OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 E-reputation et bénefs assurés http://owni.fr/2012/03/27/axa-le-reputation-assure-son-industrialisation/ http://owni.fr/2012/03/27/axa-le-reputation-assure-son-industrialisation/#comments Tue, 27 Mar 2012 07:05:03 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=103099

À l’heure où le “personal branding” s’apparente chez certains à une quête existentielle, tôt ou tard le marché de l’assurance devait s’y intéresser.

Ainsi, le groupe Axa a lancé la semaine dernière une campagne de com’ pour son contrat Protection Familiale Intégr@le, couvrant notamment les risques liés à Internet, mais surtout l’e-réputation, dont on aurait pu penser qu’elle concernait un public restreint. Avec en outre des risques plus courants, qui passent au second plan dans ses pubs :

Usurpation d’identité, utilisation frauduleuse des moyens de paiements, litiges avec un e-commerçant suite à l’achat d’un bien mobilier, litiges avec un e-commerçant suite à l’achat d’un service.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Nombreuses restrictions

En juin dernier, SwissLife avait déjà mis un pied sur ce marché avec un produit ciblé exclusivement sur l’e-réputation, une nouveauté mondiale au coûteux prix de 9,90 euros par mois. Axa est le premier à proposer ce pack, pour une somme de 13 à 24 euros selon votre profil (solo ou famille), soit un surcoût de 8 à 10 euros pour ce volet numérique.

Toutefois, comme son concurrent suisse, Axa glisse une tripotée de restrictions dans ses conditions générales [pdf] (p 25 sqd). Certes vous bénéficierez d’une assistance juridique et psychologique, vos frais judiciaires seront remboursés et on fera le ménage mais sous certaines conditions.

Les contenus litigieux ne devront pas venir de vous-même. “Le problème aujourd’hui c’est que beaucoup de scandales, d’atteintes à l’e-réputation démarrent à cause d’une vidéo, d’un article posté par l’assuré lui-même”, explique Me Murielle Cahen, spécialisée dans le droit d’Internet. Mais l’assurance restera utile dans le cas d’atteinte à son image par des tiers, ce qui est une possibilité non négligeable, surtout aujourd’hui où le développement de l’Internet est très important, et où l’utilisation des réseaux sociaux est exponentielle.

Ils ne devront pas venir non plus “de la participation à l’administration ou à la gestion d’une association ou d’une société civile ou commerciale” , “d’une activité rémunérée ou professionnelle” ou “d’une activité politique ou syndicale, d’un mandat électif”. Si Xavier Niel se fait démonter sur un forum d’utilisateurs de Free mobile, si un médecin se fait trasher dans des commentaires sur un forum médical ou le député du coin sur un blog, tant pis pour eux.

Autre condition, l’atteinte ne doit pas être faite par voie de presse. Pas fou Axa : “la presse résiste davantage quand on lui demande de retirer un contenu”, précise Nicolas Benoit, avocat spécialisé dans l’e-reputation.

En outre, la recherche d’un arrangement à l’amiable est soumis à une restriction de territorialité :  “l’auteur de l’information préjudiciable, l’éditeur ou l’hébergeur du site” doit être localisé en Europe, pour faire court. Cette condition n’est pas la plus gênante.

Démocratisation

“Ce produit démocratise le financement de ce risque, qui s’est lui-même démocratisé et c’est une bonne chose, défend Sam Locker, de l’agence d’e-reputation Hington Klarsey. Les premières personnes touchées ont été des capitaines d’industrie, des stars, des ex-criminels, c’était des faits d’exception. De même les sites de e-ecommerce ont été en ligne de front. La gestion de ces problèmes a été rationalisée, avec des produits conçus pour eux, qui ont été traduits pour les particuliers, dans une certaine mesure. Certaines grosses problématiques restent en effet chères à traiter en terme de moyens techniques et juridiques.

Les assureurs financent maintenant des solutions professionnelles. Ce type de produit est une réelle nécessité pour faire face à des détresses morales, qui peuvent devenir des détresses professionnelles, et des détresses financières. Internet est utile et ludique, les gens ont autre chose à faire que de gérer ces problèmes.”


Après avoir énuméré les restrictions, Nicolas Benoit, avocat spécialisé dans l’e-reputation conclut :

C’est un produit intéressant pour un bon père de famille qui veut protéger ses enfants, la protection des enfants est en fait visée. La publicité correspond bien à cette cible, même si elle exagère un peu.

Toutefois, il estime qu’Axa ne prend pas beaucoup de risques. “La partie e-reputation peut être intéressante dans des cas exceptionnels.” Il cite le cas d’un de ses clients : une adolescente de 14 ans, mise en cause sur des sites de ragots. “L’école et les parents sont dépassés dans ce cas.”

Gloubi boulga

De même que l’installation de caméra vient plâtrer davantage un sentiment d’insécurité qu’une réelle insécurité, Axa semble surfer sur des peurs créées, entre autres, par quelques faits divers médiatisés. Ainsi, dans son argumentaire de vente, la compagnie annonce :

Pour 82 % d’entre vous, les risques sur Internet sont aussi forts que dans la vie courante.

Interrogé sur le nombre de litiges liés à l’e-réputation qu’ils s’attendent à couvrir par an, Axa n’a pas pu nous donner de chiffres. Ils ont indiqué des données sur l’usurpation d’identité : 3ème inquiétude des Français selon un baromètre et 210 000 usurpations d’identité relevées chaque année. “Nous avons fait le film sur l’e-reputation car c’est un sujet qui concerne tout le monde en particulier les ados, des jeunes qui seront sur le marché du travail un jour. Les employeurs ont le réflexe de googliser les candidats à un poste.”

Camille Alloing, spécialiste de l’e-reputation, auteur du blog CaddE-Réputation penche pour la communication anxiogène sans fondements :

C’est un épiphénomène, Axa est opportuniste, l’e-reputation est un terme qui monte. C’est un emploi abusif du terme e-reputation, un gros gloubi-boulga qui fait peur. Et pourquoi pas une assurance jeux vidéos ? Ce qui m’étonne, c’est qu’on arrive à une définition de l’e-reputation et qu’on construise une industrie derrière.

Quant au “noyage”, c’est-à-dire à la dilution des informations embarrassantes “ça me fait rigoler. Déjà il est difficile d’obtenir de Facebook et Google que les données disparaissent vraiment Et les résultats remontés par les moteurs de recherche sont personnalisés maintenant. Tout ce qu’on noie remonte. De plus quel est l’intérêt de faire remonter des contenus creux ? Il faut définir aussi ce qui est positif ou négatif pour une personne. Enfin, les échos sur Internet ne sont qu’une partie des échos.”

Noyé mais pas coulé

Là encore, Axa s’engage à pas comptés en précisant que “l’obligation de Juridica et du prestataire de procéder à la suppression ou au noyage des informations préjudiciables à l’assuré constitue une obligation de moyens et non de résultat.” Ces moyens sont à concurrence de 5 000 euros par an et par litige.

“Une information lorsqu’elle fait le « buzz » est reprise par des sites, qui sont ensuite repris par d’autres site, le champ d’intervention est tellement large dans certains cas qu’un nettoyage totale de la toile est improbable, c’est pourquoi une obligation de moyen est la seule obligation susceptible de s’imposer”, analyse Me Murielle Cahen.

“C’est une somme raisonnable”, estime Nicolas Benoit. Mais de poser la question :

A-t-on besoin d’être garanti pour ce risque ? Un avocat vous fait ça en deux temps trois mouvements. Beaucoup de résolutions à l’amiable sont faciles. L’hébergeur applique la Loi de confiance en l’économie numérique (LCEN) après une notification. Entre un hébergement à 10 euros par mois et un procès, ils ont un intérêt financier à le faire.”

Il précise au passage que ces hébergeurs ignorent souvent la prescription de trois mois concernant la diffamation et suppriment quand même des contenus qui ont dépassé ce délai.

“Je suis assez sceptique, renchérit son confrère Olivier Iteanu. Quand ça dégénère vraiment, un avocat ne coûte pas si cher, il y a aussi un processus d’autorégulation, l’e-réputation est un habillage marketing. En revanche l’usurpation d’identité est un vrai problème, les gens sont vraiment perdus.”


Albéric Guigou, de l’agence Reputation Squad, partenaire d’Axa sur ce produit d’assurance et déjà partenaire de SwissLife, défend son bout de gras face aux critiques récurrentes.

Nous recevons 10 à 15 demandes de particuliers par jour, ça fait plusieurs milliers par an. Ils sont vite arrêtés par les coûts, de 200 à 3 000 euros. Et c’est un cliché de dire que parce que les contenus sont à l’étranger, on ne peut rien faire. Facebook est un acteur extrêmement responsable. Par exemple sur l’usurpation d’identité, ils réagissent immédiatement, ils sont dans une logique de certification d’identité. Mais on ne fait pas de demande de confort et ils sont très protecteurs sur la liberté d’expression, c’est donc plus compliqué avec les personnes publiques. Pour les moyens, nous avons regardé les typologies de litige, les budgets moyens, nous nous sommes basés sur la réalité.

Et la prévention, bordel ?

Camille Alloing regrette que l’accent ne soit pas davantage mis sur la prévention. Mais là, Axa a joué malin en lançant dès l’été dernier son “guide du bon sens numérique”. Ses  vidéos sur le sujet ont viralement été vues deux cents fois en moyenne.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Marché porteur

Quoi qu’il en soit, l’e-reputation semble bien partie pour devenir un risque à couvrir au même titre que votre voiture. Si le partenariat avec SwissLife n’a pas apporté beaucoup de clients à Reputation Squad car c’était un contrat spécifique, Albéric Guigou pense que ce ne sera pas le cas avec ce pack général. En attendant d’autres:

Beaucoup de compagnies nous ont déjà contactés sur le sujet, pour des demandes grands publics ou plus précises.

MAJ le mercredi à midi suite à l’appel d’Axa.


Photo de couverture par Noel Feans (CC-by) remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)
Photographies sous licences Creative Commons par Noel Feans, Belleza Grotesca, Grzegorz Łobiński et Dummy Dreams

À lire aussi : Assurance tous-risques (numériques) : le secret, déjà un luxe

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Les nouveaux fonds de pension, la face cachée de la réforme des retraites http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/ http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/#comments Sun, 31 Oct 2010 08:55:54 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=34225 Ce billet a été publié originellement sur OWNIpolitics, écrit par Sylvain Lapoix et Ophelia Noor.


Vendredi 21 octobre, la réforme des retraites a été adoptée de nuit au Sénat. Poussée en urgence par le gouvernement, elle dissimule une poignée d’amendements qui n’auront été débattus que quelques minutes au Palais du Luxembourg et pas même évoqués à l’Assemblée nationale, où les débats n’ont jamais atteint l’article 32 sur lesquels ils portaient. Et pourtant, ces quatre amendements consacrent la nouvelle place de la retraite par capitalisation dans le système français d’assurance vieillesse. En un vote, la porte a été entrouverte aux banques, assurances et instituts de prévoyance pour se servir dans les 7,983 milliards d’euros de participation distribués en France, selon la Dares.

Ce merveilleux mécanisme a été inscrit à l’article 32 ter (l’avant dernier article de la loi) : il prévoit que, sauf opposition formelle du salarié, la part non utilisée de sa participation sera automatiquement versée sur un produit épargne retraite en entreprise (Perco ou Pere). Et si une société a doté certains salariés de retraites chapeaux (autrement dit, si vous êtes dans un grand groupe), le 32 quinquies l’oblige à faire signer des plans d’épargne retraite pour tout le monde ! Enfin, le 32 bis permet de puiser dans son compte épargne temps ou ses RTT non utilisés (à concurrence de 5 jours par an) pour abonder les produits d’épargne retraite.

Comme résumé par le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur en séance :

Ce que vous mettez en œuvre après le Perco, chers collègues de la majorité, c’est une épargne retraite obligatoire, avec des négociations obligatoires, des décisions obligatoires, au niveau tant de l’intéressé que de l’entreprise et de la branche. Il s’agit de créer un « tuyau » qui flèche, de manière évidente, la participation vers l’épargne retraite obligatoire.

Tout ça mais avec un peu de retard : les lobbies le demandaient déjà en 2003 quand François Fillon a posé les premiers jalons de ce glissement du système vers la capitalisation.

Perco, Perp et Pere, les trois cavaliers de la capitalisation

L’apparition des premières lois permettant la souscription de produits d’épargne retraite a en fait la même origine que le recul de l’âge de départ : le déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. En 1993, la réforme menée par Edoudard Balladur donnait la possibilité aux salariés de souscrire à de tels contrats, en même temps qu’elle modifiait le calcul des pensions (basculement des 10 au 25 meilleures années dans le privé, etc.).

Le débat sur la crise du système de retraite par répartition et le risque de diminution des pensions est déjà là. Mais c’est la « loi Fillon » du 21 août 2003 qui instaure officiellement des « plans d’épargne collectif », version française et euphémistique des « fonds de pensions » décriés de toutes parts. Le Pere (assurance vie collective) qui existait déjà, peut désormais être abondé par le salarié directement. Le Perp (plan d’épargne retraite individuel) fait son apparition. Mais c’est surtout le Perco qui marque un tournant: sur le modèle des produits à « versement défini » (type 401k américain), il expose les salariés au risque des marchés, protège l’employeur et le prestataire d’assurance. A mots couverts, les fonds de pension font une entrée fracassante dans le système français.

Aidé par des dispositions qui facilitent et encouragent l’usage du Perco, celui-ci connaît de belles années : malgré la crise financière de 2008, son encours grimpe de 63% en un an pour atteindre 3 milliards d’euros au 31 décembre 2009. Mais pour les assureurs, le résultat est insuffisant. Insuffisant comparé aux 230 milliards des régimes obligatoires et aux 1300 milliards de l’assurance vie. Les lobbies ne cachent pas leur mécontentement : au 1er juin 2009, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) juge durement la réforme Fillon qui « n’a pas eu les résultats escomptés ». Le rendez-vous est clairement fixé à 2010 pour une « refonte totale » du système. Les arguments sont déjà tout prêts, collant aux éléments de langage du gouvernement : la capitalisation ne permet-elle pas de nous « éviter de reporter le financement du déficit sur les générations futures » ? Si, bien sûr : elle a même permis à certains sexagénaires britanniques de reprendre leur propre destin en main en se remettant au travail.

Et, le 26 mai 2010, dossiers plastifiés sous le bras, Jean-François Lequoy, Patrice Bonin et Gilles Cossic, représentants de la FFSA s’avancent « comme trois Monsieur Sylvestre de la World Company », raconte Martine Billard, député du Parti de Gauche. Après un long exposé sur la « nécessité de simplifier » les produits déjà en place,

Le délégué général de la FFSA, Jean-François Lequoy, juge « intéressant que ceux qui ont d’abord souscrit une assurance vie aient la possibilité de la reflécher (sic !) au bout de huit ans vers un objectif de retraite. »

Un système que la FFSA propose d’encourager par des exonérations fiscales de 10 à 20% de la rente. A cette demande, Pierre Méhaignerie, président UMP de la Commission des affaires sociales qui les reçoit « saute de sa chaise » : « Je m’oppose catégoriquement à toute nouvelle dépense fiscale dans le contexte financier actuel », tonne-t-il suivi par le rapporteur, Denis Jacquat. Les assureurs continuent d’égrainer leurs propositions et repartent leurs dossiers plastifiés sous le bras.

L’article 32 ou l’attaque de nuit de la diligence des retraites

Mais les argumentaires n’ont en fait pas vraiment quitté la salle. En juillet, quand l’amendement de commission numéro 29 arrive au débat en commission, Martine Billard s’écrie : « c’est la proposition de la Fédération française des sociétés d’assurance, qui se trouve page 219 du rapport d’information de la commission ». Sous le texte du député Yanick Paternote, une proposition des assureurs pour « fluidifier » l’épargne : la possibilité de sortir son épargne retraite pour acheter ou réparer sa résidence principale, idée qui prive un peu plus ce produit de sa fonction de sécurité pour le transformer en produit bancaire comme un autre. Retoquée par le rapporteur, l’amendement fait l’objet d’un commentaire étonnant du ministre, qui souligne qu’il « mériterait d’être examiné dans le cadre du projet de loi de finances » et non dans la réforme des retraites. En clair, Eric Woerth reconnaît que cet amendement est un cavalier, un texte sans rapport glissé là pour être adopté en toute discrétion. Celui-là est retiré. D’autres non.

Laurent Hénart, rapporteur UMP du texte, propose ainsi les amendements répondant aux demandes des lobbies : possibilité de versement des RTT sur les produits épargne retraite, participation non utilisée « fléchée » vers le Perco, ouverture des droits au Perco pour les TPE-PME…

« C’était toutes les demandes de la FFSA », lance Roland Muzeau en Commission.

Sa colère se perd dans la précipitation : du fait de la procédure d’urgence, le débat en séance s’interrompt avant même d’arriver à l’article 32 qui les contient : les députés votent tout, d’un coup, et passent le texte au Sénat.

Là, d’autres élus prennent le relais, notamment Isabelle Debré qui dépose sept amendements qui visent à généraliser l’information sur les produits d’épargne retraite, autoriser le versement de la prime d’intéressement sur le Perco… Bref, à inciter entreprises et salariés à choisir ces solutions de « complément retraite ». Le tout défendu avec des arguments proches de ceux des lobbies des banques et assurances : « En outre, il est important de souligner la nature d’épargne de dispositifs qui peuvent permettre d’améliorer le montant futur des pensions de retraite. » « Peuvent permettre », une précaution utile : dans le doute que ces fonds de pension puissent ne pas être rentables, rendons-les obligatoires. Dans l’hémicycle, le débat arrive bien tard mais ne freine en rien l’adoption du texte : vendredi 21 octobre, le séance se ferme sur un vote unique demandé par le gouvernement.

De nouvelles niches fiscales où dorment des loups

Le coup avait été préparé de longue date. Malakoff Médéric, avec l’aide du CNP, a ainsi fondé la filiale Sevriena pour couvrir ce nouveau champ de prospective. Une initiative dont la Caisse des dépôts et consignation a étrangement décidé de se retirer avant l’été. Mais cette entreprise est loin d’être la seule à se frotter les mains : banques et assurances préparent déjà leurs stratégies pour capter ce nouveau marché. Au lendemain de l’adoption de la réforme par le Sénat, BNP Paribas lançait son site La retraite en clair.fr pour ses clients ayant des question « sur le système des retraites actuel et à venir » notamment « sur le montant de sa pension future » et « les moyens à mettre en œuvre pour compléter ses revenus » (sic !).

De leur côté, les entreprises y trouvent aussi leur compte : défiscalisés, les versements sur les produits d’épargne retraite sont de bons deals. « Plutôt que de verser 100 en salaire qui lui coûte 140 et rapporte 60 au salarié, il est plus avantageux pour l’entreprise de verser 100, qui lui coûtent autant et rapportent la même chose au salarié », résume Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE. Le problème, c’est que tout ça se fait aux dépends de la Sécurité sociale, les sociétés préfèrent cotiser pour leurs salariés que pour le système général : on bascule de la solidarité nationale et inter-générationnelle à la solidarité d’entreprise.

Du côté des syndicats, la posture est difficile à tenir : bien qu’opposés au principe de retraite par capitalisation, nombreux sont les délégués du personnel qui signent les accords Perco en échange de la promesse de la direction de verser de l’argent en complément de celui amené par les salariés, comme chez GSK, exemple présenté dans une enquête du site Miroir social, où le laboratoire proposait d’abonder à 300% les sommes apportées par les salariés. La confusion est entretenue par les termes employés : cette « épargne retraite », présentée comme un simple placement, fonctionne bel et bien selon le principe des « fonds de pension » et de ce fait, rogne sur le système par répartition.

Or, au delà des amendements retenus par la loi, les propositions avancées par les lobbies laissent entrevoir la prochaine étape : la proposition de la FFSA de verser l’assurance vie sur l’épargne retraite ou celui consistant à pouvoir retirer de l’argent de son Perco pour acheter ou rénover un logement transformeraient, à terme, ces outils de prévoyance en simples produits bancaires spéculatifs. L’hypothèse de la fusion entre assurance vie et assurance vieillesse complémentaire dans un produit d’épargne hybride hyperdisponible apparaît même comme « vraisemblable » à plusieurs chercheurs.

Bref, « la retraite supplémentaire par capitalisation n’est plus un sujet tabou, » comme le disait le député en charge du rapport sur l’information sur l’épargne retraite de 2003. Un certain Eric Woerth…


Pour compléter cet article, nous vous recommandons l’excellent dossier de notre consoeur Emmanuelle Heidsieck sur le site d’information Miroir social, qui a constitué le point de départ de notre enquête :

Photo FlickR CC : Maxi Walton ; Richard Ying ; Keene Public Library ; copie écran du site La retraite en clair.fr.

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Les institutions internationales au secours de la retraite par capitalisation http://owni.fr/2010/10/26/les-institutions-internationales-au-secours-de-la-retraite-par-capitalisation/ http://owni.fr/2010/10/26/les-institutions-internationales-au-secours-de-la-retraite-par-capitalisation/#comments Tue, 26 Oct 2010 13:29:28 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=33649 Du jour au lendemain, l’âge de la retraite de 1,3 millions de Britanniques a été repoussée au delà de la limite légale, sans qu’aucun débat n’ait lieu, ni qu’aucune loi ne soit adoptée. Il a suffi que la bourse s’effondre et que leurs fonds de pension la suivent dans sa chute : entre avril et juin 2008, selon l’Office national de la statistique, les jeunes retraités ont représenté 46% des créations d’emplois du pays. Une aberration mathématique d’abord interprétée comme un mouvement spontané des personnes âgées appréciant la “stimulation et le sens de l’accomplissement”. Censé renfloué le passif des fonds de pension, le Pension Protection Fund accusait alors 0,5 milliards de livres de déficit. En 2009, il avait plongé à -1,2 milliards.

L’âge de la retraite n’est pas un critère absolu : si les pensions sont insuffisantes, les retraités sont obligés de continuer à travailler, au moins à temps partiel

, tranche Lucy Aproberts, chercheuse rattachée à l’IDHE. La question de la retraite par capitalisation pose donc, autant que la limite légale, la question de l’âge de départ en retraite.

Et, à en croire l’OCDE, la crise aura fait bosser les sexagénaires : en 2008, le rendement nominal moyen des fonds de pensions s’étalait de -35% à 10% et celui des fonds de réserve de -30% à 5%. Autrement dit, certains États ont vu leurs retraites par capitalisation diminuer d’un tiers en un an. Des mécanismes de sécurité ont été envisagés, comme aux États-Unis avec le 401k (épargne retraite collective équivalente du Perco) mais sans grande conviction. Avec le retour des rendements, la peur de la crise s’éloigne et les gardes-fous deviennent des rabats-joie : “quand un avion s’écrase et qu’on retrouve la boîte noire, on se dit qu’on devrait construire tout l’appareil de la même manière, métaphorise un cadre d’un organisme gestionnaire. Le seul problème, c’est que, un avion fabriqué comme une boîte noire, ça ne vole pas !”

Si la commission pour les retraites britanniques en conclu que les systèmes privés ne sont plus suffisants pour assurer une retraite décente aux Anglais, l’OCDE continue à encourager les pays dans le développement de la retraite par capitalisation… alors qu’il pointe lui-même les conséquences catastrophiques de la crise sur les fonds de pension. “La Banque mondiale est dans les coulisses de la généralisation de la retraite par capitalisation depuis les expériences menées au Chili dans les années 1980, détaille Lucie Aproberts. Elle a ouvert la voie en Europe centrale et orientale aux banques et assurances occidentales dans les années 1990 et l’OCDE a relayé les mêmes recommandations.”

Sous le nom de “3è modèle”, les deux institutions ont recommandé la libéralisation totale des secteurs de l’assurance vieillesse au sortir du communisme, instaurant la plus grande zone de retraite par capitalisation du monde. Mais l’explosion de la bulle Internet dans les années 2000 impose bientôt un repli stratégique dans le discours : “la ligne des deux institutions étaient un peu doctrinal: en 2004, la Banque mondiale a changé son fusil d’épaule et ne parlait plus de comptes individuels par capitalisation mais de comptes notionnés à la Scandinave”, détaille un cadre d’organisme gestionnaire. Mais le mal était fait.

Alors que certains États d’Europe centrale et orientale envisageaient de revenir à des systèmes par répartition centralisés, le rapport Le point sur le marché des pensions de décembre 2008 de l’OCDE tançait les contrevenants à la bonne doctrine : “de telles décisions prises dans la précipitation ne font que renforcer le sentiment de panique et ne rendent pas justice à l’intérêt que présentent les systèmes de pensions privées sur la durée d’une vie pour les participants.” L’interprétation de l’organisation : ceux qui ont subi le revers de la crise ont eu le tort de vendre trop tôt. S’ils avaient conservé leurs actifs, ils auraient pu profiter du rebond.

L’Allemagne, en revanche, a été saluée pour ses mesures en faveur de la capitalisation : depuis la réunification, les allemands ont mis en place de nombreuses réformes du régime des retraites dont la plus significative reste la réforme Riester votée en 2001 sous le gouvernement Schröder. Cette loi introduit des systèmes de retraite par capitalisation dans le système général et prévoit une baisse du taux de remplacement net jusqu’à 43% en 2030 qui devra être compensée par des contrats de retraites par capitalisation.

Face à la crise, le choix de l’Allemagne a été moins doctrinal que politique : afin de conserver la compétitivité de son industrie, le gouvernement a choisi de ne pas augmenter le taux de cotisation au delà de 22%. Pour compenser la baisse du taux de remplacement, l’État fédéral a joué carte sur table : cette réforme propose une substitution d’une part du régime de répartition par une dose de capitalisation.

Au delà des risques induits par les aléas boursiers, les systèmes à cotisation définie (CD, comme le 401k américain ou le Perco français), les plus répandus, font porter tout le poids du risque sur les épaules des salariés, par opposition aux systèmes à pension définie, qui obligent celui qui verse à abonder (l’employeur ou l’État). Côté banques et assurances, les perspectives sont florissantes: selon une étude Aviva (numéro 6 de l’assurance dans le monde), le “pension gap” à combler pour garantir un niveau de vie correcte aux retraités Européens s’élèverait à 1900 milliards d’euros par an. Face à ce trou béant, Andrea Moneta, directrice Europe d’Aviva a fait part de son désir de s’adresser aux politiciens “à tous les niveaux car les idées à mettre en place ne manquent pas.”

Voilà au moins une crise qui fait des heureux.

Illustration FlickR CC : acameronhuff

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Géolocalisation, réseaux sociaux et droit http://owni.fr/2010/03/23/on-ne-saurait-etre-a-la-fois-au-four-et-au-moulin/ http://owni.fr/2010/03/23/on-ne-saurait-etre-a-la-fois-au-four-et-au-moulin/#comments Tue, 23 Mar 2010 09:18:57 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=10654 Les internautes ont récemment fait les gorges chaudes d’un site américain, Please Rob Me, qui informait ses visiteurs lorsqu’un utilisateur du site Foursquare venait de quitter sa maison, et que celle-ci était désormais vide et prête à être cambriolée. Le véritable but des créateurs de Foursquare, comme indiqué sur le site, n’était pourtant pas d’inciter les internautes à un comportement délictueux, mais bien de les avertir des risques pris en publiant sur Internet leur localisation géographique. Le site est désormais désactivé, et ses créateurs souhaitent qu’une organisation reprenne le flambeau afin d’éduquer les internautes sur le danger de publier trop d’informations personnelles sur Internet.

Cambriolage : un risque réel

Ce risque est bien réel : de jeunes Californiens ont pu cambrioler l’an dernier les villas de plusieurs célébrités (entre autres Paris Hilton et Orlando Bloom) en regroupant des données trouvées sur divers sites Internet. Des sites consacrés aux potins les avertissaient que telle célébrité se trouvait ce soir-là hors de sa maison, tandis que d’autres sites leur permettaient de localiser la maison de la vedette en goguette.

Point n’est besoin d’être une célébrité afin que les internautes puissent connaître notre localisation géographique. Le site Foursquare permet aux utilisateurs d’un téléphone mobile « intelligent » d’installer un programme leur permettant d’informer leurs contacts du lieu où ils se trouvent, s’ils se trouvent dans les villes couvertes par ce service. Les utilisateurs d’un simple téléphone mobile peuvent envoyer un message texto à cette fin. Il est en outre possible de relayer cette information sur le site de réseau social et de micro-blogging Twitter et sur Facebook. Selon une étude de l’Université Carnegie Mellon de 2009, 72,4% des personnes interrogées connaissent les services permettant de partager leur localisation géographique avec des tiers. Beaucoup reconnaissent leur intérêt afin de pouvoir localiser une personne en danger ou un enfant, mais craignent qu’ils puissent favoriser les cambriolages ou les agressions.

Le succès de Foursquare a inspiré Twitter

Le succès de Foursquare a, semble-t-il, inspiré Twitter qui permet depuis peu à ses usagers d’indiquer leur location géographique. Ceux-ci peuvent choisir l’option opt-out afin de décliner cette option, ce qui est particulièrement heureux car la caractéristique principale du site est son caractère public. Ses utilisateurs peuvent choisir de protéger leurs tweets afin que seules les personnes par eux autorisées puissent les lire. La plupart des utilisateurs de Tweeter choisissent toutefois de laisser leurs tweets publics : tout un chacun peut les lire, et, au contraire de Facebook, chacun peut suivre qui lui plait sans avoir à recevoir l’autorisation de l’auteur des messages. En outre, on peut rechercher librement les messages publiés sur Twitter grâce à un simple moteur de recherche.

Le service offert par Foursquare est disponible pour les Parisiens depuis peu, et le New York Times a annoncé le 9 mars que Facebook, site disponible en France, prévoit de permettre à ses utilisateurs dès le mois d’avril d’informer leurs amis de leur location géographique.

Quelles conséquences au regard de la loi française ?

Quelles pourraient être les conséquences de l’utilisation de ces services de géolocalisation au regard de la loi française ?

Tout d’abord, quelles pourraient être les implications de la géolocalisation sur la vie privée ? Le droit français n’a jusqu’à ce jour traité que des implications de la géolocalisation sur la vie privée du point de vue du droit social. Une recommandation de la CNIL en date du 16 mars 2006 précise dans quelles conditions les employeurs peuvent utiliser un dispositif de géolocalisation. Le responsable du traitement doit en particulier prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir l’accès à ces données par des employés non autorisés.

Qu’adviendrait-il si un employeur utilisait les données de géolocalisation qu’un employé poste volontairement sur un site de réseau social afin de surveiller celui-ci ? Il s’agirait sans nul doute d’une collecte de données à caractère personnel, et l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise bien qu’il y a traitement « quel que soit le procédé utilisé ». L’article 6-1° de la loi de 1978 dispose que les données doivent être collectées de manière loyale et licite. Est-ce loyal et licite d’utiliser des données librement mise en ligne par un internaute ? Certes non, puisque l’internaute ne consent pas à ce que ses données de géolocalisation fassent l’objet d’un traitement.

Le droit européen s’est également intéressé aux données de localisation : selon l’article 2 de la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, constituent des données de localisation « toutes les données traitées dans un réseau de communications électroniques indiquant la position géographique de l’équipement terminal d’un utilisateur d’un service de communications électroniques accessible au public ». Cette définition inclut les systèmes GPS et les téléphones portables, qui informent automatiquement le réseau électronique de la position géographique de leur utilisateur, et, semble-t-il, inclut également l’hypothèse où le sujet informe de lui-même le réseau de communications électroniques de sa position géographique.

Le Groupe de Travail dit « de l’article 29 » a bien noté dans son avis 5/2009 que les réseaux sociaux sont des services de la société de l’information, tels que définis par l’article 1er, alinéa 2 de la Directive 98/34/CE modifiée par la Directive 98/48/CE, c’est-à-dire « tout service presté normalement contre la rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services », bien que les utilisateurs des réseaux sociaux n’ont pas à rémunérer ces sites. En outre, les dispositions de la Directive 95/46/CE sur la protection des données s’appliquent « dans la plupart des cas », selon le Groupe de Travail, aux fournisseurs de réseaux sociaux, et ce même si leur siège se situe en dehors de l’EEE. Ils sont ainsi considérés comme responsable du traitement de ces données.

Un réseau social géolocalisé peut-il engager sa responsabilité pénale ?

Est-ce qu’un site de réseau social publiant la position géographique de ses utilisateurs pourrait engager sa responsabilité pénale ? Un internaute se fait cambrioler après avoir publié sa position géographique, et est même blessé au cours du cambriolage : peut-il s’agir d’une mise en danger de la vie d’autrui, délit prévu à l’article 223-1 du Code pénal ? Il faudrait prouver la violation d’une obligation de prudence, ce qui équivaudrait à soutenir que la publication d’une adresse est de nature à mettre en danger la vie d’autrui, et l’avocat choisissant cette voie n’aurait pas grande chance de succès.

Quelles pourraient être les réponses du droit de la responsabilité délictuelle ? Chacun est responsable du dommage causé par sa négligence ou son imprudence selon l’article 1383 du Code civil. La publication d’informations relatives à la géolocalisation pourrait-elle être considérée comme une faute par le juge ? Il faudrait établir un lien de causalité entre la publication de la géolocalisation de l’internaute et le dommage.

Et les assureurs ?

Qu’en-il du point de vue du droit des assurances de la responsabilité de l’utilisateur d’un réseau social qui aurait régulièrement publié sa position géographique ? Selon l’article L113-2 2° du Code des assurances, l’assuré doit « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Si l’assureur découvre que l’assuré a régulièrement publié sa position géographique sur divers réseaux sociaux sans l’en avertir, pourrait-il invoquer la négligence de l’assuré cambriolé ?

Beaucoup de questions, et les réponses ne peuvent être encore que des pistes de réflexion, en attendant la première affaire où un tribunal aura à juger des conséquences légales de ce nouvel engouement des utilisateurs de réseaux sociaux, publier leur position dans le monde réel sur Internet.

Billet initialement publié sur Legalbiznext, sous le titre “On ne saurait être à la fois au four et au moulin : géolocalisation, réseaux sociaux et droit”

Photo CC Flickr spanaut

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