un vrai morceau d’Henri IV, mais, malgré les apparences, elle lui ressemble, porte ses signes distinctifs et c’est de là qu’elle tient son aura. On peut maintenant regarder cette relique en se disant qu’on voit Henri IV, le vrai Henri IV. Dans les deux cas pourtant, c’est la croyance dans la capacité de l’image à conserver une empreinte visuelle (présence de César devant le sculpteur et d’Henri de Navarre devant le graveur ou le peintre) et donc à receler une vérité qui confère une authenticité à l’image… ou au modèle… Mais alors que pour César il s’agissait d’établir la vérité de la représentation, dans le cas de cette étude de la tête d’henri IV, la vérité de la représentation est un point de départ pour les expériences, la représentation est a priori exacte et vraie.

Certains extrêmistes de la République naissante avaient coupé cette tête momifiée de son origine en 1793, allant chercher toute les présences efficaces du roi jusque dans les tombeaux, ils avaient jeté le corps embaumé du bon roi dans la fausse commune comme ils avaient aussi décapité les rois de Juda sur la façade de Notre Dame, manifestant ainsi, de manière irrationnelle, leur croyance dans la puissance magique de la face royale qu’il s’agissait de mettre à bas…  Puis, la République renforcée s’était apaisée, considérant les rois comme de braves grands-pères devenus inoffensifs… seuls les royalistes croyaient en cette tête et en sa force…

Il est singulièrement saisissant que la tête momifiée d’un roi assassiné reparaisse aujourd’hui, retrouve son aura à travers un rayonnement médiatique, reconnecte la République à son inconscient monarchique et à cette “valeur mystique de la liqueur séminale” qui fondait le royaume ; comme le retour du refoulé d’une République dont la tête perd la tête, croit follement à ses propres représentations, et à sa lignée, une République en crise qui cherche, d’une manière étrange, à se fabriquer des reliques nationales sur la base d’une croyance idolâtre en la ressemblance et en l’identité.  La science vole ici au secours de l’idolâtrie en fondant la croyance sur des preuves objectives qui sont finalement les mêmes que celles qui ont toujours servi à authentifier les véroniques (vera icona) ; l’image authentique est l’image dont un récit nous dit qu’elle porte l’empreinte visuelle du modèle… qu’elle tient quelque chose de la relique…

Un film est à venir en février sur l’histoire de cette tête… Observons bien ce qu’elle deviendra par la suite…

Les illustrations scientifiques sont tirées de l’article du BMJ linké plus haut.

Lire sur cette question le livre de Hans Belting, La vraie image, (Le temps des images) Paris, Gallimard, 2007

Trouvé sur Le Figaro.fr … dans le genre problèmes d’identité nationale, c’est succulent, l’héritier de Henri IV en banquier américain…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Lire aussi cet article de Libé .

>> Article publié initialement sur Parergon, un blog de Culture Visuelle

>> Illustration CC FlickR : Nick in exsilio

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Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ? http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/ http://owni.fr/2010/07/01/quelle-filiere-industrielle-pour-la-numerisation-du-patrimoine/#comments Thu, 01 Jul 2010 16:11:27 +0000 Christian Fauré http://owni.fr/?p=20934

Le contexte de la consultation sur le Grand Emprunt

La cacophonie et la mécompéhension autour du Grand Emprunt, et plus précisément sur le volet numérisation, font qu’on est actuellement dans une situation de crise, au sens propre du terme : quelque chose va se décider.

Au départ, c’étaient 150 millions qui devaient être alloués aux institutions pour qu’elles puissent poursuivre et accélérer les projets de numérisation ; au final ce ne sont plus que des montants de prêts (donc remboursables avec intérêts) pour favoriser la mise en place d’une filière industrielle du numérique, basée sur des partenariats publics/privés.

On sait que l’actualité de la crise économique de ces derniers mois a certainement beaucoup favorisé la formulation très libérale de la consultation publique (le développement du « machin numérique ») lancée par le secrétariat de la Prospective et du Développement de l’économie numérique. De plus, dans le cadre d’une période d’austérité et de restrictions budgétaires importantes dans les dépenses de l’État, le Grand Emprunt devient un dossier beaucoup particulièrement épineux pour le gouvernement : difficile de dire « on fait les valises et on rentre » après avoir fait de la relance par l’innovation un axe important de la stratégie française.

Deux tentations s’opposent donc entre celle du ministère de la Culture et celle du ministère des Finances : le premier veut continuer à croire à la nécessité d’une politique culturelle tandis que le second tente de radicaliser les choix qui devront être faits sur la base exclusive du principe de rentabilité. Il n’y a donc plus de consensus au sein même du gouvernement sur l’avenir du Grand Emprunt, et les différentes institutions qui doivent participer à la solution (BnF, bibliothèques municipales, INA, IRCAM, Cinémathèque, Cité des Sciences, archives, musées, etc.) ne comprennent plus la règle du jeu, qui semble par ailleurs changer chaque jour en ce moment.

La vision qui est présentée ici est une tentative de réponse à la consultation publique sur le volet numérique. Elle a l’ambition de sortir par le haut des apories dans lesquelles la question de la numérisation du patrimoine dans le cadre du grand emprunt se retrouve aujourd’hui.

La publicité est-elle la solution ?

L’activité industrielle autour de la numérisation de contenus culturels et patrimoniaux est l’activité de numérisation qui est aujourd’hui la moins rentable si on la compare aux archives, cadastres et autres documents administratifs (littérature grise). D’autre part, on sait que Google a beaucoup investi sur cette activité avec sa plate-forme Google Books dont on commence à peine à entrevoir l’ampleur. Quel industriel voudrait, dans ces conditions, prendre le risque d’investir sur un secteur d’activité à faible potentiel rémunérateur tout en ayant la machine de guerre de Google en embuscade ? Soyons clairs : personne. Il faut donc poser le problème différemment.

Commençons pour cela par évacuer toutes les fausses bonnes idées que l’on peut entendre sur le modèle d’affaire qui pourrait rendre cette filière numérique rentable. Pour cela il faut d’abord savoir que la numérisation d’un ouvrage n’est, en moyenne,  rentabilisée qu’au bout de vingt ans, uniquement en ce basant sur le service de reproduction que propose la BnF. C’est une moyenne car, bien évidemment, certains ouvrages ne font l’objet d’aucune demande de reproduction. Quand se pose la question de savoir comment ce seuil peut être abaissé ne serait-ce que sur dix années, la réponse que j’entends systématiquement est : la publicité.

La publicité est généralement le joker que l’on avance quand on est à court d’idées. Et c’est assurément le modèle d’affaire le plus simple à proposer : il me manque 100 millions ? Qu’à cela ne tienne, la pub fera le reste. Comment et sur quelles bases ? La réponse est généralement plus évasive. Faut-il monter un mécanisme et une régie publicitaire en propre ? Faut-il s’appuyer sur les solutions clés en mains proposées par Google ? Cette dernière réponse serait pour le moins ironique puisque Google aurait une part importante du bénéfice publicitaire sans avoir investi dans la numérisation. Faire sans Google, c’est à l’inverse prendre le risque de se retrouver dans le collimateur d’un industriel du web qui s’y connaît et qui a les moyens de ses ambitions.

On préférera donc essayer de composer avec Google plutôt que de le concurrencer sur son propre terrain en faisant « Cocorico ! ». Les arguments basés sur la valorisation via un modèle d’affaire fondé sur la publicité ne tiennent pas la route, encore moins quand l’on sait que la valeur publicitaire sur le web, comme l’avait écrit Tim O’Reilly dès 2007, tend à se diluer très fortement. C’est la raison pour laquelle Google doit indexer toujours plus de contenus, nativement numériques ou à numériser,  pour amortir la baisse tendancielle de la valeur unitaire et nominale de la publicité.

Que vaut le numérique ?

Retour à la case départ : comment valoriser la numérisation du patrimoine ? Songeons-y un instant, si l’on se donne tant de mal pour imaginer un modèle d’affaire viable pour une filière industrielle de numérisation, c’est peut-être parce que le numérique, de manière tendancielle, ne vaut rien. Le numérique a un coût, surtout lorsqu’on doit numériser, mais, une fois l’investissement réalisé, financièrement et en tant que tel, il ne vaut plus rien. Soyons plus précis : un fichier numérique ne vaut rien. Et c’est bien la raison pour laquelle le monde de l’édition freine des quatre fers lorsqu’il s’agit de faire circuler un fichier numérique existant (même pour en donner une copie pour archive à une institution, la plupart refusent). Un fichier numérique en circulation, c’est de la nitroglycérine pour celui qui en attend une source de revenu.

Acceptons donc cette thèse, qui est aussi une hypothèse de travail, que le fichier numérique ne vaut rien. Et vérifions cette proposition :

  • pour les institutions, c’est généralement le service de reproduction qui est la principale source de revenu, c’est-à-dire le retour à l’impression papier.
  • pour les plates-formes de diffusion de contenus numériques, on sait bien que ce n’est pas le fichier numérique que l’on paye mais un écosystème technologique (format de fichiers propriétaires, logiciels verrouillés, périphériques spécifiques, fonctionnalités d’achat rapide brevetées, etc.)
  • pour d’autres initiatives plus confidentielles mais notables (par exemple PublieNet), c’est la qualité d’une présence sur le web et la sensibilité de la communauté des lecteurs/clients qui fait la différence : entre l’éditeur numérique et les lecteurs/acheteurs, il y a un crédit et une confiance.

La valeur d’un fichier numérique a donc besoin d’un service autre que la simple diffusion pour pouvoir avoir une valeur financière.

Le service de reproduction doit devenir le premier industriel d’impression à la demande

Loin d’enterrer les poussiéreux services de reproduction, il faut les muscler. Ces services, qui aujourd’hui nous semblent d’un autre âge, doivent se doter d’un service d’impression à la demande digne des autres acteurs leaders sur ce créneau. L’économie d’échelle qu’ils peuvent avoir, qui plus est sur la base d’oeuvres particulièrement attrayantes ne peut qu’être profitable. Cette re-fondation peut ramener dix ans, au lieu des vingt actuels, le délai d’amortissement d’une numérisation.

La chose n’est pas gagnée d’avance pour autant : il faut une plate-forme web en self-service qui demande du travail, il faudra être très rapide et avoir une logistique aussi affûtée que celle d’Amazon, a minima sur le territoire français. L’objectif est clairement de livrer au domicile d’un client l’impression d’un ouvrage relié de qualité en moins de 48 heures, et à peine plus s’il y a une demande d’impression personnalisée.

Sur cette voie, il va y avoir des frictions avec les plate-formes de distribution des éditeurs de la chaîne du livre. Mais pas dans l’immédiat puisque les modèles sont actuellement différents (pas d’impression à la demande, pas de self-service et pas de livraison au particulier), mais si la plate-forme d’impression à la demande est un succès, elle pourra proposer ses services différenciants aux éditeurs (traditionnels, mais aussi numériques) : par exemple proposer des « templates » de formats variés et personnalisables. N’oublions pas que près des trois quarts du coût d’un livre représentent les coûts d’impression, de distribution, de diffusion et de points de vente.

Le cas Gallica

Comment doit s'articuler le lien entre la BnF et Gallica ?

La filière de numérisation peut donc trouver un premier modèle économique dans l’impression. Pour où l’on voit que la valorisation de la numérisation se fait d’abord sur… l’impression. Mais se pose toujours la question de la diffusion sous format numérique et en ligne. Premier constat : c’est la vocation de Gallica. On comprendra dès lors que la filière numérique qui est appelée de ses vœux par le gouvernement aura du mal à accepter de faire le travail de numérisation pour que le fruit de son investissement se retrouve diffusé en ligne gratuitement sur Gallica.

Gallica devra être repensée, et pour commencer il faut que la bibliothèque numérique quitte le giron exclusif de la BnF. Cela veut dire que Gallica aura le statut d’un établissement public-privé dans lequel l’ensemble de plate-forme technologique sera possédée et gérée par le consortium privé investissant dans la filière numérique.

Statutairement, la BnF doit garder le contrôle et la maîtrise de la politique culturelle que porte Gallica. Mais cette maîtrise ne sera plus exclusive, elle devra être partagée car si cette bibliothèque en ligne se nourrit des ouvrages numérisés, et il faudra bien un modus vivendi et des droits de quotas pour chacun : la BnF peut vouloir numériser en premier des ouvrages qui ne sont pas jugés commercialement opportun pour le partenaire privé. Un système de quotas, qui devra évoluer dans le temps, doit être mise en place. Par exemple, sur les cinq premières années, sur dix ouvrages numérisés, le partenaire privé pourra en choisir cinq, tout comme la BnF. Par la suite, les résultats de la filière numérique serviront de référent pour faire évoluer les quotas : si la filière est sur le chemin de la rentabilité le ratio peut s’infléchir en faveur de la BnF, ou l’inverse si la rentabilité tarde à se faire jour. L’essentiel est de ne pas figer la formule et d’y introduire une variable dépendant de la rentabilité, sans quoi tout l’édifice s’effondre.

Cette réorganisation du statut juridique de Gallica devra nécessairement initier une refonte de la politique de gestion des droits des oeuvres qui n’est pas opérationnelle en l’état actuel (une licence sur mesure que ne peuvent pas exploiter les robots, et que d’ailleurs personne ne comprend vraiment).

Bien évidemment, d’un point de vue technologique, la plate-forme de service d’impression évoquée précédemment sera nativement intégrée à Gallica, on peut même forcer le trait en disant que Gallica ne sera qu’un module de la plate-forme d’impression.

Les métadonnées : clés de voûte de la nouvelle filière industrielle

Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans cette consultation publique sur « le développement de l’économie numérique », il n’y est jamais question de métadonnées. Le mot n’y apparaît même pas une seule fois le long des trente-neuf pages du document. C’est proprement sidérant. Et ça l’est d’autant plus que la politique industrielle qui va être mise en place devra placer la question des métadonnées au cœur de tout le dispositif industriel.

Si l’impression à la demande était le volet diffusion papier et Gallica le volet diffusion numérique, ces deux activités passent à une niveau supérieur grâce à la politique sur les métadonnées. La richesse numérique de notre patrimoine est directement proportionnelle aux métadonnées qui le décrivent. Le trésor des institutions patrimoniales réside aussi et surtout dans leurs catalogues et leurs thesauri : tout comme on ne peut gérer un patrimoine physique sans métadonnées la question devient encore plus urgente quand l’oeuvre est numérisée : une politique numérique sans politique des métadonnées n’est qu’une chimère, un délire, une schwarmerei comme disait Kant.

Plutôt que de me répéter, je vous renvoie ici à ma note sur Les enjeux d’une bibliothèque sur le web où il était question des orages sémantiques mais aussi d’étendre la pratique de gestion d’un catalogue d’oeuvres à une pratique de gestion d’un catalogue des discussions et des polémiques relatives à ces oeuvres. Ainsi, fort de ce nouveau positionnement, et sur la base de sa nouvelle plate-forme technologique, la nouvelle filière industrielle du numérique pourra proposer des outils avancés à l’Éducation nationale pour doter l’enseignement d’un outil d’annotation et de contribution qui dépasse la vision simpliste et fade des « like », et donne enfin le pouvoir aux enseignants d’enseigner.

Chaque plate-forme de diffusion des oeuvres numériques rencontre très vite sa limite dans les faiblesses de sa politique des métadonnées. Le cas d’iTunes est représentatif : c’est une panique monstre pour faire des découvertes dans le catalogue, c’est pourtant paradoxal quand on sait que, même sur iTunes, les métadonnées (titre, auteur, artistes, jaquette, etc.) sont la vraie valeur des fichiers numériques (Cf. Quand les métadonnées ont plus de valeur que les données).

Pour les oeuvres qui sont du ressort de la BnF, le travail de bascule de l’ensemble des catalogues au format du web sémantique avec leur diffusion sur le web a déjà été initié : cette démarche est la clé de voûte, à la fois technologique et économique, de tout le système. Pour les oeuvres audios et vidéos (des oeuvres de flux), les outils d’annotation contributives (avec des métadonnées BottomUp et TopDown) doivent être développés en complément des catalogues descriptifs existants.

Le catalogage des orages sémantique permet également d’obtenir tout un appareil critique issu des informations collectées via le dispositif des orages sémantiques Si celui-ci est géré par la BnF, on peut réussir à mener une politique industrielle des technologies numérique dont le coeur du dispositif s’appuie, et trouve son crédit, dans la politique culturelle. Une logique économique exclusivement consumériste n’est pas une fatalité, loin s’en faut, car ce qui est brièvement décrit ici est un chemin vers une économie de la contribution financièrement rentable.

*

On peut donc sortir de l’alternance destructrice entre :

  • d’un côté une logique libérable de la privatisation adossée à une vision exclusive sur les retours sur investissement à court terme, grâce au dieu de la publicité ;
  • de l’autre une politique culturelle maintenue sous perfusion publique, mais à perte (la logique de la réserve d’indiens).

Que le Grand Emprunt accouche de quelque chose ou non, nous n’échapperons pas à cette lancinante question : quelle politique industrielle pour les technologies de l’esprit ? La seule réponse crédible passe par le positionnement de la politique culturelle au cœur de l’outil industriel, pas à côté. « Trade follows film » disait le sénateur américain McBride en 1912 : on va peut-être arriver à le comprendre cent ans plus tard en France, notamment pour donner au commerce et à l’économie un autre visage que le consumérisme américain.

Enfin, par pitié, arrêtons de parler systématiquement de e-tourisme dès qu’il est question des territoires. Les territoires sont autre chose que des destinations touristiques, et les régions n’hivernent pas toute l’année pour se réveiller quand les Parisiens et les étrangers prennent leur vacances. Ces modèles d’affaire sur le e-tourisme sont dangereux et méprisants.

Billet initialement publié sur le blog de Christian Fauré

Images CC Flickr Troy Holden et ►bEbO

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Le monde de la culture contre Google et Internet ? http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/ http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/#comments Tue, 19 Jan 2010 14:18:47 +0000 Pierre Mounier http://owni.fr/?p=7090 Titre original :

Le monde de la culture sombre-t-il dans la diabolisation de Google et de l’Internet ?

Lors de ses vœux aux acteurs de la Culture, le Président de la République a déclaré vouloir adopter une attitude offensive contre le géant de l’Internet, Google. Suivant les recommandations de la commission Zelnik [1], il souhaite donc taxer de manière particulière les revenus publicitaires que la société engrange grâce aux clics que les internautes français effectuent sur les « liens sponsorisés ». Cette idée de taxation est justifiée, dans le discours présidentiel, et dans le rapport qui lui en a fourni l’idée, par le déséquilibre de la répartition des revenus publicitaires entre les producteurs de contenus – les industries culturelles – et Google qui détient une position dominante sur ce secteur d’activité. Alors que les premières voient leur taux de profitabilité baisser dangereusement – c’est vrai de la musique enregistrée et de la presse en particulier -, Google connaît une insolente bonne santé économique, même en période de crise. On comprend dès lors qu’un certain nombre de publications de presse aient accueilli très favorablement cette proposition dont ils espèrent tirer quelque bouffée d’oxygène[2].

L’idée d’une « taxe Google » s’inscrit dans une double suite d’événements :

- une série relativement courte qui commence sous la présidence de Jacques Chirac avec le cri d’alarme lancé en 2005 par Jean-Noël Jeanneney contre le programme de numérisation de livres Google books[3]. Alors directeur de la BNF, Jeanneney obtint dans la foulée un budget conséquent pour développer au niveau national son propre programme de numérisation - Gallica -, et proposer aux différents pays européens de s’allier pour valoriser leur patrimoine numérique via un portail commun : Europeana. La stratégie consistait alors à concurrencer Google sur son propre terrain. Si Gallica est une incontestable réussite, sa dimension purement nationale n’en fait pas un concurrent sérieux pour Google. Europeana est de son côté un échec sur la plupart des plans. L’initiative n’a en tout cas jamais atteint son but : remettre en cause la domination sans partage de l’américain. Plusieurs années après, le bilan est moins que mitigé : de grandes bibliothèques françaises, comme la bibliothèque municipale de Lyon signent un contrat avec Google pour numériser leurs collections. Comble du paradoxe : la BNF elle-même, désormais dirigée par Bruno Racine s’apprête à prendre le même chemin jusqu’à ce que le Ministre de la Culture la stoppe temporairement. Le rapport Tessier, récemment paru, et qui porte sur cette question précise, tire les conclusions de la situation actuelle : la participation de Google à la numérisation des collections patrimoniales françaises est bien inévitable. Le véritable enjeu est d’en négocier les conditions[4].

Dans la même période, d’autres acteurs culturels de premier plan passent à l’offensive : la maison d’édition Le Seuil en particulier attaque Google devant les tribunaux, toujours sur son programme de numérisation de livres, pour violation du droit de propriété intellectuelle, et gagne en première instance[5], déclenchant les applaudissements à la fois du syndicat des éditeurs, et des représentants des auteurs. Du côté de la presse en ligne, qui souffre en effet des faibles rémunérations qu’elle tire de la publicité, c’est plutôt du côté des subventions qu’elle va chercher des remèdes à sa situation, en obtenant à la suite des Etats Généraux de la Presse, 60 millions d’euros sur 3 ans pour développer de nouveaux projets de développement[6].

Après le piratage pour la musique et le cinéma, Google est donc désigné comme responsable des pertes économiques que subissent les secteurs du livre et de la presse. Porteur d’un modèle d’accès gratuit à l’information, il tuerait du même coup des acteurs dont le métier consiste au contraire à vendre l’information[7]. Pour intéressant qu’il soit, ce raisonnement a le défaut d’attribuer au comportement d’un seul acteur, même dominant, ce qui relève plutôt du mode de fonctionnement de l’écosystème dans lequel il s’insère. De ce point de vue, les stratégies défensives déployées par les différents acteurs : numérisation concurrente (Gallica), procès (Seuil), subventions (presse) et taxe (politiques) semblent relativement vaines pour une raison simple : elles prétendent agir sur un secteur particulier, à un niveau déterminé, et de toutes façons, elles ne peuvent intervenir que dans les limites d’un territoire national. Google, et aussi l’écosystème dont il tire profit se situe à un tout autre niveau : l’entreprise se définit comme une industrie de traitement de l’information dans sa globalité à l’échelle de la planète. Sa force réside justement dans sa capacité à retrouver l’information pertinente de manière transversale à tous les types documentaires possibles : livres, presse, blogs, mails, groupes de discussion, données de toutes natures, géolocalisées et bien sûr commerciales. Les batailles menées par les uns et les autres peuvent donc être gagnées localement, elles ont peu de chance, même cumulées de changer une situation globale où Google n’a pas de véritable concurrent. Ayant sans doute compris avant tout le monde le mode de fonctionnement de l’ère informationnelle dans laquelle nous sommes en train d’entrer, Google apparaît comme une entreprise mutante, particulièrement bien adaptée à son milieu, et donc dotée d’une force d’autant plus importante.

Le discours des acteurs politiques et économiques français est celui de la résistance nationale. Ils réactivent là un schéma traditionnel à notre pays où l’on attribue volontiers des pouvoirs magiques à la pure expression de la volonté politique. Il est des circonstances où la volonté peut effectivement jouer un rôle et changer une situation. Faut-il encore qu’elle s’appuie sur une compréhension fine de cette situation et oriente l’action dans un sens qui lui donne des chances d’être efficace. Est-ce le cas en France ?

Certains tirent la sonnette d’alarme à propos de la multiplication de discours relativement technophobes et radicalement critiques à l’égard d’Internet[8]. C’est un phénomène ancien et durable parmi les élites françaises. A la fin des années 90, Françoise Giroud définissait avec mépris Internet comme « un danger public puisqu’ouvert à n’importe qui pour dire n’importe quoi ». Aujourd’hui, Alain Finklekraut fustige le modèle d’horizontalité dont il est porteur[9]. Plus récemment, Robert Redeker dénonce le narcissisme vain que manifestent des phénomènes comme Facebook[10]. L’Internet comme « tout-à-l’égout de la démocratie »[11], comme « la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes »[12] ; voilà quelques formules bien senties qui manifestent une abhorration bien partagée dans certains milieux. On a déjà eu l’occasion de le montrer : les plus récentes lois de « régulation » des usages de l’Internet qui ont été adoptées en France, manifestent en réalité une volonté de revanche des industries culturelles contre les industries de l’Internet : fournisseurs d’accès et Google donc qui sont sommés de rendre gorge pour leurs insolents bénéfices[13]. La très étonnante idée de taxation des fournisseurs d’accès à Internet pour financer la télévision publique va dans le même sens[14].

Tous ces éléments mis ensemble manifestent l’angoisse presque désespérée avec laquelle les acteurs de la Culture en France accueillent la révolution numérique. Son extension progressive à chacun des secteurs concernés a été vécue comme une montée progressive des périls. Elle touche aujourd’hui le dernier bastion, le cœur sacré du temple culturel : le livre et cela n’est pas sans importance pour expliquer la violence des réactions actuelles qui, de l’indifférence et du mépris semblent évoluer maintenant vers la haine.

Notes

[1] Zelnik Patrick et Toubon Jacques, 2010, Création et Internet, Paris, Ministère de la Culture. Adresse : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Remise-du-rapport-de-la-mission-creation-et-internet.

[2] aKa, 2010, « Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins », Framablog. Adresse :http://www.framablog.org/index.php/post/2010/01/10/le-monde-liberation-taxe-google-rapport-zelnik [Accédé : 16 Janvier 2010].

[3] Jeanneney Jean-Noël, 2005, Quand Google défie l’Europe : Plaidoyer pour un sursaut, Mille et une nuits.

[4] Tessier Marc, 2010, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, Paris, Ministère de la Culture. Adresse : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Mission-sur-la-numerisation-du-patrimoine-ecrit/Rapport-Tessier.

[5] Numérisation des livres : Google condamné pour contrefaçon, Zdnet.fr. Adresse :http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39711685,00.htm [Accédé : 16 Janvier 2010].

[6] Roussel Frédérique, 2010, « La presse en ligne de crédit », Ecrans. Adresse :http://www.ecrans.fr/La-presse-en-ligne-de-credit,8866.html [Accédé : 16 Janvier 2010].

[7] Thompson Chris, 2010, « Comment Google a pris le pouvoir », Slate.fr. Adresse :http://www.slate.fr/story/15407/google-pouvoir-decennie-culture-ravages [Accédé : 16 Janvier 2010].

[8] Epelboin Fabrice, 2009, « Aux Etats-Unis, Internet est perçu comme un bienfait pour la société | ReadWriteWeb France », ReadWriteWeb France. Adresse :http://fr.readwriteweb.com/2009/12/28/analyse/aux-etatsunis-internet-est-peru-comme-bienfait-socit/ [Accédé : 16 Janvier 2010].

[9] Chieze et Quioc, 2009, Alain Finkielkraut : « Internet, c’est n’importe quoi » -Libération, Paris. Adresse : http://www.liberation.fr/medias/06011245-alain-finkielkraut-internet-c-est-n-importe-quoi [Accédé : 16 Janvier 2010].

[10] Redeker Robert, 2010, « Facebook, narcissisme et exhibitionnisme », Médias, vol. , n° 23. Adresse : http://www.revue-medias.com/facebook-narcissisme-et,594.html[Accédé : 16 Janvier 2010].

[11] Dailymotion – Olivennes : Internet, « le tout-à-l’égout de la démocratie » – une vidéo Actu et Politique, 2009, Université d’été du MEDEF. Adresse :http://www.dailymotion.com/video/xadssk_olivennes-internet-le-toutalegout-d_news[Accédé : 16 Janvier 2010].

[12] Séguéla : « Le Net est la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes » | Rue89, 2009, Adresse : http://www.rue89.com/2009/10/19/seguela-le-net-est-la-plus-grande-saloperie-quaient-jamais-inventee-les-hommes-122414?page=3 [Accédé : 16 Janvier 2010].

[13] Piotrr, 2009, « Hadopi, et après ? », Homo Numericus. Adresse : http://homo-numericus.net/spip.php?article287 [Accédé : 16 Janvier 2010].

[14] Les fournisseurs d’accès Internet taxés pour financer France Télévisions, 2008,20minutes.fr. Adresse : http://www.20minutes.fr/article/281942/Television-Les-fournisseurs-d-acces-Internet-taxes-pour-financer-France-Televisions.php [Accédé : 16 Janvier 2010].

» Article initialement publié sur Homo Numéricus. Vous pouvez y lire les commentaires et contribuer à la conversation

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http://owni.fr/2010/01/19/le-monde-de-la-culture-contre-google-et-internet/feed/ 3
Google et l’accès au savoir : le choc des titans. Enjeu : la culture http://owni.fr/2009/08/25/google-et-l%e2%80%99acces-au-savoir-le-choc-des-titans-enjeu-la-culture/ http://owni.fr/2009/08/25/google-et-l%e2%80%99acces-au-savoir-le-choc-des-titans-enjeu-la-culture/#comments Tue, 25 Aug 2009 09:51:41 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=2740 Dès lors que l’info nous est parvenue voici quelques jours stipulant que Google allait numériser des millions de livres, l’euphorie relative que l’on peut ressentir en de pareil cas s’est un tantinet fait ressentir l’espace d’un tweet… C’est dire si cela ne dure pas.

Le modèle de la bibliothèque numérique pourrait être pertinent s’il était « Open source», si j’ose employer ce terme. Je ne sache en effet pas que les bibliothèques classiques où, étudiants, nous allions farfouiller dans les rayonnages, aient eu le poids phénoménal de Google sur la Toile.

L’accès au savoir n’est pas, ne doit pas être inclus dans les plans comptables de la firme au moteur pour en faire une simple variable quantifiable financière. Pour mémoire, la numérisation des archives de la IIIème République coûterait 50 millions d’Euros quand l’état accorde grassement 5 millions par an pour numériser les documents de la BNF…

De plus, il ne faut pas oublier que tous les textes ne sont pas  consultés de la même façon… qu’en sera-t-il du petit bouquin oublié dans les tréfonds d’une culture sublime mais à laquelle 25 passionnés veulent avoir accès ?

Microsoft et Yahoo! se sont donc ralliés au groupe qui actuellement conteste la décision devant les tribunaux US de confier la numérisation des livres, du savoir, à Google. Les deux groupes font donc dorénavant partie de l’Open Book Alliance dont on ne peut que saluer le mérite et qui compte également parmi ses membres des organismes à but non-lucratif (Google est bien loin là) et des réseaux de bibliothèques. Il serait pertinent au demeurant que ce mouvement s’étende hors des frontières américaines tant la question de l’accès au savoir est essentielle. Internet n’est pas que Facebook et twitter ou msn.C’est heureusement le cas en France.

Suivant les infos dont nous disposons via Reuters, Amazom.com aurait également rejoint cette alliance, sans que le site ait confirmé ou infirmé la brève.

biblio_numerique-copie

Cette alliance peut avoir un rôle essentiel à jouer pour garantir un accès total et libre aux livres en voie d’être numérisés comme le font Gallica et la BNF avec un accès totalement libre. Et ce principe doit rester immuable. Si en effet nombre de livres sont inaccessibles parce que trop anciens, trop rares ou encore et surtout trop fragiles pour être mis en accès libre dans les bibliothèques, il va de soi que les numériser, c’est faire œuvre patrimoniale et permettre au grand public d’avoir accès aux « trésors » des bibliothèques et à ces collections dont l’accès était jusqu’alors ultra-limité aux chercheurs montrant patte blanche.

Consulter n’importe quel texte en ligne apparaît à l’évidence comme un progrès phénoménal qui, s’il n’est pas nouveau, pourrait bien permettre aux chercheurs, aux passionnés, aux bibliophiles de voir évoluer leur passion.

Mais le risque majeur est que Google ait le monopole de la numérisation. Seul Google pourrait avoir le droit de numériser des œuvres orphelines, et le problème de concurrence se pose de façon très claire. Ces œuvres orphelines sont toujours soumises au droit d’auteur mais les ayants droit ne sont pas clairement identifiés.

Pour Gabriel Stricker, porte-parole de Google, « cet accord s’attache à introduire plus de concurrence dans l’espace du livre numérique; on peut donc facilement comprendre que nos concurrents se démènent pour empêcher qu’il y ait plus de concurrence »… Soit !

La justice fédérale US et la commission européenne se penchent sur ce problème très sérieux posé par cette position monopolistique de la numérisation. Cependant, 125 millions de $ ont été mis sur la table par Google pour créer un Registre des Droits du Livre permettant aux auteurs et éditeurs d’enregistrer leurs oeuvres et  de percevoir une rémunération sous forme de droit d’auteur.

Quant à la France, ou plus exactement à la BNF, elle ferait elle aussi numériser ses livres par Google… gratuitement, comme ce fut déjà fait pour les fonds de la bibliothèque de Lyon. Les coûts sont en effet délirants et ne peuvent être supportés par la BNF. Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF en 2005, avait, à l’instar de l’Open Book Alliance, envisagé de fonder une bibliothèque européenne numérique, “Europeana“, ouverte en ligne en novembre 2008.

europeana

Le nouveau ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, rappelait également dans un Communiqué de presse que « les solutions retenues devront l’être dans le strict respect des droits d’auteurs et s’inscrire pleinement dans la politique de numérisation du patrimoine culturel de l’Etat que souhaite conduire le Ministre ». Je ne sais pas si c’est Hadopi 2 et ses propres droits d’auteur qui le travaillent, mais la question des droits n’est pas la seule. Que le patrimoine soit numérisé est une nécessité, mais par Google et uniquement Google, cela pose problème. Si nous sommes loin de Big Brother, la puissance de la firme américaine et les enjeux financiers sont tels qu’il serait préférable que ce travail ne soit pas entre les mains d’une seule société, quelle qu’elle soit.

L’accès au patrimoine et sa diffusion sans aucune limite doivent absolument être garantis.

Image de Une via ici

MAJ : Le Canard Enchaîné de cette semaine revient longuement sur ce sujet en page 4

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